De la rétention administrative à la rétention administrative : retour sur les amendements au projet de loi relatif au droit des étrangers adoptés le 26 janvier 2016

Depuis le 20 juillet dernier, les débats sont en cours sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.

De l’assemblée nationale au sénat, le processus législatif a suivi son cours en 2015 dans le contexte d’une actualité tendue et troublée par le séisme terroriste.

Le 26 janvier 2016, le texte a été adopté en nouvelle lecture à l’assemblée nationale par la commission des lois après de nouveaux amendements.

C’est ainsi que l’article 1ER A adopté au Sénat prévoyant la possibilité pour le Parlement de déterminer le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France par période de trois ans a été supprimé.

L’amendement N°CL100 présenté par Monsieur BINET, rapporteur, a évité l’instauration d’un système de quotas déterminés par le Parlement pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile.

A son retour à l’assemblée nationale, la rétention administrative telle que prévue dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France a elle aussi été retouchée.

La question qui se pose est de savoir si cette mesure privative de liberté sera –encore- réformée après la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011.

  • Vers une modification de l’ordre d’intervention des deux ordres juridictionnels :

Il y a quatre ans, le Juge des Libertés et la Détention s’était fait évincer de sa place de primo intervenant dan le contentieux de la rétention administrative.

Jusqu’alors, il n’était amené à statuer juste avant la fin du délai de cinq jours de la rétention administrative initiale aux fins de prolongation de la mesure.

Le Juge Administratif procédait au contrôle de la légalité du placement dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir avant que le Juge Civil vérifie la protection de la liberté individuelle sur saisine de Monsieur le Préfet.

Le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté n’avait jamais caché son opposition à cette organisation, directe conséquence de l’allongement de la rétention administrative.

Dans son rapport d’activité 2012, il relevait que « 2012 est la première année complète d’application de la loi du 16 juin 2011 (relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité) qui modifie et amplifie les possibilités de recours à l’assignation à résidence (puisque désormais la rétention n’est possible que lorsque d’autres mesures sont inefficientes) et parallèlement, allonge la durée de la rétention, qui passe de 32 jours (au maximum) à 45 jours (au maximum) : une durée administrative de 5 jours au plus, suivie de deux périodes de 20 jours autorisées par le juge judiciaire ».

Dans ses rapports suivants, il n’a cessé de prôner le retour de la rétention administrative à une durée de 32 jours au total au lieu des 45.

Il a enfin été entendu…ou plutôt à moitié écouté.

Messieurs BINET, CORONADO et MOLAC ont déposé deux amendements N°CL37 et N°CL155 tendant modifié l’article 19 du projet de loi relatif au droit des étrangers en France limitant à quarante-huit heures la durée du placement en rétention décidé par l’autorité administrative.

La commission des lois a adopté ces deux modifications permettant de rétablir la rédaction du texte adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale.

Le juge des Libertés et de la Détention devrait dès lors être saisi à l’expiration de la période de quarante-huit heures, et non plus après cinq jours pour autoriser la prolongation de la rétention.

Il redeviendrait le premier juge à faire face aux retenus.

Les causes de ce changement résideraient dans une volonté d’éviter de couvrir les irrégularités de procédure tenant aux contrôles illégaux, à l’absence d’interprète durant la garde à vue, la privation de liberté abusive les entraves à l’accès au médecin ou à l’avocat.

Dans son rapport de mai 2013, Matthias FEKL considérait que la situation actuelle « contrevient à l’évidence aux exigences de l’État de droit, au regard de la nécessité d’assurer une protection effective de la liberté individuelle ».

  • L’orée d’un nouveau séquençage de la rétention administrative :

Au vu de ce qui précède, on pourrait légitiment se dire que la réduction de la rétention administrative initiale prise par le Préfet ne peut conduire qu’à une diminution de la durée globale de la mesure, prolongations comprises.

Mais ce serait bien naïf de penser que les préconisations du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et du rapport « Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France » seraient suivies dans leur intégralité.

Cela reviendrait à ne laisser la puissance publique disposer que d’un délai de trente-deux jours pour éloigner un étranger, objet d’une mesure d’éloignement.

Alors que l’amendement N°CL156 prévoit une solution plus « adaptée » aux moyens à disposition de l’administration pour organiser son départ.

Et voilà comme l’article 19 bis A est rétabli dans la rédaction précédente voté en première lecture par l’Assemblée nationale.

Il tend à instaurer un nouveau séquençage de la rétention administrative en trois phases d’une durée respective de deux, vingt-huit et quinze jours.

Si la première et la troisième phase sont plus courtes de celle du système actuel, la deuxième est quant à elle plus longue.

La prolongation est augmentée de cinq jours supplémentaires, soit 1/4 de son temps pour 25 % de privation de liberté en plus sans contrôle judiciaire.

Il est difficile de ne pas voir dans cette nouvelle découpe du temps de la rétention administrative un opportunisme destiné à favoriser la mise en œuvre de l’éloignement.

Dans la prolongation, les consulats auront plus de temps pour délivrer les laisser-passé, l’OFPRA aura plus de temps pour se prononcer sur les demandes d’asile formulées au CRA, les préfectures auront plus de temps pour faire un routing … et les étrangers auront plus de temps en détention lors de la deuxième phase.

C’est qu’au final, la durée maximale de rétention de quarante-cinq jours n’est pas modifiée.

Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France n’a pas fini de surprendre et d’interroger tant sur sa cohérence que sur on objectif.

Il est pour l’heure renvoyé à l’examen de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Les discussions en séance publique reprendront le mardi 16 février 2016.

