Le temps de la rétention administrative : Retour sur l’arrêt de la Cour de Cassation du 23 septembre 2015

Depuis la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité la durée initiale de la rétention administrative est passée de 2 à 5 jours dans le temps que sa prolongation s’est allongée en passant de 30 à 40 jours. En sus, cette réforme qui a fait grincer les dents des intervenants en droit des étrangers, a eu pour effet de retarder l’intervention du Juge des Libertés et de la Détention dans son contrôle des libertés individuelles.

Depuis lors, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté recommande dans chacun de ses rapports annuels de ramener la rétention administrative de 32 jours au total au lieu des 45 actuels. C’est parce qu’elle met en cause la liberté individuelle que la rétention, ses conditions et sa durée doivent être strictement encadrés.

Conseil Constitutionnel 20 novembre 2003 n°2003-484

Bien sûr, la première garantie du placement repose sur la nature même de cette mesure privative de liberté : la rétention ne tend qu’au maintien des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire le temps strictement nécessaire à la préparation de leur départ.

Cependant, cet objectif est parfois apprécié avec une opportuniste souplesse par les préfets qui n’hésitent pas à l’adapter pour faire primer les contraintes d’organisation du service sur celui-ci.

Face à ces dérives, la Cour de Cassation avait souligné en 2012 que la rétention administrative était exclusive d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives. Dès lors, l’assignation à résidence en alternative au placement ne pouvait jamais revêtir un caractère exceptionnel.

Cass. Civ. 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956

Au terme d’un arrêt du 23 septembre 2015, la Haute Juridiction rappelle cette fois à l’administration qu’elle est tenue à la plus grande célérité dans l’exercice des diligences qu’elle doit accomplir à effet de l’organisation du départ de l’étranger.

Cass. Civ.1ère 23 septembre 2015 Pourvoi n° 14-25064

Cet arrêt récent est l’occasion de revenir sur les exigences temporelles de la rétention administrative dont le but est l’exécution de la mesure d’éloignement et de sa mise en œuvre par le représentant de l’État.

Un temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement :

La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 précise qu’ « il convient de subordonner expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ». En droit interne comme en droit européen, l’entrave à la liberté ne peut s’inscrire que dans un cadre légal protecteur.

Ainsi la rétention administrative est strictement défini par son article 15 de la directive dite « retour » selon lequel :

« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives , puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ».

La limpidité de ces dispositions les a rendues inconditionnelles et suffisamment précises pour ne pas nécessiter d’autres éléments particuliers pour permettre leur mise en œuvre par les États membre.

CJUE 28 avril 2011 Affaire C 61/11 PPU

Elles doivent donc garantir à chaque rétention ordonnée, d’une part, le respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux des ressortissants concernés de pays tiers.

La mesure privative de liberté applicable à l’étranger en situation irrégulière ne peut avoir qu’une seule finalité, celle de préparer son retour et/ou procéder à son éloignement… Et puisque le placement est le corollaire de la décision de retour, les démarches aux fins de départ le territoire ne doivent pas faire défaut.

Aussi, la Cour de Cassation sanctionne-t-elle les juges de la Cour d’Appel de LYON pour avoir ordonné la prolongation de la rétention administrative en jugeant « que le préfet avait effectué les diligences nécessaires en adressant après le week-end, soit trois jours après le début de la rétention, un courrier au consul de Tunisie aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire pour l’intéressé ». Lorsqu’elle retient dans sa jurisprudence du 23 septembre 2015 « que la saisine des autorités consulaires était intervenue trois jours après le placement en rétention », c’est pour écarter toute inertie de confort de l’administration.

Le temps de la rétention administrative est compté, il est utile, il est contrôlé. Le Juge civil rappelle ainsi à la personne publique que l’effectivité de son pouvoir décisionnel est assujettie à un nécessaire contrôle de célérité. La durée du placement en rétention et de la prolongation est limitée au temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement.

