Etrangers incarcérés : la demande de titre de séjour est un élément de réinsertion

Le 07/10/13

Depuis quelques années, les préfectures font une application stricte de l’article R 311-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile qui dispose :

 

« Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l’article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient ».

 

Les tolérances jadis admises dispensant les étrangers de solliciter en personne un titre de séjour ou son renouvellement auprès des autorités de l’Etat ont disparu.

 

 

Les premiers à subir des affres de cette obligation sont évidemment les personnes incarcérées qi ne peuvent se déplacer jusqu’aux guichets préfectoraux.

 

La Circulaire INT/V/13/06710/C du 25 mars 2013 relative aux procédures de première délivrance et de renouvellement de titres de séjour aux personnes de nationalité étrangères privées de liberté indique cependant que :

 

« La possibilité pour les personnes étrangères privées de liberté de solliciter pendant leur incarcération la première délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour constitue un élément essentiel à la préparation de leur sortie et à leur réinsertion sociale (accès notamment aux prestations sociales, aux soins, au logement, à la formation et à l’emploi) ».

 

C’est ainsi qu’au terme d’un jugement du 9 avril 2013, le Tribunal Administratif de LILLE a annulé la décision implicite de rejet du préfet consécutive à une demande de renouvellement de carte de séjour temporaire « vie privée et familiale »présentée par voie postale par un condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle.

 

Les juges de première instance ont considéré que :

 

« si le préfet du Pas-de-Calais fait valoir que M. L. ayant adressé sa demande par voie postale en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ce dernier ne saurait se prévaloir à l’encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour de moyens autres que ceux tirés d’un vice propre de cette décision implicite, il ressort toutefois des travaux préparatoires de la loi du 24 novembre 2009 précitée, et notamment des débats qui se sont tenus au Sénat au cours de la séance du 4 mars 2009 au cours de laquelle a été adopté l’amendement à l’origine de l’article 30 de la loi du 24 novembre 2009 ainsi que du rapport n° 1899 du député Garraud sur le projet de loi adopté par le Sénat et transmis à l’Assemblée nationale que le législateur a entendu faciliter les démarches administratives des détenus, en permettant notamment aux ressortissants d’un pays étranger d’élire domicile dans l’établissement pénitentiaire pour obtenir ou faire renouveler un titre de séjour ; que ces dispositions législatives ne sauraient être tenues en échec par les dispositions de valeur réglementaire de l’article R. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».

Tribunal Administratif de LILLE 9 avril 2013 n° 1204248

 

Cette jurisprudence revient sur l’appréciation du Conseil d’Etat dans un avis concernant le principe de la comparution personnelle de l’étranger, demandeur de titre.

 

Selon la Haute Juridiction Administrative, « une demande de titre de séjour présentée par un ressortissant étranger en méconnaissance de la règle de présentation personnelle du demandeur en préfecture fait naître, en cas de silence gardé par l’administration pendant plus de 4 mois, délai fixé par l’article 2 du même décret, une décision implicite de rejet susceptible d’un recours pour excès de pouvoir ».

 

Cependant, « lorsque le refus de titre de séjour est fondé à bon droit sur l’absence de comparution personnelle du demandeur, ce dernier ne peut se prévaloir, à l’encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour, de moyens autres que ceux tirés d’un vice propre de cette décision ».

Conseil d’État 11 octobre 2006 Requête N° 292969

 

 

Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales semble désormais invocable à l’encontre d’une décision implicite de rejet prise à l’encontre d’un détenu.

 

 

Les impératifs de réinsertion prévalent donc sur la comparution personnelle.

 

Ordre de priorité dans l’hébergement des demandeurs d’asile

Le 11/06/13

Le droit d’asile permet aux personnes qui sont persécutées dans leur pays d’origine par les autorités étatiques de solliciter la protection de la FRANCE.

Durant la durée de l’instruction de leur dossier par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), les demandeurs d’asile bénéficient d’un accueil et d’une prise en charge sociale.

Le Dispositif National d’Accueil (DNA) leur donne ainsi accès:

– à un hébergement dans les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) à titre principal

– et au versement d’une allocation temporaire d’attente ou à une prise en charge par le dispositif d’accueil d’urgence à titre subsidiaire.