Des exigences de finalité et de temps dans la seconde prolongation de la rétention administrative

Le contentieux de la rétention administrative est un nœud de compétences entre le juge administratif et le juge civil. Légalité et liberté font de l’exécution des mesures d’éloignement un sujet de débat intarissable pour les praticiens du droit des étrangers. Certains voient dans cette dualité une inutile complexité procédurale tandis que d’autres valorisent cette parfaite illustration du rôle complémentaire des deux ordres juridictionnels.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011, tant le juge administratif que le juge civil cherchent de nouvelles marques à leur domaine d’intervention comme en témoignent les récentes jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de Cassation.

Le premier juge, déjà pleinement investi par la directive retour, ne s’est pas vraiment montré frileux à se saisir de cette évolution. Le second, au contraire, semble s’être retranché derrière la modification de son ordre d’intervention pour ancrer son contrôle dans un cadre plus restrictif que légaliste.

Mais les libertés publiques que le contentieux de la rétention administrative met en discussion, suscitent toutes les précautions et les vigilances des plus hautes juridictions.
En septembre dernier, la Cour de Cassation venait à sanctionner les juges d’appel pour avoir ordonné la prolongation d’une rétention administrative en jugeant « que le préfet avait effectué les diligences nécessaires en adressant après le week-end, soit trois jours après le début de la rétention, un courrier au consul de Tunisie aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire pour l’intéressé ».

Cass. Civ.1ère 23 septembre 2015 Pourvoi n° 14-25064

Dans un arrêt du 18 novembre 2015, elle se place cette fois dans le cadre d’une seconde prolongation de rétention pour affirmer que le Juge des Libertés et de la Détention doit s’assurer que les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement peuvent être surmontés à bref délai avant d’ordonner le maintien au centre pour vingt jours supplémentaires.

Cass. Civ. 1ère 18 novembre 2015 Pourvoi n° 15-14560

Les juges de la Haute Juridiction redessinent donc les contours des obligations de l’administration au sens de l’article L 554-1 du CESEDA.

  • La finalité de principe de la rétention administrative :

Au terme d’un arrêt du 19 juin 2014, la Cour d’Appel de LYON a ordonné une nouvelle prorogation de vingt jours d’une mesure de rétention en date du 24 mai 2014 sans sanctionner le défaut de diligences de l’administration pendant dix-sept jours consécutifs. Le retenu faisait alors l’objet d’une décision de remise aux autorités autrichiennes saisies de sa demande d’asile.

En retenant que les dispositions de l’article L 554-1 du CESEDA « n’imposent à l’administration qu’une finalité de principe sans poser concrètement d’exigences de temps dans l’accomplissement des diligences », les juges du second degré se sont exposés à la censure de la Cour de Cassation.

Un étranger ne peut pourtant être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. La rétention est exclusivement destinée à permettre l’exécution des mesures d’éloignement et à assureur leur effectivité.

On ne cessera jamais de répéter, de réécrire et de redire qu’aucune mesure privative de liberté ne peut être ordonnée ou prolongée sans être dûment causée. La légalité d’une telle mesure est la garantie essentielle qui prime sur tous les autres droits et corollaires.

La nécessité de la mesure doit ainsi s’apprécier tout au long de l’exécution de la rétention administrative et non pas uniquement lors de la décision initiale.

Dans son analyse de la Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le Conseil Constitutionnel avait d’ailleurs clairement signifier que les dispositions prévoyant une prolongation de la rétention pour une durée maximale de quarante-cinq jours « ne modifient pas les dispositions précitées selon lesquelles l’étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l’administration devant exercer toute diligence à cet effet » et que « l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient « .

Conseil Constitutionnel 9 juin 2011 no 2011-631 DC

C’est ainsi que la seconde prolongation de l’article L 552-7 du CESEDA ne peut intervenir que :

– soit en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public,
– soit lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire à son éloignement,
– soit lorsque, malgré les diligences de l’administration, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ou de l’absence de moyens de transport et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que l’une ou l’autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai,
– soit lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour pouvoir procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai initial de vingt jours

Il est acquis sans discussion que ces motifs sont limitatifs et strictement encadrés.

Cass Civ. 2ème 13 décembre 2001 Pourvoi n° 00-50061

Ceux-ci souffrent parfois d’une interprétation extensive. Tel est le cas de l’absence de présentation de documents de voyage par le retenu considérée selon les circonstances comme une perte ou comme une obstruction volontaire à l’éloignement.

En l’espèce, l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon se place dans la situation où la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou de l’absence de moyens de transport.

Cependant, le Préfet s’est affranchi de l’obligation de justifier de l’intervention à bref délai de ces circonstances.

En cela, le représentant de l’état a oublié que la prolongation relève d’une décision judiciaire et non d’une simple formalité administrative au regard de la finalité de la rétention administrative.

  • Des exigences de temps dans l’accomplissement des diligences :

Délier les diligences du préfet aux fins d’éloignement de l’impératif de temps relève d’une surprenante appréciation de l’article L 554-1 du CESEDA.

La durée stricte des quarante-cinq jours de rétention accompagne pourtant le « bref délai » précédemment évoqué.

Pour les juges de la Cour de Cassation, le préfet ne peut se heurter qu’à des obstacles temporaires pouvant être levés durant ces quarante-cinq jours.

L’incertitude et l’impuissance ne sont pas conciliables avec la privation de liberté consécutive à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français. Aussi le représentant de l’État ne peut-il placer en rétention un étranger que si son éloignement forcé demeure une perspective raisonnable.

Ce retournement de situation implique pour les services préfectoraux non seulement de rapporter la preuve de leurs diligences pour organiser le départ mais également de démontrer un recul sur l’activité des consulats ou l’accessibilité des transports.

Le Juge des Libertés et de la Détention ne peut donc plus se cacher derrière l’intervention éventuelle du Tribunal Administratif car c’est à lui, et à lui seul, qu’il incombe de rechercher « si les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement » sont « susceptibles d’être surmontés à bref délai ».