Un temps strictement dévolu aux diligences de retour et d’organisation du départ :

Durant les cinq premiers jours de la rétention, le Préfet doit donc être réactif et surtout appliqué à se constituer des preuves de ses actions. En effet, il doit être en mesure d’établir les diligences accomplies pour mettre à exécution la mesure d’éloignement.

Là où les juges de la Cour d’Appel avaient écarté les moyens modernes de transmission (télécopie et courriel), la Cour de Cassation en a tenu compte dans son arrêt du 23 septembre 2015 au titre des exigences tenant au contentieux de l’urgence. La question se pose ainsi de déterminer le délai dans lequel les diligences préfectorales en vue d’éloignement doivent être accomplies.

La jurisprudence est évidemment plus prolixe lorsque le contrôle de l’exécution des démarches auprès des consulats et des check in concerne la seconde prolongation de la rétention administrative dans le cadre de l’article L552-7 du CESEDA. L’article L 554-1 du CESEDA suscite bien moins de développements.

En 2011, la Cour de Cassation s’est cependant interrogée sur l’exécution des diligences et leur continuité durant la mesure de placement. Dans un arrêt antérieur à la réforme issue de la Loi n° 2011-672 précitée, elle avait retenu que le fait que l’étranger ayant fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et d’une décision de placement en rétention administrative ait saisi l’OFPRA d’une demande d’asile ne justifie pas que l’administration suspende les diligences nécessaires à son départ pendant le cours de la procédure devant l’Office, l’article L 554-1 du CESEDA lui imposant d’exercer toute diligence à cet effet.

Cass. Civ. 1ère 16 juin 2011 Pourvoi n°10-18226

L’esprit de LAMARTINE est ainsi absent du CESEDA puisque le temps de la rétention administrative n’est pas suspendu

Mais la continuité n’implique pas nécessairement l’immédiateté de l’action de préparation du retour. Celle-ci ne ressort d’ailleurs pas de l’article 15 de la directive dite « retour » bien que celle-ci précise que « toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».

En 2010, la Cour de Cassation s’était saisi de cette question dans deux arrêts du 23 juin 2010 sans apporter de réponse adéquate et précise. Au terme de la première décision, elle avait retenue que les démarches nécessaires devaient être entreprises dès le placement en rétention même pendant le délai de recours devant le Tribunal Administratif.

Cass. Civ. 1ère 23 juin 2010 Pourvoi n° 09-14958

Mais dans le second arrêt, les juges s’étaient refusé de censurer une ordonnance de prolongation retenant que des vérifications s’imposaient sur la véritable nationalité de l’étranger que le temps écoulé entre son arrivée au centre de rétention administrative et la proximité du week-end ne permettaient pas d’entreprendre des démarches suffisamment étayées et sérieuses.

Cass. Civ. 1ère 23 juin 2010 Pourvoi n° 09-14065

L’arrêt du 23 septembre 2015 vient clarifier l’appréciation la situation en considérant les diligences « intervenue trois jours après le placement en rétention » comme tardives : c’est sans ambigüité qu’il convient de retenir de cette jurisprudence que l’administration est tenue d’exercer toutes diligences à cet effet dès le premier jour de la rétention.

Mais si le Préfet doit agir sans délai, il n’a pas à démontrer l’efficacité de ses démarches. Ce qui importe, c’est qu’il tente d’éloigner durant le temps de privation de liberté de l’étranger en situation irrégulière.

Dans ces tentatives, le Préfet n’est qu’un acteur parmi d’autres. Au-delà des diligences d’identification, il y a encore la reconnaissance des ressortissants et la délivrance de laissez-passer qui relèvent des autorités consulaires ainsi que l’organisation du voyage et la disponibilité des moyens transports au gré des différentes compagnies. L’attente peut donc être longue pour le migrant…

On comprend que la célérité doit de présider à l’application de l’article L 554-1 du CESEDA car durant le temps strictement nécessaire à son départ, la privation de liberté s’applique. Au centre du débat sur l’effectivité des diligences, elle est le seul enjeu, celui qui justifie d’ailleurs l’engagement d’un pourvoi en cassation jugé après la fin de la rétention administrative.