Selon l’article L 348-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles, « les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ont pour mission d’assurer l’accueil, l’hébergement ainsi que l’accompagnement social et administratif des demandeurs d’asile en possession de l’un des documents de séjour mentionnés à l’article L. 742-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pendant la durée d’instruction de leur demande d’asile».

Ce n’est qu’à l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Office Français de Protection des Réfugiés et apatrides ou à la date de la notification de la décision de la Cour Nationale du Droit d’Asile en appel que cette mission s’achève.

Depuis la Directive 2003/9 du 27 janvier 2003, les États membres de l’Union Européenne se doivent de remplir ces obligations vis-à-vis des demandeurs d’asile et de garantir leurs conditions d’accueil matérielles, notamment le logement, la nourriture et l’habillement au demandeur d’asile.

En effet, l’article 13 de la directive indique que :

« 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d’asile aient accès aux conditions matérielles d’accueil lorsqu’ils introduisent leur demande d’asile.

2. Les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs ».

La législation européenne impose donc aux Etats membres des efforts pour éviter les situations d’indigence et de précarité des demandeurs d’asile dans l’attente de l’examen de leurs droits au séjour.

Chaque état est tenu de mettre à en oeuvre les objectifs de la directive relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile.

Pour ce faire, il doit considérer avec une attention particulière la situation des personnes particulièrement vulnérables telles que les adultes affaiblis par l’âge, la maladie, le handicap ou les mineurs accompagnant.

L’intérêt supérieur de ces derniers ne saurait être ignoré au regard de l’article 3-1 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990.

C’est une considération primordiale demeurant au centre de toute décision ou mesure prise concernant un mineur.

Mais il arrive régulièrement que les services préfectoraux se trouvent dans l’incapacité de mettre à disposition des demandeurs d’asile une solution d’hébergement.

Au vu des dispositions précitées, il appartient alors au Juge Administratif d’apprécier souverainement si l’absence d’accueil d’urgence porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile.

Il est cependant amené à vérifier que les impératifs légaux peuvent être conciliés avec les moyens d’hébergement à la disposition de l’autorité publique.

Or il s’avère que tous les demandeurs d’asile ne sont pas logés à la même enseigne tant les départements manquent cruellement de places d’accueil.

Dans une décision du 16 mai 2013, le Conseil d’Etat a rappelé ainsi qu’il existait un ordre de priorité dont l’administration tient nécessairement compte pour réserver un hébergement d’urgence :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. C…, ressortissant du Bouthan, est entré en France le 8 octobre 2011 afin d’y solliciter l’asile ; qu’une autorisation provisoire de séjour lui a été délivrée par le préfet de police afin de lui permettre de déposer une demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu’après le rejet de cette demande, cette autorisation a été renouvelée dans l’attente de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, que M. C… a saisie d’un recours contre cette décision de rejet ; que si des droits à l’allocation temporaire d’attente lui ont été ouverts, il n’a pu bénéficier d’aucun hébergement d’urgence, depuis que sa demande d’asile est en cours d’examen et a été orienté vers le dispositif de veille sociale mentionné au 4 ; que, toutefois, l’administration fait valoir qu’elle ne dispose ni en région Ile-de-France ni dans d’autres régions d’hébergements en nombre suffisant pour répondre aux demandes d’hébergement des demandeurs d’asile, en forte augmentation et qu’elle se voit, dès lors, contrainte de définir un ordre de priorité tenant compte de la situation particulière de ceux-ci ; que M. C… est célibataire et sans charge de famille ; que si le certificat médical qu’il a transmis atteste que son état de santé rendrait préférable qu’il obtînt rapidement un hébergement d’urgence, il n’est pas soutenu que l’intéressé serait atteint d’une pathologie grave ou dans une situation de grande détresse ; que, dans ces conditions, la situation de M. Marahrjan ne peut, malgré la durée pendant laquelle il a été privé d’un hébergement, être regardée comme prioritaire au regard de l’ensemble des demandes d’hébergement adressées à l’administration ; qu’ainsi, il ne résulte pas de l’instruction que le comportement de l’administration à l’égard de M. Marahrjan ferait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences mentionnées au 5 et aurait des conséquences graves pour lui, compte tenu de sa situation personnelle ».