Il ne fait dès lors qu’exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus en décidant la remise en liberté de l’étranger lorsque le préfet n’a pas fait les diligences suffisantes pour obtenir du consulat les documents nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement.

Cass. Civ. 2ème 23 mai 2001 Pourvoi no 00-50065

En l’espèce, l’administration avait attendu dix-sept jours avant de réitérer sa demande de pièces auprès du consulat étranger : elle se devait de justifier des diligences accomplies aux fins d’obtenir la délivrance de ces éléments et d’établir que ces documents lui parviendraient avant l’expiration du délai de quarante-cinq jours.

La Cour de Cassation ne précise pas cependant comment prouver que les démarches qui sont en cours auprès des autorités consulaires lesquelles procèdent à l’étude du dossier de l’intéressé vont aboutir.

Vraisemblance ou possibilité ? La part d’imprévu qui va déterminer la nécessité du maintien en rétention administrative ressort d’acteurs extérieurs aux préfectures et à leurs services. L’arrêt du 18 novembre 2015 a le mérite à contraindre l’État à respecter un principe de célérité.

Il ne saurait pourtant en résulter que l’indisponibilité d’un consulat ou bien encore l’absence notoire de réponse à toutes demandes suffisent à caractériser les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement insusceptibles d’être surmontés durant le temps de la rétention.

Au regard de cette jurisprudence, il est indéniable que le contentieux de la rétention administrative s’inscrit dans la veine d’un renouvellement.

La dualité de compétence civile et administrative a déjà entrainé des ajustements de certaines notions comme ceux constatés en matière de voie de fait.

Au terme d’une décision du 17 juin 2013, ce principe juridique a été redéfini aux cas où l’administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.

Tribunal des Conflits 17 juin 2013 Pourvoi n°13-03911

La Cour de Cassation envoie le signal que chaque juridiction doit prendre sa compétence, chaque juge doit remplir son office dans le respect des règles de droit et des pouvoirs de contrôle que la loi lui octroie.

Le temps de la rétention administrative : Retour sur l’arrêt de la Cour de Cassation du 23 septembre 2015

Depuis la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité la durée initiale de la rétention administrative est passée de 2 à 5 jours dans le temps que sa prolongation s’est allongée en passant de 30 à 40 jours. En sus, cette réforme qui a fait grincer les dents des intervenants en droit des étrangers, a eu pour effet de retarder l’intervention du Juge des Libertés et de la Détention dans son contrôle des libertés individuelles.

Depuis lors, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté recommande dans chacun de ses rapports annuels de ramener la rétention administrative de 32 jours au total au lieu des 45 actuels. C’est parce qu’elle met en cause la liberté individuelle que la rétention, ses conditions et sa durée doivent être strictement encadrés.

Conseil Constitutionnel 20 novembre 2003 n°2003-484

Bien sûr, la première garantie du placement repose sur la nature même de cette mesure privative de liberté : la rétention ne tend qu’au maintien des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire le temps strictement nécessaire à la préparation de leur départ.

Cependant, cet objectif est parfois apprécié avec une opportuniste souplesse par les préfets qui n’hésitent pas à l’adapter pour faire primer les contraintes d’organisation du service sur celui-ci.

Face à ces dérives, la Cour de Cassation avait souligné en 2012 que la rétention administrative était exclusive d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives. Dès lors, l’assignation à résidence en alternative au placement ne pouvait jamais revêtir un caractère exceptionnel.

Cass. Civ. 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956

Au terme d’un arrêt du 23 septembre 2015, la Haute Juridiction rappelle cette fois à l’administration qu’elle est tenue à la plus grande célérité dans l’exercice des diligences qu’elle doit accomplir à effet de l’organisation du départ de l’étranger.

Cass. Civ.1ère 23 septembre 2015 Pourvoi n° 14-25064

Cet arrêt récent est l’occasion de revenir sur les exigences temporelles de la rétention administrative dont le but est l’exécution de la mesure d’éloignement et de sa mise en œuvre par le représentant de l’État.

Un temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement :

La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 précise qu’ « il convient de subordonner expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ». En droit interne comme en droit européen, l’entrave à la liberté ne peut s’inscrire que dans un cadre légal protecteur.

Ainsi la rétention administrative est strictement défini par son article 15 de la directive dite « retour » selon lequel :

« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives , puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ».

La limpidité de ces dispositions les a rendues inconditionnelles et suffisamment précises pour ne pas nécessiter d’autres éléments particuliers pour permettre leur mise en œuvre par les États membre.

CJUE 28 avril 2011 Affaire C 61/11 PPU

Elles doivent donc garantir à chaque rétention ordonnée, d’une part, le respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux des ressortissants concernés de pays tiers.

La mesure privative de liberté applicable à l’étranger en situation irrégulière ne peut avoir qu’une seule finalité, celle de préparer son retour et/ou procéder à son éloignement… Et puisque le placement est le corollaire de la décision de retour, les démarches aux fins de départ le territoire ne doivent pas faire défaut.

Aussi, la Cour de Cassation sanctionne-t-elle les juges de la Cour d’Appel de LYON pour avoir ordonné la prolongation de la rétention administrative en jugeant « que le préfet avait effectué les diligences nécessaires en adressant après le week-end, soit trois jours après le début de la rétention, un courrier au consul de Tunisie aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire pour l’intéressé ». Lorsqu’elle retient dans sa jurisprudence du 23 septembre 2015 « que la saisine des autorités consulaires était intervenue trois jours après le placement en rétention », c’est pour écarter toute inertie de confort de l’administration.

Le temps de la rétention administrative est compté, il est utile, il est contrôlé. Le Juge civil rappelle ainsi à la personne publique que l’effectivité de son pouvoir décisionnel est assujettie à un nécessaire contrôle de célérité. La durée du placement en rétention et de la prolongation est limitée au temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement.