Cependant, la garantie juridique apportée par l’arrêt du 23 septembre 2015 démontre que le recours devant la Haute Juridiction n’est pas vain en la matière.

En effet et en conclusion, le projet de la Loi relatif au droit des étrangers en France du 23 juillet 2014 en cours de discussion au Sénat ne se conforme pas aux recommandations du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté sur la réduction à 32 jours de la rétention administrative.

La combinaison du référé liberté avec les différentes procédures concernant l’étranger placé en rétention administrative

Le placement en rétention administrative d’un étranger en séjour irrégulier est une décision relevant de la compétence du représentant de l’État dans le Département.

Toutefois, si la privation de liberté ressort initialement d’un arrêté préfectoral, elle n’exclut pas l’intervention des juridictions judiciaires dans le cadre de la prolongation de cette mesure.

Le contentieux de la rétention s’illustre ainsi par une double compétence du juge civil et du juge administratif qui donne lieu à une succession d’instances devant l’un et l’autre des ordres juridictionnels. Dans leur rôle respectif, le Juge des Libertés et de la Détention est le gardien des libertés individuelles tandis le Juge Administratif assure le contrôle de la légalité des actes.

Mais cette naïve distinction devient plus ténue lorsque les procédures relevant des articles R 552-17 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile et L 521-2 du Code de Justice Administrative sont initiées.

L’arrêt du Conseil d’État du 11 juin 2015 est une parfaite illustration de l’articulation complexe des compétences exclusives et/ ou concurrentes des juges civils et administratifs.

Conseil d’Etat 11 juin 2015 n° 390704

En l’espèce, un ressortissant géorgien a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français du d’assortie d’un placement en rétention administrative par le Préfet des Pyrénées Orientales. Le 13 avril 2015, son recours en annulation à l’encontre de ces décisions a été rejeté par le Tribunal Administratif de MONTPELLIER. Le lendemain, le Juge des Libertés et de la Détention a ordonné la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 20 jours.

Ce délai n’a pas permis d’éloigner l’étranger qui a été prorogé pour 20 jours supplémentaires le 4 mai 2015 par ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention. Pour autant la rétention n’a pas permis d’organiser le départ suite à deux refus d’embarquer.

L’étranger a donc été transféré le 14 mai 2015 dans un autre centre. Fort de ce changement de ressort territorial, il a saisi le Juge des Libertés et de la Détention d’une demande de remise en liberté. Le 15 mai 2015, sa requête fondée sur un avis du médecin de l’ARS saisi par l’unité médicale du Centre a, cependant, été rejetée.

Il s’est donc retourné vers le Président du Tribunal Administratif de VERSAILLES qui a fait droit à sa demande le 18 mai 2015 dans le cadre d’un référé liberté.

A l’occasion de l’appel du Ministre de l’intérieur, il convient de revenir sur cette jurisprudence dans laquelle la complexité procédurale s’affiche, portée par l’astuce des avocats et soutenue par les alternatives offertes par le législateur.

– Le principe : La procédure spéciale de l’article L. 512-1 III du CESEDA est exclusive des référés du Titre V du Code de Justice administrative :

Au soutien de son recours en annulation de l’ordonnance du 18 mai 2015, le Ministre de l’intérieur argue de l’irrecevabilité de la requête en référé liberté fondée sur l’article L 521-2 du Code de Justice Administrative.

Cette question de la compatibilité entre la procédure spéciale contre une mesure d’éloignement suite au placement en rétention administrative et celle issue du contentieux administratif général n’est pas nouvelle.