Conseil d’État 16 mai 2013 N° 368337 

Le constat est bien peu rassurant concernant l’accueil d’urgence des demandeurs d’asile qui diffère selon leurs situations familiales et médicales.

C’est ainsi que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a mis en lumière ce problème et alerté les pouvoirs publics dans un avis en date du 15 décembre 2011 en soulignant la différence de traitement des demandes selon un ordre de priorité :

« A des occasions répétées, la CNCDH a interpellé le Parlement et le gouvernement pour que le droit d’asile, reconnu tant par la Constitution que par différents engagements internationaux de la France, et l’accueil des demandeurs d’asile soient effectivement garantis. Pourtant, le dispositif national d’accueil connaît une crise majeure dans une indifférence quasi-totale ».

Un mandat d’arrêt européen pour une question prioritaire de constitutionnalité et une question préjudicielle

Le 12/04/13

Les articles de ce blog reviennent régulièrement sur les interactions entre le droit français et le droit européen ainsi que leur nécessaire complémentarité dans l’intérêt du justiciable.

L’arrêt récent rendu par le Conseil Constitutionnel le 4 avril dernier est une nouvelle illustration de cette cohabitation des normes dans un domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Il porte sur le mandat d’arrêt européen défini par l’article 695-11 de notre Code de Procédure Pénale comme la « décision judiciaire émise par un Etat membre de l’Union européenne, appelé Etat membre d’émission, en vue de l’arrestation et de la remise par un autre Etat membre, appelé Etat membre d’exécution, d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté ».

Cette procédure résulte de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 transposé en droit français par la Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Par principe, le mandat d’arrêt européen dans l’ensemble des territoires des États membres de l’Union européenne.

La France a déclaré, cependant, que ce régime n’était pas applicable aux demandes de remise reçues par la France concernant des faits commis avant le 1er novembre 1993, date d’entrée en vigueur du Traité de Maastricht.

Ainsi les faits commis avant cette date relève de l’extradition tandis que ceux commis après ce, sont l’objet de la procédure du mandat d’arrêt européen.

L’exécution des mandats d’arrêt européens étrangers émis les pays de l’Union est confiée dans notre droit au parquet général et à la chambre de l’instruction.

Ainsi lorsqu’une personne frappée d’un tel mandat et appréhendée sur le territoire français, elle est présentée au procureur général sous quarante huit heures.

Celui-ci l’avise alors de l’existence et du contenu du mandat ainsi que de la faculté de consentir ou de s’opposer à sa remise à l’Etat de l’Union Européenne en attente de l’exécution du mandat.

Le procureur général peut ordonner son incarcération à défaut de garanties de représentation suffisantes.

Puis il saisit sans délai la Chambre de l’Instruction de la procédure afin qu’elle se prononce sur la remise à l’Etat de l’Union Européenne en attente et exécution du mandat.

La personne recherchée est alors convoquée à une audience publique qui se tient dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la date de sa présentation au procureur général.

S’il est fait droit à sa remise, elle sera transférée aux autorités étrangères dans les 10 jours suivant la date de la décision définitive de la chambre de l’instruction.

Mais si la personne recherchée s’est opposée à sa remise lors du débat contradictoire, elle peut former un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision l’autorisant son transfert dans un délai de trois jours francs.

A titre particulier, la Chambre de l’Instruction est également compétente dans le cadre de la poursuite d’autres infractions et de la remise à un autre État membre.

En application de l’article 695-46 du Code de Procédure Pénale, elle peut ainsi être saisie «de toute demande émanant des autorités compétentes de l’Etat membre d’émission en vue de consentir à des poursuites ou à la mise à exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté prononcées pour d’autres infractions que celles ayant motivé la remise et commises antérieurement à celle-ci ».

Elle peut, par ailleurs, être amenée à statuer, « après la remise de la personne recherchée, sur toute demande des autorités compétentes de l’Etat membre d’émission en vue de consentir à la remise de la personne recherchée à un autre Etat membre en vue de l’exercice de poursuites ou de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et différent de l’infraction qui a motivé cette mesure ».

