Depuis le 20 juillet dernier, les débats sont en cours sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
De l’assemblée nationale au sénat, le processus législatif a suivi son cours en 2015 dans le contexte d’une actualité tendue et troublée par le séisme terroriste.
Le 26 janvier 2016, le texte a été adopté en nouvelle lecture à l’assemblée nationale par la commission des lois après de nouveaux amendements.
C’est ainsi que l’article 1ER A adopté au Sénat prévoyant la possibilité pour le Parlement de déterminer le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France par période de trois ans a été supprimé.
L’amendement N°CL100 présenté par Monsieur BINET, rapporteur, a évité l’instauration d’un système de quotas déterminés par le Parlement pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile.
A son retour à l’assemblée nationale, la rétention administrative telle que prévue dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France a elle aussi été retouchée.
La question qui se pose est de savoir si cette mesure privative de liberté sera –encore- réformée après la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011.
- Vers une modification de l’ordre d’intervention des deux ordres juridictionnels :
Il y a quatre ans, le Juge des Libertés et la Détention s’était fait évincer de sa place de primo intervenant dan le contentieux de la rétention administrative.
Jusqu’alors, il n’était amené à statuer juste avant la fin du délai de cinq jours de la rétention administrative initiale aux fins de prolongation de la mesure.
Le Juge Administratif procédait au contrôle de la légalité du placement dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir avant que le Juge Civil vérifie la protection de la liberté individuelle sur saisine de Monsieur le Préfet.
Le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté n’avait jamais caché son opposition à cette organisation, directe conséquence de l’allongement de la rétention administrative.
Dans son rapport d’activité 2012, il relevait que « 2012 est la première année complète d’application de la loi du 16 juin 2011 (relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité) qui modifie et amplifie les possibilités de recours à l’assignation à résidence (puisque désormais la rétention n’est possible que lorsque d’autres mesures sont inefficientes) et parallèlement, allonge la durée de la rétention, qui passe de 32 jours (au maximum) à 45 jours (au maximum) : une durée administrative de 5 jours au plus, suivie de deux périodes de 20 jours autorisées par le juge judiciaire ».
Dans ses rapports suivants, il n’a cessé de prôner le retour de la rétention administrative à une durée de 32 jours au total au lieu des 45.
Il a enfin été entendu…ou plutôt à moitié écouté.
Messieurs BINET, CORONADO et MOLAC ont déposé deux amendements N°CL37 et N°CL155 tendant modifié l’article 19 du projet de loi relatif au droit des étrangers en France limitant à quarante-huit heures la durée du placement en rétention décidé par l’autorité administrative.
La commission des lois a adopté ces deux modifications permettant de rétablir la rédaction du texte adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale.
Le juge des Libertés et de la Détention devrait dès lors être saisi à l’expiration de la période de quarante-huit heures, et non plus après cinq jours pour autoriser la prolongation de la rétention.
Il redeviendrait le premier juge à faire face aux retenus.
Les causes de ce changement résideraient dans une volonté d’éviter de couvrir les irrégularités de procédure tenant aux contrôles illégaux, à l’absence d’interprète durant la garde à vue, la privation de liberté abusive les entraves à l’accès au médecin ou à l’avocat.
Dans son rapport de mai 2013, Matthias FEKL considérait que la situation actuelle « contrevient à l’évidence aux exigences de l’État de droit, au regard de la nécessité d’assurer une protection effective de la liberté individuelle ».
- L’orée d’un nouveau séquençage de la rétention administrative :
Au vu de ce qui précède, on pourrait légitiment se dire que la réduction de la rétention administrative initiale prise par le Préfet ne peut conduire qu’à une diminution de la durée globale de la mesure, prolongations comprises.
Mais ce serait bien naïf de penser que les préconisations du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté et du rapport « Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France » seraient suivies dans leur intégralité.
Cela reviendrait à ne laisser la puissance publique disposer que d’un délai de trente-deux jours pour éloigner un étranger, objet d’une mesure d’éloignement.
Alors que l’amendement N°CL156 prévoit une solution plus « adaptée » aux moyens à disposition de l’administration pour organiser son départ.
Et voilà comme l’article 19 bis A est rétabli dans la rédaction précédente voté en première lecture par l’Assemblée nationale.
Il tend à instaurer un nouveau séquençage de la rétention administrative en trois phases d’une durée respective de deux, vingt-huit et quinze jours.
Si la première et la troisième phase sont plus courtes de celle du système actuel, la deuxième est quant à elle plus longue.
La prolongation est augmentée de cinq jours supplémentaires, soit 1/4 de son temps pour 25 % de privation de liberté en plus sans contrôle judiciaire.
Il est difficile de ne pas voir dans cette nouvelle découpe du temps de la rétention administrative un opportunisme destiné à favoriser la mise en œuvre de l’éloignement.
Dans la prolongation, les consulats auront plus de temps pour délivrer les laisser-passé, l’OFPRA aura plus de temps pour se prononcer sur les demandes d’asile formulées au CRA, les préfectures auront plus de temps pour faire un routing … et les étrangers auront plus de temps en détention lors de la deuxième phase.
C’est qu’au final, la durée maximale de rétention de quarante-cinq jours n’est pas modifiée.
Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France n’a pas fini de surprendre et d’interroger tant sur sa cohérence que sur on objectif.
Il est pour l’heure renvoyé à l’examen de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Les discussions en séance publique reprendront le mardi 16 février 2016.