Les juges du Conseil d’État ont pris position successivement sur les dispositions du Code Justice Administrative dont l’application en association à l’article L. 512-1 III du CESEDA posait problème.

Ainsi les principes qui permettent aux présidents de tribunal administratif de rejeter, par ordonnance, des conclusions entachées d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance ne sont pas applicables au jugement des requêtes formées contre les mesures d’éloignement.

Conseil d’Etat 23 septembre 1992 n° 132388

De même, les recours dirigés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière doivent être regardés comme exclus du champ d’application des dispositions de l’article R. 153-1 du Code de Justice Administrative s’appliquant à la communication aux parties du moyens relevé d’office.

Conseil d’Etat 6 juillet 1994 n° 159288

Le législateur a également entendu exclure l’application les dispositions selon lesquelles les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ne peuvent légalement intervenir qu’après que l’intéressé a été mis à même de présenter des observations écrites ou orales.

Conseil d’Etat 14 mars 2001 n° 208923

Le caractère exclusif de la procédure spéciale de l’article L. 512-1 III du CESEDA a donc déjà balayé nombres de principes du contentieux administratif. Il trouve ici à s’appliquer aux procédures de référé dans leur ensemble.

Le Conseil d’état avait déjà exclu la possibilité d’exercer un référé suspension à l’encontre d’un arrêté décidant la reconduite à la frontière d’un étranger, la spécificité procédurale liée à cette mesure d’éloignement se traduisant par le caractère non exécutoire de arrêté pendant le délai de recours ouvert à son encontre.

Conseil d’Etat 26 janvier 2001 n° 229565

Dans l’arrêt du 11 juin 2015, il attache au référé liberté cette même exclusion et l’applique à l’ensemble des procédures fondées sur le Titre V du Code de Justice administrative.

Là encore, cette solution n’est ni innovante, ni surprenante : l’intervention du juge des référés dans le cas où les mesures par lesquelles il est procédé à l’exécution d’une mesure d’éloignement comportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait depuis l’intervention de cet arrêté, excèdent le cadre qu’implique normalement sa mise à exécution se combine avec le mécanisme particulier de l’article L. 512-1 III du CESEDA.

Conseil d’Etat 14 janvier 2005 n° 276123

– L’exception : Les effets de l’exécution de la mesure d’éloignement excédant ceux qui s’attachent normalement à sa mise à exécution en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait :

Comme en toute chose, le principe connait une exception tenant non pas à la légalité de la mesure d’éloignement ou au placement en rétention administrative mais aux effets manifestement excessifs de l’éloignement.

Ainsi la mise à exécution d’une obligation de quitter le territoire français est envisagée dans toutes ses conséquences envers le migrant et ouvre droit à une voie de recours supplémentaire en dehors des cas des articles L. 512-1 III et L 552-1 et suivants du CESEDA.

L’office du Tribunal Administratif relève, en effet, du contrôle de légalité au fond de la mesure d’éloignement et de ses corollaires. L’intervention du Juge des Libertés et de la Détention est cantonné, quant à lui, à la prolongation de rétention administratif et à son interruption en présence de circonstances nouvelles de fait ou de droit.

Dans le cadre du référé liberté, le juge de l’urgence a compétence pour prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales concernant l’exécution de la décision de retour.

La combinaison de ces différentes procédures ne peut dès lors être envisagée que dans le schéma temporel présenté par l’ordonnance du 11 juin 2015 qui se déroule au fils des étapes successives.

La compétence exclusive du Juge des Libertés et de la Détention pour mettre fin au placement en rétention en dehors des effets de l’exécution de la mesure d’éloignement est strictement affirmée par le Conseil d’État.

Conseil d’État 15 avril 2016 n°398550

L’avis du médecin de l’Agence Régionale de Santé est donc une circonstance nouvelle de fait et de droit retenant l’attention du juge administratif des référés et propre à changer la donne.