Or dans ces deux cas, ni la législation française, ni relevé la décision-cadre du 13 juin 2002 ne prévoit de recours contre la décision de la Chambre de l’Instruction.

C’est donc cette absence de recours qui est à l’origine de l’arrêt du Conseil Constitutionnel en date du 4 avril 2013.

Saisi le 27 février 2013 sur question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de Cassation, le Conseil a décidé de s’en remettre à la Cour de justice de l’Union Européenne.

Au terme de leur analyse, les sages ont relevé la décision-cadre du 13 juin 2002 transposée en droit français par la Loi du 9 mars 2004 ne comportait pas de dispositions relatives à un recours contre la décision tendant à étendre les effets du mandat d’arrêt européen ou d’autoriser la remise de la personne à un État tiers.

Le Conseil Constitutionnel s’est, de ce fait, retrouvé dans l’impossibilité de se déterminera sur la conformité de l’article 695-46 du Code de Procédure Pénale à la Constitution.

C’est ainsi qu’il a transmis une question préjudicielle pour la première fois à la Haute Cour afin d’obtenir son éclairage sur l’absence de recours de la décision de la Chambre de l’Instruction prévue à l’article 695-46 du Code de Procédure Pénale.

Conseil Constitutionnel 4 avril 2013 n° 2013-314P QPC 

Il appartient désormais à la Cour de Justice de l’Union Européenne d’interpréter les dispositions de la décision-cadre et de se prononcer sur l’éventuelle atteinte portée au principe d’égalité devant la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif.

La procédure de renvoi préjudiciel a permis aux juges français d’interroger les juges européens sur l’application du droit dans l’ensemble de l’Union européenne aux fins d’uniformité.

Mais malgré le recours à la procédure d’urgence devant la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’attente, la personne soumise au mandat d’arrêt européen est détenue…et la décision suspendue.

Durée de la rétention administrative et recommandations du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Le 26/02/13

Le 25 février dernier, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté a présenté lors d’une conférence de presse son rapport d’activité 2012 après sa remise comme chaque année au Président de la République et au Parlement.

On doit la création de cette autorité indépendante, globe trotteuse des geôles, à la Loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007.

Cette législation est la suite directe -mais non immédiate- du Protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 2002 à NEW YORK.

Grâce à elle, les locaux de garde à vue, établissements de santé, dépôts de tribunaux, centres éducatifs fermés, zones d’attente aéroportuaires et établissements pénitentiaires sont autant de lieux invisibles et méconnus placés sur le carnet de route du CGLPL.

Loin d’être des balade touristiques, les visites de vérification permettent de dresser un état de ces lieux et des conditions de « séjour » de leurs occupants au regard des libertés publiques

Les Centres de Rétentions Administratifs figurent parmi ces locaux.

Pour rappel, ils sont destinés à recevoir les étrangers en situation irrégulière frappés d’une mesure d’éloignement dans l’attente de l’organisation de leur départ selon l’article R 551-2 du CESEDA.

Au terme de son rapport 2012, le Contrôleur Général tire du placement au CRA des conclusions aussi limpides que sans appel.

Le cahier 1 du dossier de presse consacré au sort des étrangers titre, en effet, que « Le délai de rétention doit repasser à 32 jours ».

Il poursuit ainsi :

« 2012 est la première année complète d’application de la loi du 16 juin 2011 (relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité) qui modifie et amplifie les possibilités de recours à l’assignation à résidence (puisque désormais la rétention n’est possible que lorsque d’autres mesures sont inefficientes) et parallèlement, allonge la durée de la rétention, qui passe de 32 jours (au maximum) à 45 jours (au maximum) : une durée administrative de 5 jours au plus, suivie de deux périodes de 20 jours autorisées par le juge judiciaire ».

Enfin, il conclut :

« La question de la durée de la rétention ne peut donc être regardée comme définitivement tranchée. Le Contrôleur général qui a visité les 25 centres de rétention administrative recommande que la durée de rétention soit opportunément revue à la baisse et de nouveau fixée à 32 jours ».

Plus d’un an après son adoption, il semble que la Loi BESSON soit toujours loin de faire l’unanimité au point de réveiller un esprit de réforme.