Un temps strictement dévolu aux diligences de retour et d’organisation du départ :

Durant les cinq premiers jours de la rétention, le Préfet doit donc être réactif et surtout appliqué à se constituer des preuves de ses actions. En effet, il doit être en mesure d’établir les diligences accomplies pour mettre à exécution la mesure d’éloignement.

Là où les juges de la Cour d’Appel avaient écarté les moyens modernes de transmission (télécopie et courriel), la Cour de Cassation en a tenu compte dans son arrêt du 23 septembre 2015 au titre des exigences tenant au contentieux de l’urgence. La question se pose ainsi de déterminer le délai dans lequel les diligences préfectorales en vue d’éloignement doivent être accomplies.

La jurisprudence est évidemment plus prolixe lorsque le contrôle de l’exécution des démarches auprès des consulats et des check in concerne la seconde prolongation de la rétention administrative dans le cadre de l’article L552-7 du CESEDA. L’article L 554-1 du CESEDA suscite bien moins de développements.

En 2011, la Cour de Cassation s’est cependant interrogée sur l’exécution des diligences et leur continuité durant la mesure de placement. Dans un arrêt antérieur à la réforme issue de la Loi n° 2011-672 précitée, elle avait retenu que le fait que l’étranger ayant fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et d’une décision de placement en rétention administrative ait saisi l’OFPRA d’une demande d’asile ne justifie pas que l’administration suspende les diligences nécessaires à son départ pendant le cours de la procédure devant l’Office, l’article L 554-1 du CESEDA lui imposant d’exercer toute diligence à cet effet.

Cass. Civ. 1ère 16 juin 2011 Pourvoi n°10-18226

L’esprit de LAMARTINE est ainsi absent du CESEDA puisque le temps de la rétention administrative n’est pas suspendu

Mais la continuité n’implique pas nécessairement l’immédiateté de l’action de préparation du retour. Celle-ci ne ressort d’ailleurs pas de l’article 15 de la directive dite « retour » bien que celle-ci précise que « toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».

En 2010, la Cour de Cassation s’était saisi de cette question dans deux arrêts du 23 juin 2010 sans apporter de réponse adéquate et précise. Au terme de la première décision, elle avait retenue que les démarches nécessaires devaient être entreprises dès le placement en rétention même pendant le délai de recours devant le Tribunal Administratif.

Cass. Civ. 1ère 23 juin 2010 Pourvoi n° 09-14958

Mais dans le second arrêt, les juges s’étaient refusé de censurer une ordonnance de prolongation retenant que des vérifications s’imposaient sur la véritable nationalité de l’étranger que le temps écoulé entre son arrivée au centre de rétention administrative et la proximité du week-end ne permettaient pas d’entreprendre des démarches suffisamment étayées et sérieuses.

Cass. Civ. 1ère 23 juin 2010 Pourvoi n° 09-14065

L’arrêt du 23 septembre 2015 vient clarifier l’appréciation la situation en considérant les diligences « intervenue trois jours après le placement en rétention » comme tardives : c’est sans ambigüité qu’il convient de retenir de cette jurisprudence que l’administration est tenue d’exercer toutes diligences à cet effet dès le premier jour de la rétention.

Mais si le Préfet doit agir sans délai, il n’a pas à démontrer l’efficacité de ses démarches. Ce qui importe, c’est qu’il tente d’éloigner durant le temps de privation de liberté de l’étranger en situation irrégulière.

Dans ces tentatives, le Préfet n’est qu’un acteur parmi d’autres. Au-delà des diligences d’identification, il y a encore la reconnaissance des ressortissants et la délivrance de laissez-passer qui relèvent des autorités consulaires ainsi que l’organisation du voyage et la disponibilité des moyens transports au gré des différentes compagnies. L’attente peut donc être longue pour le migrant…

On comprend que la célérité doit de présider à l’application de l’article L 554-1 du CESEDA car durant le temps strictement nécessaire à son départ, la privation de liberté s’applique. Au centre du débat sur l’effectivité des diligences, elle est le seul enjeu, celui qui justifie d’ailleurs l’engagement d’un pourvoi en cassation jugé après la fin de la rétention administrative.

Cependant, la garantie juridique apportée par l’arrêt du 23 septembre 2015 démontre que le recours devant la Haute Juridiction n’est pas vain en la matière.

En effet et en conclusion, le projet de la Loi relatif au droit des étrangers en France du 23 juillet 2014 en cours de discussion au Sénat ne se conforme pas aux recommandations du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté sur la réduction à 32 jours de la rétention administrative.

La combinaison du référé liberté avec les différentes procédures concernant l’étranger placé en rétention administrative

Le placement en rétention administrative d’un étranger en séjour irrégulier est une décision relevant de la compétence du représentant de l’État dans le Département.

Toutefois, si la privation de liberté ressort initialement d’un arrêté préfectoral, elle n’exclut pas l’intervention des juridictions judiciaires dans le cadre de la prolongation de cette mesure.

Le contentieux de la rétention s’illustre ainsi par une double compétence du juge civil et du juge administratif qui donne lieu à une succession d’instances devant l’un et l’autre des ordres juridictionnels. Dans leur rôle respectif, le Juge des Libertés et de la Détention est le gardien des libertés individuelles tandis le Juge Administratif assure le contrôle de la légalité des actes.

Mais cette naïve distinction devient plus ténue lorsque les procédures relevant des articles R 552-17 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile et L 521-2 du Code de Justice Administrative sont initiées.

L’arrêt du Conseil d’État du 11 juin 2015 est une parfaite illustration de l’articulation complexe des compétences exclusives et/ ou concurrentes des juges civils et administratifs.

