Le contentieux de la rétention administrative est un nœud de compétences entre le juge administratif et le juge civil. Légalité et liberté font de l’exécution des mesures d’éloignement un sujet de débat intarissable pour les praticiens du droit des étrangers. Certains voient dans cette dualité une inutile complexité procédurale tandis que d’autres valorisent cette parfaite illustration du rôle complémentaire des deux ordres juridictionnels.
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011, tant le juge administratif que le juge civil cherchent de nouvelles marques à leur domaine d’intervention comme en témoignent les récentes jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de Cassation.
Le premier juge, déjà pleinement investi par la directive retour, ne s’est pas vraiment montré frileux à se saisir de cette évolution. Le second, au contraire, semble s’être retranché derrière la modification de son ordre d’intervention pour ancrer son contrôle dans un cadre plus restrictif que légaliste.
Mais les libertés publiques que le contentieux de la rétention administrative met en discussion, suscitent toutes les précautions et les vigilances des plus hautes juridictions.
En septembre dernier, la Cour de Cassation venait à sanctionner les juges d’appel pour avoir ordonné la prolongation d’une rétention administrative en jugeant « que le préfet avait effectué les diligences nécessaires en adressant après le week-end, soit trois jours après le début de la rétention, un courrier au consul de Tunisie aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire pour l’intéressé ».
Cass. Civ.1ère 23 septembre 2015 Pourvoi n° 14-25064
Dans un arrêt du 18 novembre 2015, elle se place cette fois dans le cadre d’une seconde prolongation de rétention pour affirmer que le Juge des Libertés et de la Détention doit s’assurer que les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement peuvent être surmontés à bref délai avant d’ordonner le maintien au centre pour vingt jours supplémentaires.
Cass. Civ. 1ère 18 novembre 2015 Pourvoi n° 15-14560
Les juges de la Haute Juridiction redessinent donc les contours des obligations de l’administration au sens de l’article L 554-1 du CESEDA.
- La finalité de principe de la rétention administrative :
Au terme d’un arrêt du 19 juin 2014, la Cour d’Appel de LYON a ordonné une nouvelle prorogation de vingt jours d’une mesure de rétention en date du 24 mai 2014 sans sanctionner le défaut de diligences de l’administration pendant dix-sept jours consécutifs. Le retenu faisait alors l’objet d’une décision de remise aux autorités autrichiennes saisies de sa demande d’asile.
En retenant que les dispositions de l’article L 554-1 du CESEDA « n’imposent à l’administration qu’une finalité de principe sans poser concrètement d’exigences de temps dans l’accomplissement des diligences », les juges du second degré se sont exposés à la censure de la Cour de Cassation.
Un étranger ne peut pourtant être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. La rétention est exclusivement destinée à permettre l’exécution des mesures d’éloignement et à assureur leur effectivité.
On ne cessera jamais de répéter, de réécrire et de redire qu’aucune mesure privative de liberté ne peut être ordonnée ou prolongée sans être dûment causée. La légalité d’une telle mesure est la garantie essentielle qui prime sur tous les autres droits et corollaires.
La nécessité de la mesure doit ainsi s’apprécier tout au long de l’exécution de la rétention administrative et non pas uniquement lors de la décision initiale.
Dans son analyse de la Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le Conseil Constitutionnel avait d’ailleurs clairement signifier que les dispositions prévoyant une prolongation de la rétention pour une durée maximale de quarante-cinq jours « ne modifient pas les dispositions précitées selon lesquelles l’étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l’administration devant exercer toute diligence à cet effet » et que « l’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient « .
Conseil Constitutionnel 9 juin 2011 no 2011-631 DC
C’est ainsi que la seconde prolongation de l’article L 552-7 du CESEDA ne peut intervenir que :
– soit en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public,
– soit lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire à son éloignement,
– soit lorsque, malgré les diligences de l’administration, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ou de l’absence de moyens de transport et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que l’une ou l’autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai,
– soit lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour pouvoir procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai initial de vingt jours
Il est acquis sans discussion que ces motifs sont limitatifs et strictement encadrés.