Regard sur la retenue d’un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour

Le 25/01/13

L’année 2012 aura été marquée par le débat sur le placement en garde à vue pour infraction à la législation des étrangers.

L’avis de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 5 juin 2012 puis les arrêts de la première chambre civile du 5 juillet 2012 ont mis fin définitivement aux controverses.

L’interprétation de la directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 s’en est trouvée clarifié et s’est imposée – non sans peine – à l’ensemble des juridictions civiles et pénales.

Pour autant, cette évolution de la répression a laissé un certain vide compliquant le travail des services de police et de gendarmerie ainsi que les démarches de retour des Préfectures.

Les premiers se sont vu privés des moyens leur permettant de garder à disposition durant quelques heures les étrangers soupçonnés de séjourner irrégulièrement en France.

Les secondes, contraintes de se prononcer sans délai sur les mesures d’éloignement, ont vu leur pouvoir limité par leurs propres horaires d’accueil.

C’est ainsi que la Loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées a pallié le manque.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2013, cette législation est venue au secours des services de l’Etat par la création d’un nouveau régime de privation de libertés destiné exclusivement aux étrangers.

Les articles L 611-1 et suivants qui fixent les conditions de la retenue, ont été intégrés dans le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile.

Pour autant, ce n’est que très symboliquement que cette retenue ne relève pas des dispositions du Code de Procédure Pénale.

Elle est, en effet, la suite évidente d’un contrôle d’identité effectué en application des articles 78-1,78-2, 78-2-1 et 78-2-2 dudit code au cours duquel l’étranger ne s’est pas trouvé en mesure de présenter ses documents de séjour ou autorisation de circulation sur le territoire français.

Dans un souci d’égalité et de proportionnalité, le Législateur a entendu encadrer ces opérations de contrôle à l’origine de la mesure tant sur la fin que sur les moyens.

Policiers et gendarmes ne peuvent dès lors vérifier le respect des obligations de détention que « si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger ».

Cette définition de l’extranéité renvoie sans équivoque à la jurisprudence de la Cour de Cassation du 28 mars 2012 déjà évoquée dans ces pages.

Quant à l’organisation des contrôles, elle devra combiner les limitations de durée, de lieu et de fréquence précédemment dégagées par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans sa décision du 22 juin 2010 .

L’article L 611-1 du CESEDA a donc intégré les principes dégagés par la jurisprudence récente dans la mise en oeuvre des contrôles d’identité.

De son côté, l’article L 611-1-1 du même code n’oublie pas de reprendre les droits et garanties dont l’étranger placé sous la main de l’autorité publique, bénéficie.

Conduit dans les locaux de police ou de gendarmerie, celui-ci est ainsi mis en mesure durant sa retenue « de fournir par tout moyen les pièces et documents requis » utiles aux opérations de vérification nécessaires.

Le Procureur de la République est informé dès le début et tout moment du déroulement de la retenue qui s’effectue sous le contrôle de l’officier de police judiciaire.

L’étranger va bien sûr recevoir les informations afférentes à la mesure « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend ».

Comme en matière de garde à vue, il pourra être assisté par un interprète, un avocat lors d’entretien de trente minutes en début de mesure puis durant ses auditions.

De même, il pourra être examiné par un médecin et prévenir sa famille, toute personne de son choix ainsi que les autorités consulaires de son pays.

Mais sauf circonstances particulières, ce n’est pas l’officier de police judiciaire qui informera les tiers mais l’étranger lui-même.

A l’évidence, le texte tente donc tant bien que mal de limiter le caractère coercitif de la retenue sans vraiment arriver à la distinguer de la garde à vue.

Certes la mesure est limitée à une durée de 16 heures à cours laquelle « l’étranger ne peut être placé dans une pièce occupée simultanément par une ou plusieurs personnes gardées à vue ».

De plus, la prise d’empreintes digitales ou de photographies n’est pas automatique et n’intervient que « lorsque celle-ci constitue l’unique moyen d’établir la situation de cette personne ».

Au surplus, le procès-verbal et les pièces de la procédure sont détruits dans un délai de six mois à compter de la fin de la mesure si aucune infraction n’a été relevée, aucune mesure d’éloignement n’a été prise, ni poursuite engagée.