Conseil d’Etat 11 juin 2015 n° 390704

En l’espèce, un ressortissant géorgien a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français du d’assortie d’un placement en rétention administrative par le Préfet des Pyrénées Orientales. Le 13 avril 2015, son recours en annulation à l’encontre de ces décisions a été rejeté par le Tribunal Administratif de MONTPELLIER. Le lendemain, le Juge des Libertés et de la Détention a ordonné la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 20 jours.

Ce délai n’a pas permis d’éloigner l’étranger qui a été prorogé pour 20 jours supplémentaires le 4 mai 2015 par ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention. Pour autant la rétention n’a pas permis d’organiser le départ suite à deux refus d’embarquer.

L’étranger a donc été transféré le 14 mai 2015 dans un autre centre. Fort de ce changement de ressort territorial, il a saisi le Juge des Libertés et de la Détention d’une demande de remise en liberté. Le 15 mai 2015, sa requête fondée sur un avis du médecin de l’ARS saisi par l’unité médicale du Centre a, cependant, été rejetée.

Il s’est donc retourné vers le Président du Tribunal Administratif de VERSAILLES qui a fait droit à sa demande le 18 mai 2015 dans le cadre d’un référé liberté.

A l’occasion de l’appel du Ministre de l’intérieur, il convient de revenir sur cette jurisprudence dans laquelle la complexité procédurale s’affiche, portée par l’astuce des avocats et soutenue par les alternatives offertes par le législateur.

– Le principe : La procédure spéciale de l’article L. 512-1 III du CESEDA est exclusive des référés du Titre V du Code de Justice administrative :

Au soutien de son recours en annulation de l’ordonnance du 18 mai 2015, le Ministre de l’intérieur argue de l’irrecevabilité de la requête en référé liberté fondée sur l’article L 521-2 du Code de Justice Administrative.

Cette question de la compatibilité entre la procédure spéciale contre une mesure d’éloignement suite au placement en rétention administrative et celle issue du contentieux administratif général n’est pas nouvelle.

Les juges du Conseil d’État ont pris position successivement sur les dispositions du Code Justice Administrative dont l’application en association à l’article L. 512-1 III du CESEDA posait problème.

Ainsi les principes qui permettent aux présidents de tribunal administratif de rejeter, par ordonnance, des conclusions entachées d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance ne sont pas applicables au jugement des requêtes formées contre les mesures d’éloignement.

Conseil d’Etat 23 septembre 1992 n° 132388

De même, les recours dirigés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière doivent être regardés comme exclus du champ d’application des dispositions de l’article R. 153-1 du Code de Justice Administrative s’appliquant à la communication aux parties du moyens relevé d’office.

Conseil d’Etat 6 juillet 1994 n° 159288

Le législateur a également entendu exclure l’application les dispositions selon lesquelles les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ne peuvent légalement intervenir qu’après que l’intéressé a été mis à même de présenter des observations écrites ou orales.

Conseil d’Etat 14 mars 2001 n° 208923

Le caractère exclusif de la procédure spéciale de l’article L. 512-1 III du CESEDA a donc déjà balayé nombres de principes du contentieux administratif. Il trouve ici à s’appliquer aux procédures de référé dans leur ensemble.

Le Conseil d’état avait déjà exclu la possibilité d’exercer un référé suspension à l’encontre d’un arrêté décidant la reconduite à la frontière d’un étranger, la spécificité procédurale liée à cette mesure d’éloignement se traduisant par le caractère non exécutoire de arrêté pendant le délai de recours ouvert à son encontre.

Conseil d’Etat 26 janvier 2001 n° 229565

Dans l’arrêt du 11 juin 2015, il attache au référé liberté cette même exclusion et l’applique à l’ensemble des procédures fondées sur le Titre V du Code de Justice administrative.

Là encore, cette solution n’est ni innovante, ni surprenante : l’intervention du juge des référés dans le cas où les mesures par lesquelles il est procédé à l’exécution d’une mesure d’éloignement comportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait depuis l’intervention de cet arrêté, excèdent le cadre qu’implique normalement sa mise à exécution se combine avec le mécanisme particulier de l’article L. 512-1 III du CESEDA.

Conseil d’Etat 14 janvier 2005 n° 276123

– L’exception : Les effets de l’exécution de la mesure d’éloignement excédant ceux qui s’attachent normalement à sa mise à exécution en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait :

Comme en toute chose, le principe connait une exception tenant non pas à la légalité de la mesure d’éloignement ou au placement en rétention administrative mais aux effets manifestement excessifs de l’éloignement.

Ainsi la mise à exécution d’une obligation de quitter le territoire français est envisagée dans toutes ses conséquences envers le migrant et ouvre droit à une voie de recours supplémentaire en dehors des cas des articles L. 512-1 III et L 552-1 et suivants du CESEDA.

L’office du Tribunal Administratif relève, en effet, du contrôle de légalité au fond de la mesure d’éloignement et de ses corollaires. L’intervention du Juge des Libertés et de la Détention est cantonné, quant à lui, à la prolongation de rétention administratif et à son interruption en présence de circonstances nouvelles de fait ou de droit.

Dans le cadre du référé liberté, le juge de l’urgence a compétence pour prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales concernant l’exécution de la décision de retour.

La combinaison de ces différentes procédures ne peut dès lors être envisagée que dans le schéma temporel présenté par l’ordonnance du 11 juin 2015 qui se déroule au fils des étapes successives.

La compétence exclusive du Juge des Libertés et de la Détention pour mettre fin au placement en rétention en dehors des effets de l’exécution de la mesure d’éloignement est strictement affirmée par le Conseil d’État.

Conseil d’État 15 avril 2016 n°398550

L’avis du médecin de l’Agence Régionale de Santé est donc une circonstance nouvelle de fait et de droit retenant l’attention du juge administratif des référés et propre à changer la donne.