Alerté par l’unité médicale du Centre de Rétention Administrative, le MARS a le 4 mai 2015 estimé dans l’espèce que l’état de santé de l’étranger imposait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité et que le traitement approprié qui devait être poursuivi pendant un an, n’existait pas dans le pays d’origine.

C’est cet avis qui a permis au Juge des Référés de se saisir de cette situation où les modalités selon lesquelles il est procédé à l’exécution d’une telle mesure relative à l’éloignement forcé d’un étranger emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l’intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s’attachent normalement à sa mise à exécution.

Pourtant, il n’avait pas réussi à convaincre le Juge des Libertés et de la Détention dont l’appréciation de cette circonstance grave semble différer. Si cet élément nouveau oblige de représentant de l’État à procéder à un réexamen de la situation du migrant, il n’a pas permis de faire cesser la rétention administrative.

Il est curieux de considérer que la mise à exécution de la mesure d’éloignement susceptible d’intervenir à tout moment et portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté personnelle de l’étranger du fait de ses conséquences d’une exceptionnelle gravité sur son état de santé, est sans effet sur une décision de privation de liberté.

Cette divergence d’analyses témoigne de la réelle difficulté pour le juge civil d’entendre que le placement en rétention administrative doit rester une mesure exceptionnelle reposant sur des circonstances particulières conformément aux principes issus de la directive dite « retour ».

Rappelons qu’il y a un an, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait clairement affirmé que l’article 15, paragraphes 3 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que le contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté de ce ressortissant, ladite autorité étant ainsi compétente pour se fonder sur les faits et les preuves produits par l’autorité administrative l’ayant saisie ainsi que sur les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis lors de cette procédure.

CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PPU

Cette jurisprudence qui pose le principe d’un réexamen des conditions de fond ayant servi de fondement à la rétention initiale du ressortissant, n’a pas porté ses fruits.

Les nouvelles limites du contrôle juridictionnel du Juge des Libertés et de la Détention en matière de rétention administrative

Cela fait trois ans maintenant que la Loi n°2011-672 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité du 16 juin 2011 a été adoptée.

Depuis son entrée vigueur, elle a modifiée l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire dans le contentieux de la rétention administrative.

Ce changement de pratique est de nouveau en lumière suite à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 5 juin 2014.

Les limites d’intervention l’un et l’autre juge semblent continuer d’évoluer devant les précisions apportées sur l’interprétation de la législation européenne.

L’état actuel du contrôle de la mesure la moins coercitive :

Le placement en rétention administrative ne ressort d’un choix entre plusieurs alternatives : la privation est l’ultime solution à défaut d’une autre « mesure la moins coercitive ».

Aussi l’arrêté préfectoral décidant le placement doit-il parfaitement motivé le recours à cette mesure sous peine d’être annulé par le juge administratif.

Entre l’assignation à résidence ab initio avec ou sans placement sous surveillance électronique, le CESEDA prévoit plusieurs possibilités de parvenir à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire.

Le choix du Préfet ne tient pas de l’opportunité mais des impératifs de nécessité et proportionnalité en vertu de l’article 15 de la directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

Les Tribunaux administratifs contrôlent l’application de la règle de droit dans le cadre de l’analyse de la légalité de l’arrêté préfectoral.

Si la décision est d’entachée d’irrégularité, ils prononcent alors l’annulation du placement en rétention administrative.

Mais si elle est survie au contentieux de l’excès de pouvoir, la mesure échappe ensuite au juge administratif …

C’est le juge civil qui prend la main au-delà d’une durée de rétention de cinq jours.

Le juge des Libertés et de la Détention a seul compétence pour ordonner la prolongation de la mesure, la refuser ou lui substituer l’assignation à résidence à des conditions limitatives.

Pour autant, il ne tient pas compte des impératifs de nécessité et de proportionnalité dans le contentieux du maintien au CRA au-delà du délai initial.

L’arrêt récent de la Cour de Justice de l’Union Européenne risque cependant de changer l’office du juge civil.