Pour autant, la durée de la retenue s’impute directement sur celle de l’éventuelle garde à vue qui peut s’en suivre.

Comme la retenue douanière, la détention temporaire qu’elle entraine, ne laisse alors subsister aucun doute sur le caractère contraignant de cette mesure.

Ainsi bien que l’étranger soit invité à suivre les policiers et gendarmes à la suite du contrôle en dehors de toute interpellation, il ne semble avoir guère pouvoir s’y soustraire.

D’ailleurs, « s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite », son menottage n’est pas exclu.

Dans ces conditions, seule la pratique permettra de nous éclairer sur les différences réelles de traitement entre le gardé à vue et le retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour.

En attendant, cette nouvelle mesure risque de peiner dans sa mise en oeuvre matérielle car les commissariats et gendarmeries devront bénéficier d’une pièce permettant d’assurer la parfaite séparation entre interpellés et invités.

Quant aux différents Barreaux, ils devront organiser l’intervention des avocats sans connaître les conditions précises de leur rémunération, ni le montant des dotations qui leur seront allouées pour ce faire.

A suivre…

L’assignation à résidence ordonnée par le Juge des Libertés et de la Détention : de l’exception au principe?

Le 05/11/12

Qu’il s’agisse de naturalisation, d’interdiction du territoire français à titre de peine complémentaire ou d’arrêté portant obligation de quitter le territoire, chaque domaine du Droit des étrangers donne lieu à un contentieux complexe.

Aussi le juge civil, le juge administratif et le juge pénal sont- ils amenés à se partager la compétence des différents litiges.

Comme cela a été évoqué précédemment dans ces pages, le Tribunal Administratif et le Juge des Libertés et de la Détention connaissent chacun à leur tour de la décision de maintien en rétention administrative :

– L’un suite au recours en annulation du retenu,

– L’autre saisi sur requête du Préfet en prolongation de la mesure.

Dans ce cadre vient se poser régulièrement la question de la nécessité de la privation de liberté et du placement au CRA.

Il existe en effet une alternative à celle-ci applicable aux étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement : l’assignation à résidence.

L’article L 552-4 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile dispose ainsi :

« A titre exceptionnel , le juge peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d’éloignement en instance d’exécution. L’assignation à résidence concernant un étranger qui s’est préalablement soustrait à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français en vigueur, d’une interdiction de retour sur le territoire français en vigueur, d’une mesure de reconduite à la frontière en vigueur, d’une interdiction du territoire dont il n’a pas été relevé, ou d’une mesure d’expulsion en vigueur doit faire l’objet d’une motivation spéciale ».

Les conditions légales permettant à l’étranger de demander à être assigné à résidence afin d’éviter la prolongation de sa rétention dans l’attente de l’organisation de son départ sont les suivantes :

– La remise préalable aux autorités de police ou de gendarmerie d’un passeport non falsifié en cours de validité ou de tout document d’identité équivalent,

– L’existence de garanties de représentation effectives et suffisantes.

Ces deux exigences doivent permettre de contrôler l’étranger en dehors du Centre Rétention et de s’assurer qu’il ne se soustraira pas à son obligation de quitter le territoire.

A l’identique de la rétention administrative, l’assignation à résidence est donc une mesure provisoire applicable dans l’attente de l’organisation du départ.

Dans ces circonstances, elle peut être assortie d’une obligation de se présenter au Commissariat/ à la Gendarmerie le plus proche une ou plusieurs fois par semaine pendant toute sa durée.

Bien sûr il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement les garanties de représentation au cas par cas, selon la situation de chaque étranger avant d’ordonner cette mesure.

Ils doivent, en effet, vérifier la réalité des garanties de nature à éviter que l’étranger se soustraie à la décision d’éloignement afin que celle-ci puisse être exécutée par l’autorité administrative.

Dans leur analyse, ils vont notamment prendre en considération :

– la régularité et le cadre du domicile personnel de l’étranger,

– la qualité et les liens avec le garant en cas d’accueil par un tiers,

– l’absence d’opposition à la mesure d’éloignement,

– les risques de fuite avant le départ,

– et le cas échéant l’existence de précédentes mesures d’éloignement.