Alerté par l’unité médicale du Centre de Rétention Administrative, le MARS a le 4 mai 2015 estimé dans l’espèce que l’état de santé de l’étranger imposait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité et que le traitement approprié qui devait être poursuivi pendant un an, n’existait pas dans le pays d’origine.

C’est cet avis qui a permis au Juge des Référés de se saisir de cette situation où les modalités selon lesquelles il est procédé à l’exécution d’une telle mesure relative à l’éloignement forcé d’un étranger emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l’intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s’attachent normalement à sa mise à exécution.

Pourtant, il n’avait pas réussi à convaincre le Juge des Libertés et de la Détention dont l’appréciation de cette circonstance grave semble différer. Si cet élément nouveau oblige de représentant de l’État à procéder à un réexamen de la situation du migrant, il n’a pas permis de faire cesser la rétention administrative.

Il est curieux de considérer que la mise à exécution de la mesure d’éloignement susceptible d’intervenir à tout moment et portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté personnelle de l’étranger du fait de ses conséquences d’une exceptionnelle gravité sur son état de santé, est sans effet sur une décision de privation de liberté.

Cette divergence d’analyses témoigne de la réelle difficulté pour le juge civil d’entendre que le placement en rétention administrative doit rester une mesure exceptionnelle reposant sur des circonstances particulières conformément aux principes issus de la directive dite « retour ».

Rappelons qu’il y a un an, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait clairement affirmé que l’article 15, paragraphes 3 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que le contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté de ce ressortissant, ladite autorité étant ainsi compétente pour se fonder sur les faits et les preuves produits par l’autorité administrative l’ayant saisie ainsi que sur les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis lors de cette procédure.

CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PPU

Cette jurisprudence qui pose le principe d’un réexamen des conditions de fond ayant servi de fondement à la rétention initiale du ressortissant, n’a pas porté ses fruits.

De la rétroactivité de la loi pénale plus douce appliquée au délit de séjour irrégulier

Il y a deux ans, le législateur palliait l’impossibilité de placer en garde à vue un étranger susceptible d’avoir commis l’infraction de séjour irrégulier en adoptant la Loi du 31 décembre 2012.

La retenue pour vérification du droit au séjour trouvait sa place dans le CESEDA à l’article L 611-1-1 un peu à l’écart des mesures coercitives du Code de Procédure Pénale.

L’avènement de la retenue ne doit pas faire oublier que la loi n°2012-1560 a également modifié le régime des infractions liées au séjour irrégulier des étrangers qu’il s’agisse d’aide, d’entrée ou d’obstruction à l’éloignement.

La rédaction de l’article L 624-1 du CESEDA a tenté de s’adapter aux impératifs la directive « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 qui doit être interprétée dans le sens qu’elle s’oppose à la répression par les États membres du séjour irrégulier par des sanctions pénales d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention.

C’est dans cet esprit que les juges de la Chambre Criminelle ont annulé un arrêt de la Cour d’Appel de LYON du 30 août 2013 condamnant un étranger en situation irrégulière à une peine d’un an d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du territoire français pour soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière en récidive.

Cass. Crim. 1er avril 2015 Pourvoi n° 13-86418

Le 13 mars 2012, le Préfet du GARD a pris à l’encontre du prévenu obligation de quitter le territoire national. Quelques mois plus tard, l’étranger était condamné pour soustraction à une mesure d’exécution par décision du 7 septembre 2012. Sous le coup de la mesure d’éloignement précitée, il avait refusé d’embarquer à bord d’un avion en partance pour l’étranger.

A sa sortie de la maison d’arrêt le 24 octobre 2012, l’étranger s’est vu notifié un arrêté de rétention administrative pris par le Préfet du RHÔNE. La mesure privative de liberté succédait immédiatement à l’exécution de la condamnation pénale.

Mais moins de 3 heures après le placement, l’étranger était conduit à l’embarquement et s’opposait avec force à son éloignement.

La tentative avortée de reconduite est intervenue avant l’expiration du délai de recours de 48 heures contre l’arrêté de placement en rétention administrative, sans que l’étranger puisse user de ce droit.

Poursuivi une nouvelle fois pour soustraction à une mesure d’exécution de l’obligation de quitter le territoire français, l’étranger est condamné par la Cour d’Appel de LYON en état de récidive légale.

L’arrêt de la Cour de Cassation de 1er avril 2015 ouvre une discussion sur la force normative de la directive « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 conjugué au principe issu du droit interne de la rétroactivité de la loi pénale plus douce.

De l’application dans le temps de la loi pénale plus douce :

La rétroactivité de la loi pénale plus douce dérive du principe de nécessité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Au terme d’un arrêt du 20 janvier 1981, les sages de la République ont reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe lors de l’examen de la Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes soumise à leur contrôle.

Conseil Constitutionnel 20 janvier 1981, no 80-127 DC

Aussi l’article 112-1 du Code Pénal précise-t-il que « les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ».

On doit à la procédure de question prioritaire de constitutionnalité d’avoir rappelé que le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires.

Conseil Constitutionnel 3 décembre 2010, n° 2010-74 QPC

L’application de ce principe de clémence collective n’est donc ni poussiéreux, ni légendaire dans le temps judiciaire.

La Cour de Cassation l’a appliqué tout naturellement au délit de soustraction à une mesure d’exécution d’une obligation de quitter le territoire français modifié par la Loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012.

La Cour d’Appel de Lyon ne s’était pas saisi de cette rétroactivité du texte d’incrimination devant « la volonté délibérée et persistante de l’intéressé de se maintenir sur le territoire français » malgré la décision d’éloignement prise par un arrêté du préfet du Gard le 13 mars 2012.

Pourtant la rédaction nouvelle de l’article L 624-1 du CESEDA incriminant le fait pour tout étranger qui, faisant l’objet d’une mesure d’éloignement s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire français sans motif légitime, après avoir fait l’objet d’une mesure régulière de placement en rétention ou d’assignation à résidence ayant pris fin sans qu’il ait pu être procédé à son éloignement devait bénéficier au prévenu.