Un nouveau domaine de pleine juridiction :

En 2012, la Cour de Cassation avait rappelé l’importance de la législation européenne dans le contentieux de prolongation de la rétention administrative en retenant :

« qu’il résulte de la combinaison des paragraphes 1, 4 et 5 de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil, qui est d’effet direct, que l’assignation à résidence ne peut jamais revêtir un caractère exceptionnel ».

Cass. Civ 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956

L’écho de cet arrêt a cependant été largement contenu et n’a pas contraint le juge des Libertés et de la Détention à redéfinir son champ de compétence.

La Cour de Justice de l’Union Européenne vient bousculer les pratiques suite d’une question préjudicielle d’un tribunal bulgare.

Il convient de rappeler que la directive dite retour 2008/115 préconisent aux juridictions des États membres de « veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente ».

Ainsi, la législation européenne insiste sur le fait que « le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».

Dans son analyse et l’interprétation de la directive, la Cour de Justice va plus loin encore :

« Force est ainsi de relever qu’une autorité judiciaire statuant sur la possibilité de prolonger la rétention initiale doit obligatoirement procéder à un contrôle de ladite rétention, même si ce contrôle n’a pas été expressément demandé par l’autorité l’ayant saisie et même si la rétention du ressortissant concerné a déjà fait l’objet d’un réexamen par l’autorité ayant ordonné la rétention initiale ».

L’arrêt du 5 juin 2014 relève donc que le contrôle portant sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure privative de liberté s’applique non seulement au placement au CRA mais également à sa prolongation.

En cela, les juges européens suivent le sens de la brise soufflée par Monsieur MACIEJ SZPUNAR, avocat général, lors sa prise de position présentée le 14 mai 2014 qui demande aux juridictions nationales :

– « d’assumer une pleine juridiction » dans le cadre de cette prolongation,
– « de poursuivre activement et de manière continue et non-interrompue » les diligences nécessaires au départ.

Cette interprétation revient à redéfinir le rôle et les pouvoirs du Juge des Libertés et de la Détention en droit français.

En effet, dans le cadre d’une demande de première prolongation de 20 jours, il ne peut plus seulement constater la « violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles » faisant grief pour rendre une ordonnance de son surveillance.

La prolongation de rétention implique un réexamen des conditions de fond ayant servi de fondement à la rétention initiale du ressortissant concerné

Par ailleurs, dans le cadre d’une seconde prolongation de 20 jours supplémentaires, il ne peut plus retenir que la condition tenant « de la perte ou de la destruction des documents de voyage » est remplie en l’absence de passeport ou de pièce d’identité de l’étranger.

Un «manque de coopération» du retenu ayant empêché son éloignement durant le vingt cinq premiers jours de rétention doit être caractérisé.

En conséquence, toute restriction légale limitant son contrôle et notamment celle des articles L552-13 et L 552-7 du CESEDA semblent donc s’opposer aux dispositions de l’article 15 de la directive retour.

Mais il existe une réelle interrogation sur la façon dans cette jurisprudence sera accueillie et mise en œuvre.

2) L’article 15, paragraphes 3 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que le contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté de ce ressortissant, ladite autorité étant ainsi compétente pour se fonder sur les faits et les preuves produits par l’autorité administrative l’ayant saisie ainsi que sur les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis lors de cette procédure.

4) L’article 15, paragraphe 6, sous a), de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, n’a pas obtenu un document d’identité qui aurait permis son éloignement de l’État membre intéressé peut être considéré comme ayant fait preuve d’un «manque de coopération», au sens de cette disposition, uniquement s’il résulte de l’examen du comportement dudit ressortissant au cours de la période de rétention que ce dernier n’a pas coopéré à la mise en œuvre de l’opération d’éloignement et qu’il est probable que cette opération dure plus longtemps que prévu à cause de ce comportement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PPU