Jusqu’à présent, l’assignation à résidence ordonnée par le Juge des Libertés et de la Détention revêtait un caractère exceptionnel.

Mais la Cour de Cassation a modifié cette conception au visa de la législation européenne dans un arrêt du 24 octobre 2012 en précisant :

« qu’il résulte de la combinaison des paragraphes 1, 4 et 5 de l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil, qui est d’effet direct, que l’assignation à résidence ne peut jamais revêtir un caractère exceptionnel, le premier président a violé le texte susvisé ».

Cass. Civ 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956 

La Haute Juridiction est donc revenue sur sa précédente jurisprudence au terme de laquelle, conformément à L’article L 552-4 du CESEDA, l’assignation à résidence en alternative au placement en rétention administrative devait rester une mesure exceptionnelle reposant sur des circonstances particulières.

Or, la Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en dispose autrement.

Dans son article 15, le texte européen précise ainsi :

« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives , puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise« .

La Directive ajoute encore :

« 4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois ».

De ce fait, le Juge des Libertés et de la Détention ne saurait désormais ordonner l’assignation à résidence seulement « à titre exceptionnel » alors même que cette mesure est « suffisante, mais moins coercitive » que le prolongement de la rétention administrative.

C’est donc un nouveau principe qui se dégage de la combinaison des législations françaises et européennes.

Orientation sexuelle et droit d’asile : la protection contre les persécutions du fait de l’appartenance à un groupe social

Le 21/09/12

Cette rentrée se présente sous le signe des débats et des réformes sociales sur le fond habituel des fournitures scolaires et couvertures de livres.

Dans ce contexte, je souhaite mettre en lumière un arrêt de Conseil d’Etat tout juste rendu avant la pause aoûtienne, le 27 juillet 2012.

Conseil d’État 10ème et 9ème sous-sections réunies 27 juillet 2012 n° 349824 

Les juges de la Place du Palais Royal étaient saisis d’un recours en annulation à l’encontre d’une décision de la Cour Nationale du Droit d’Asile en date du 19 novembre 2010 refusant le statut de réfugié à un ressortissant congolais.

Créée par la Loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, la Cour est une juridiction administrative dite spécialisée.

Depuis cette réforme, elle est venue remplacer la Commission des recours des réfugiés.

En son siège de MONTREUIL, elle connaît des recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Il lui appartient donc de statuer sur l’attribution de la qualité de réfugié en application des dispositions de la Convention de GENEVE du 28 juillet 1951 et des articles L 731-1 et suivants du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile.

Mais ses décisions n’échappent pas au contrôle du Conseil d’Etat qui apprécie l’interprétation et l’application qu’elle fait du droit international et national en matière d’asile.

C’est ainsi que le 27 juillet 2012 que les juges administratifs se sont penchés sur la situation d’un ressortissant congolais subissant un risque de persécution dans son pays d’origine du fait de son homosexualité.

Le statut de réfugié lui avait été refusé car il n’établissait pas avoir manifesté son orientation sexuelle en République Démocratique du Congo dont la législation pénale ne réprimait pas l’homosexualité.

Le Conseil d’Etat a censuré ce refus en relevant :

« 1. Considérant qu’aux termes du 2° du paragraphe A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, la qualité de réfugié est reconnue à :  » toute personne qui (…), craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ;  » ; qu’aux termes de l’article 10, paragraphe 1 d) de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 :  » Un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier : / – ses membres partagent (…) une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et / – ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. / En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle.  » ;

2. Considérant qu’un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; qu’en fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions ; qu’il convient dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ;

3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur des orientations sexuelles communes ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié dès lors que le groupe social, au sens des dispositions précitées, n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions ; que la circonstance que l’appartenance au groupe social ne fasse l’objet d’aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l’appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l’absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles ».

Au terme de leur analyse, les juges ont considéré que le critère d’appartenance à un certain groupe social doit être apprécié en fonction des conditions propres au pays d’origine, à savoir la République Démocratique du Congo.

En l’espèce, celles-ci permettaient d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social compte tenu du regard porté sur elles par la société environnante ou les institutions.