Le délit ne pouvait dès lors être constitué en tous ses éléments avant que le délai maximal de la rétention administrative ne soit expiré, à savoir quarante cinq jours.

Les juges de la Haute Cour ne s’y sont pas trompé et ont sanctionné par la même un usage de l’article L 551-1 du CESEDA sans considération des impératifs de nécessité et proportionnalité imposés par la législation européenne.

La tentative d’éloignement étant intervenue quelques heures après la sortie de maison d’arrêt, il n’y avait pas lieu à maintien au Centre de Rétention de l’étranger « pour le temps strictement nécessaire à son départ ».

De la Conformité du raisonnement aux principes issus de la directive retour :

L’arrêt du 1er avril 2015 démontre –si besoin était- à quel point le juge français peine à intégrer la législation européenne dans son appréciation. Dire le droit relève désormais du calcul d’une aire hexagonale dans une géométrie Schengen.

L’interprétation des dispositions de la Directive « retour » est donc régulièrement à l’origine d’interrogations sur sa compatibilité avec le droit interne en matière de rétention administrative et d’infractions à la législation des étrangers.

C’est ainsi qu’en 2012, la Cour de Cassation a admis que cette directive s’oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier par une peine d’emprisonnement.

Cass. Crim. Avis n° 9002 du 5 juin 2012

Cass. Civ 1ère 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30371

Cass. Civ 1ère 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-19250

Cass. Civ 1ère 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30530

Le 28 janvier 2015, la même directive a conduit les juges de cassation à saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle portant sur l’article L 621-2 du CESEDA réprimant l’infraction d’entrée irrégulière.

Cass. Civ. 1ère 28 janvier 2015 Pourvoi n°13-28349

En l’espèce, les juges de la haute Cour retiennent qu’un étranger ayant fait l’objet d’un placement en rétention administrative ou d’une assignation à résidence ne peut être poursuivi du chef de soustraction à l’exécution d’une décision de reconduite à la frontière que si ces mesures administratives ont pris fin sans qu’il ait été procédé à son éloignement après avoir posé dans son analyse le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce.

L’infraction de soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement et l’état de récidive légale qui l’accompagne sont donc écartés.

On ne manquera pas de noter que deux articles du texte du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008, les articles 8 et 15 se trouvent au cœur des différents pourvois évoqués.

Seules les dispositions s’appliquant aux mesures privatives de liberté telles que la garde à vue, la rétention administrative ou l’emprisonnement délictuel sont en cause. Seules les terminologies de « nécessaires », « suffisantes » et « moins coercitives » propres à ces mesure sont d’interprétation délicate. Seul l’encadrement des restrictions à la liberté d’aller et de venir prête semble donc à discussion…

Les Lois n°2011-672 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité du 16 juin 2011 et n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour suscitent donc de nombreux développements.

Certains diront que la transposition indélicate de la directive « retour » en droit interne est à l’origine. D’autres penseront que les arrêts récents de la Cour de Justice de l’Union Européenne démontrent les difficulté d’adaptation d’un texte commun dans des systèmes juridiques différents.

Sans doute faut-il voir une évolution dans la pratique des juges de l’ordre judiciaire qui se désinvestissent du contentieux des migrants au profit des Tribunaux administratifs. Depuis trois ans, l’intervention du juge administratif préalablement au juge judiciaire dans le contentieux de la rétention administrative a changé le paysage jurisprudentiel.

Le gardien des libertés individuelles redessine son rôle dans la subsidiarité du juge de la légalité.
Pourtant, c’est bien dans une conception inverse que la directive « retour » le place : dans l’arrêt du 5 juin 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne relève, en effet, que le contrôle portant sur la nécessité et la proportionnalité s’applique non seulement au placement en rétention administrative mais également à sa prolongation.

CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PP

Les juges de cassation n’ont donc pas fini de se prononcer sur le cadre légal des mesures privatives de liberté intéressant le droit des étrangers.

D’autant qu’au-delà de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, la protection de l’exercice d’une voie de recours s’est insidieusement invité dans l’arrêt du 1er avril 2015, la Cour d’Appel de Lyon ayant relevé que ni le recours contre al décision de placement en rétention, ni le délai pour l’exercer ne pouvaient suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement.

La coïncidence veut que c’est le jour où les juges de cassation ont rendu leur arrêt que le Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 modifiant les pratiques judiciaires et conditionnant la saisine des juridictions civiles à l’accomplissement de diligences préalables en vue de parvenir à une résolution amiable du litige est entré en vigueur.

Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, l’exercice d’un recours contentieux se voit désormais encadrer par un préliminaire de discussions qui tend à limiter l’accès au juge.

Le droit d’ester en justice demeure, cependant, une liberté fondamentale garantie par la Déclaration des Droits l’Homme et du Citoyen et consacrée par le Conseil Constitutionnel au terme de sa décision du 25 juillet 1989.

Conseil Constitutionnel 25 juillet 1989 – Décision N° 89-257 DC

Forte de ce principe, la Cour de Cassation ne manque pas de rappeler régulièrement que l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue donc un droit qui ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

Cass. Civ. 2ème 11 janvier 1973 Pourvoi n° 71-12446

Cass. Civ. 3ème 10 octobre 2012 Pourvoi n° 11-15473

Cass. Civ. 1ère 24 avril 2013 Pourvoi n° 11-26597

C’est dans cet esprit que les juges de la Chambre Criminelle ont annulé un arrêt de la Cour d’Appel de LYON du 30 août 2013.

Cass. Crim. 1er avril 2015 Pourvoi n° 13-86418

Les nouvelles limites du contrôle juridictionnel du Juge des Libertés et de la Détention en matière de rétention administrative

Cela fait trois ans maintenant que la Loi n°2011-672 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité du 16 juin 2011 a été adoptée.