Cass Civ. 2ème 13 décembre 2001 Pourvoi n° 00-50061
Ceux-ci souffrent parfois d’une interprétation extensive. Tel est le cas de l’absence de présentation de documents de voyage par le retenu considérée selon les circonstances comme une perte ou comme une obstruction volontaire à l’éloignement.
En l’espèce, l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon se place dans la situation où la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou de l’absence de moyens de transport.
Cependant, le Préfet s’est affranchi de l’obligation de justifier de l’intervention à bref délai de ces circonstances.
En cela, le représentant de l’état a oublié que la prolongation relève d’une décision judiciaire et non d’une simple formalité administrative au regard de la finalité de la rétention administrative.
- Des exigences de temps dans l’accomplissement des diligences :
Délier les diligences du préfet aux fins d’éloignement de l’impératif de temps relève d’une surprenante appréciation de l’article L 554-1 du CESEDA.
La durée stricte des quarante-cinq jours de rétention accompagne pourtant le « bref délai » précédemment évoqué.
Pour les juges de la Cour de Cassation, le préfet ne peut se heurter qu’à des obstacles temporaires pouvant être levés durant ces quarante-cinq jours.
L’incertitude et l’impuissance ne sont pas conciliables avec la privation de liberté consécutive à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français. Aussi le représentant de l’État ne peut-il placer en rétention un étranger que si son éloignement forcé demeure une perspective raisonnable.
Ce retournement de situation implique pour les services préfectoraux non seulement de rapporter la preuve de leurs diligences pour organiser le départ mais également de démontrer un recul sur l’activité des consulats ou l’accessibilité des transports.
Le Juge des Libertés et de la Détention ne peut donc plus se cacher derrière l’intervention éventuelle du Tribunal Administratif car c’est à lui, et à lui seul, qu’il incombe de rechercher « si les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement » sont « susceptibles d’être surmontés à bref délai ».
Il ne fait dès lors qu’exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus en décidant la remise en liberté de l’étranger lorsque le préfet n’a pas fait les diligences suffisantes pour obtenir du consulat les documents nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement.
Cass. Civ. 2ème 23 mai 2001 Pourvoi no 00-50065
En l’espèce, l’administration avait attendu dix-sept jours avant de réitérer sa demande de pièces auprès du consulat étranger : elle se devait de justifier des diligences accomplies aux fins d’obtenir la délivrance de ces éléments et d’établir que ces documents lui parviendraient avant l’expiration du délai de quarante-cinq jours.
La Cour de Cassation ne précise pas cependant comment prouver que les démarches qui sont en cours auprès des autorités consulaires lesquelles procèdent à l’étude du dossier de l’intéressé vont aboutir.
Vraisemblance ou possibilité ? La part d’imprévu qui va déterminer la nécessité du maintien en rétention administrative ressort d’acteurs extérieurs aux préfectures et à leurs services. L’arrêt du 18 novembre 2015 a le mérite à contraindre l’État à respecter un principe de célérité.
Il ne saurait pourtant en résulter que l’indisponibilité d’un consulat ou bien encore l’absence notoire de réponse à toutes demandes suffisent à caractériser les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement insusceptibles d’être surmontés durant le temps de la rétention.
Au regard de cette jurisprudence, il est indéniable que le contentieux de la rétention administrative s’inscrit dans la veine d’un renouvellement.
La dualité de compétence civile et administrative a déjà entrainé des ajustements de certaines notions comme ceux constatés en matière de voie de fait.
Au terme d’une décision du 17 juin 2013, ce principe juridique a été redéfini aux cas où l’administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.
Tribunal des Conflits 17 juin 2013 Pourvoi n°13-03911
La Cour de Cassation envoie le signal que chaque juridiction doit prendre sa compétence, chaque juge doit remplir son office dans le respect des règles de droit et des pouvoirs de contrôle que la loi lui octroie.