Cela fait trois ans maintenant que la Loi n°2011-672 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité du 16 juin 2011 a été adoptée.
Depuis son entrée vigueur, elle a modifiée l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire dans le contentieux de la rétention administrative.
Ce changement de pratique est de nouveau en lumière suite à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 5 juin 2014.
Les limites d’intervention l’un et l’autre juge semblent continuer d’évoluer devant les précisions apportées sur l’interprétation de la législation européenne.
L’état actuel du contrôle de la mesure la moins coercitive :
Le placement en rétention administrative ne ressort d’un choix entre plusieurs alternatives : la privation est l’ultime solution à défaut d’une autre « mesure la moins coercitive ».
Aussi l’arrêté préfectoral décidant le placement doit-il parfaitement motivé le recours à cette mesure sous peine d’être annulé par le juge administratif.
Entre l’assignation à résidence ab initio avec ou sans placement sous surveillance électronique, le CESEDA prévoit plusieurs possibilités de parvenir à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire.
Le choix du Préfet ne tient pas de l’opportunité mais des impératifs de nécessité et proportionnalité en vertu de l’article 15 de la directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008.
Les Tribunaux administratifs contrôlent l’application de la règle de droit dans le cadre de l’analyse de la légalité de l’arrêté préfectoral.
Si la décision est d’entachée d’irrégularité, ils prononcent alors l’annulation du placement en rétention administrative.
Mais si elle est survie au contentieux de l’excès de pouvoir, la mesure échappe ensuite au juge administratif …
C’est le juge civil qui prend la main au-delà d’une durée de rétention de cinq jours.
Le juge des Libertés et de la Détention a seul compétence pour ordonner la prolongation de la mesure, la refuser ou lui substituer l’assignation à résidence à des conditions limitatives.
Pour autant, il ne tient pas compte des impératifs de nécessité et de proportionnalité dans le contentieux du maintien au CRA au-delà du délai initial.
L’arrêt récent de la Cour de Justice de l’Union Européenne risque cependant de changer l’office du juge civil.
Un nouveau domaine de pleine juridiction :
En 2012, la Cour de Cassation avait rappelé l’importance de la législation européenne dans le contentieux de prolongation de la rétention administrative en retenant :
« qu’il résulte de la combinaison des paragraphes 1, 4 et 5 de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil, qui est d’effet direct, que l’assignation à résidence ne peut jamais revêtir un caractère exceptionnel ».
Cass. Civ 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956
L’écho de cet arrêt a cependant été largement contenu et n’a pas contraint le juge des Libertés et de la Détention à redéfinir son champ de compétence.
La Cour de Justice de l’Union Européenne vient bousculer les pratiques suite d’une question préjudicielle d’un tribunal bulgare.
Il convient de rappeler que la directive dite retour 2008/115 préconisent aux juridictions des États membres de « veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente ».
Ainsi, la législation européenne insiste sur le fait que « le recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».
Dans son analyse et l’interprétation de la directive, la Cour de Justice va plus loin encore :
« Force est ainsi de relever qu’une autorité judiciaire statuant sur la possibilité de prolonger la rétention initiale doit obligatoirement procéder à un contrôle de ladite rétention, même si ce contrôle n’a pas été expressément demandé par l’autorité l’ayant saisie et même si la rétention du ressortissant concerné a déjà fait l’objet d’un réexamen par l’autorité ayant ordonné la rétention initiale ».
L’arrêt du 5 juin 2014 relève donc que le contrôle portant sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure privative de liberté s’applique non seulement au placement au CRA mais également à sa prolongation.
En cela, les juges européens suivent le sens de la brise soufflée par Monsieur MACIEJ SZPUNAR, avocat général, lors sa prise de position présentée le 14 mai 2014 qui demande aux juridictions nationales :
– « d’assumer une pleine juridiction » dans le cadre de cette prolongation,
– « de poursuivre activement et de manière continue et non-interrompue » les diligences nécessaires au départ.
Cette interprétation revient à redéfinir le rôle et les pouvoirs du Juge des Libertés et de la Détention en droit français.
En effet, dans le cadre d’une demande de première prolongation de 20 jours, il ne peut plus seulement constater la « violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles » faisant grief pour rendre une ordonnance de son surveillance.
La prolongation de rétention implique un réexamen des conditions de fond ayant servi de fondement à la rétention initiale du ressortissant concerné
Par ailleurs, dans le cadre d’une seconde prolongation de 20 jours supplémentaires, il ne peut plus retenir que la condition tenant « de la perte ou de la destruction des documents de voyage » est remplie en l’absence de passeport ou de pièce d’identité de l’étranger.
Un «manque de coopération» du retenu ayant empêché son éloignement durant le vingt cinq premiers jours de rétention doit être caractérisé.
En conséquence, toute restriction légale limitant son contrôle et notamment celle des articles L552-13 et L 552-7 du CESEDA semblent donc s’opposer aux dispositions de l’article 15 de la directive retour.
Mais il existe une réelle interrogation sur la façon dans cette jurisprudence sera accueillie et mise en œuvre.
2) L’article 15, paragraphes 3 et 6, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que le contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté de ce ressortissant, ladite autorité étant ainsi compétente pour se fonder sur les faits et les preuves produits par l’autorité administrative l’ayant saisie ainsi que sur les faits, les preuves et les observations qui lui sont éventuellement soumis lors de cette procédure.
4) L’article 15, paragraphe 6, sous a), de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, n’a pas obtenu un document d’identité qui aurait permis son éloignement de l’État membre intéressé peut être considéré comme ayant fait preuve d’un «manque de coopération», au sens de cette disposition, uniquement s’il résulte de l’examen du comportement dudit ressortissant au cours de la période de rétention que ce dernier n’a pas coopéré à la mise en œuvre de l’opération d’éloignement et qu’il est probable que cette opération dure plus longtemps que prévu à cause de ce comportement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
CJUE -3ème chbre 5 juin 2014 Affaire C 146/14 PPU