Depuis son entrée vigueur, elle a modifiée l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire dans le contentieux de la rétention administrative.

Ce changement de pratique est de nouveau en lumière suite à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 5 juin 2014.

Les limites d’intervention l’un et l’autre juge semblent continuer d’évoluer devant les précisions apportées sur l’interprétation de la législation européenne.

L’état actuel du contrôle de la mesure la moins coercitive :

Le placement en rétention administrative ne ressort d’un choix entre plusieurs alternatives : la privation est l’ultime solution à défaut d’une autre « mesure la moins coercitive ».

Aussi l’arrêté préfectoral décidant le placement doit-il parfaitement motivé le recours à cette mesure sous peine d’être annulé par le juge administratif.

Entre l’assignation à résidence ab initio avec ou sans placement sous surveillance électronique, le CESEDA prévoit plusieurs possibilités de parvenir à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire.

Le choix du Préfet ne tient pas de l’opportunité mais des impératifs de nécessité et proportionnalité en vertu de l’article 15 de la directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

Les Tribunaux administratifs contrôlent l’application de la règle de droit dans le cadre de l’analyse de la légalité de l’arrêté préfectoral.

Si la décision est d’entachée d’irrégularité, ils prononcent alors l’annulation du placement en rétention administrative.

Mais si elle est survie au contentieux de l’excès de pouvoir, la mesure échappe ensuite au juge administratif …

C’est le juge civil qui prend la main au-delà d’une durée de rétention de cinq jours.

Le juge des Libertés et de la Détention a seul compétence pour ordonner la prolongation de la mesure, la refuser ou lui substituer l’assignation à résidence à des conditions limitatives.

Pour autant, il ne tient pas compte des impératifs de nécessité et de proportionnalité dans le contentieux du maintien au CRA au-delà du délai initial.

L’arrêt récent de la Cour de Justice de l’Union Européenne risque cependant de changer l’office du juge civil.

Un nouveau domaine de pleine juridiction :

En 2012, la Cour de Cassation avait rappelé l’importance de la législation européenne dans le contentieux de prolongation de la rétention administrative en retenant :

« qu’il résulte de la combinaison des paragraphes 1, 4 et 5 de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil, qui est d’effet direct, que l’assignation à résidence ne peut jamais revêtir un caractère exceptionnel ».

Cass. Civ 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956

L’écho de cet arrêt a cependant été largement contenu et n’a pas contraint le juge des Libertés et de la Détention à redéfinir son champ de compétence.

La Cour de Justice de l’Union Européenne vient bousculer les pratiques suite d’une question préjudicielle d’un tribunal bulgare.

Il convient de rappeler que la directive dite retour 2008/115 préconisent aux juridictions des États membres de « veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente ».

Ainsi, la législation européenne insiste sur le fait que « le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».

Dans son analyse et l’interprétation de la directive, la Cour de Justice va plus loin encore :

« Force est ainsi de relever qu’une autorité judiciaire statuant sur la possibilité de prolonger la rétention initiale doit obligatoirement procéder à un contrôle de ladite rétention, même si ce contrôle n’a pas été expressément demandé par l’autorité l’ayant saisie et même si la rétention du ressortissant concerné a déjà fait l’objet d’un réexamen par l’autorité ayant ordonné la rétention initiale ».

L’arrêt du 5 juin 2014 relève donc que le contrôle portant sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure privative de liberté s’applique non seulement au placement au CRA mais également à sa prolongation.

En cela, les juges européens suivent le sens de la brise soufflée par Monsieur MACIEJ SZPUNAR, avocat général, lors sa prise de position présentée le 14 mai 2014 qui demande aux juridictions nationales :

– « d’assumer une pleine juridiction » dans le cadre de cette prolongation,
– « de poursuivre activement et de manière continue et non-interrompue » les diligences nécessaires au départ.

Cette interprétation revient à redéfinir le rôle et les pouvoirs du Juge des Libertés et de la Détention en droit français.

En effet, dans le cadre d’une demande de première prolongation de 20 jours, il ne peut plus seulement constater la « violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles » faisant grief pour rendre une ordonnance de son surveillance.

La prolongation de rétention implique un réexamen des conditions de fond ayant servi de fondement à la rétention initiale du ressortissant concerné

Par ailleurs, dans le cadre d’une seconde prolongation de 20 jours supplémentaires, il ne peut plus retenir que la condition tenant « de la perte ou de la destruction des documents de voyage » est remplie en l’absence de passeport ou de pièce d’identité de l’étranger.

Un «manque de coopération» du retenu ayant empêché son éloignement durant le vingt cinq premiers jours de rétention doit être caractérisé.

En conséquence, toute restriction légale limitant son contrôle et notamment celle des articles L552-13 et L 552-7 du CESEDA semblent donc s’opposer aux dispositions de l’article 15 de la directive retour.

Mais il existe une réelle interrogation sur la façon dans cette jurisprudence sera accueillie et mise en œuvre.

2) L’article 15, paragraphes 3 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que le contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté de ce ressortissant, ladite autorité étant ainsi compétente pour se fonder sur les faits et les preuves produits par l’autorité administrative l’ayant saisie ainsi que sur les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis lors de cette procédure.

4) L’article 15, paragraphe 6, sous a), de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, n’a pas obtenu un document d’identité qui aurait permis son éloignement de l’État membre intéressé peut être considéré comme ayant fait preuve d’un «manque de coopération», au sens de cette disposition, uniquement s’il résulte de l’examen du comportement dudit ressortissant au cours de la période de rétention que ce dernier n’a pas coopéré à la mise en œuvre de l’opération d’éloignement et qu’il est probable que cette opération dure plus longtemps que prévu à cause de ce comportement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PPU