De ce fait, les membres pouvaient craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe la manifestation publique de leur orientation sexuelle soit nécessaire.

Cet arrêt donne à réfléchir sur la condition des homosexuels dans certains états au jour les discussions s’engagent en France sur tant sur le lien matrimonial que sur le droit à l’adoption.

Placement en garde à vue pour infraction à la législation des étrangers : un avis qui change tout

Le 11/06/12

Depuis plusieurs mois, l’entrée et le séjour irrégulier réprimée par l’article L621-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile sont au coeur de nombreuses discussions.

La directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 entrée en vigueur le 13 janvier 2009 en est la cause.

Sa transposition dans le droit interne et son application ont mis à jour deux problématiques concernant cette infraction, l’une tenant à sa répression, l’autre au placement en garde à vue consécutif à la procédure d’enquête.

Les premières interrogations ont bénéficié de l’éclaircissement de la Cour de Justice de l’Union Européenne au travers de sa jurisprudence.

Ainsi l’interprétation de la Directive retour dégagée par les arrêts des 28 avril et 6 décembre 2011 a permis de fixer le principe selon lequel l’entrée ou le séjour irrégulier ne peuvent être à l’origine d’une peine d’emprisonnement.

Par exception, la privation de liberté peut être mise en oeuvre si la procédure de retour établie par la Directive a été appliquée et que l’étranger séjourne irrégulièrement sur le territoire sans motif justifié de non-retour.

Les seconds questionnements ont été plus longs à trouver une issue juridique et ont entraîné une cacophonie bruyante entre les Cour d’Appel des quatre coins de la France.

Il aura fallu attendre un avis du 5 juin 2012 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation pour que les considérations de légalité priment sur celles d’organisation des services de police, de gendarmerie et des préfectures.

En effet, il est parfois difficile de concevoir que la garde à vue sert exclusivement les besoins de l’enquête au sens de l’article 62-2 du Code de Procédure Pénale.

Dans le temps de cette mesure, il peut bien sûr être procédé aux recherches et investigations sur l’identité et les conditions d’entrée ou de séjour de l’étranger.

Mais il peut également n’y avoir que des diligences éparses qui ne justifient pas une privation de liberté, si ce n’est dans l’attente d’une décision d’éloignement et d’un placement en rétention administrative.

Désormais, la donne change puisque les Juges de la Cour Suprême relèvent :

« Il résulte de l’article 62-2 du code de procédure pénale issu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qu’une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement ; qu’en outre, la mesure doit obéir à l’un des objectifs nécessaires à la conduite de la procédure pénale engagée ; qu’à la suite de l’entrée en application de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants d’Etats tiers en séjour irrégulier, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, le ressortissant d’un Etat tiers mis en cause, pour le seul délit prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, n’encourt pas l’emprisonnement lorsqu’il n’a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l’article 8 de ladite directive ; qu’il ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée de ce seul chef ».

Cass. Crim. Avis n° 9002 du 5 juin 2012 

Au terme de cette analyse, il apparaît que les deux problématiques précédemment évoquées demeurent indiscutablement liées :

– par principe, l’infraction d’entrée ou de séjour irrégulier ne peut donner lieu à une peine d’emprisonnement.

– Or, le placement en garde à vue ordonné que pour les nécessités de l’enquête ne peut s’appliquer qu’en cas de flagrance lorsqu’un crime ou un délit est puni de prison.

CQFD : Tout placement en garde à vue de ce chef est donc illégal.

Un mois après l’avis de la chambre criminelle, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a fait sienne cette analyse au terme de trois arrêts du même jour.

Les juges confirment ainsi :

« Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 28 avril 2011, C-61/PPU, et du 6 décembre 2011, C-329/11) que la directive 2008/115/CE s’oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d’une peine d’emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n’a pas été préalablement soumis à l’une des mesures coercitives prévues à l’article 8 de cette directive, soit, a déjà fait l’objet d’un placement en rétention, mais n’a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure ; qu’en outre, en cas de flagrant délit, le placement en garde à vue n’est possible, en vertu des articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la date des faits, qu’à l’occasion d’enquêtes sur les délits punis d’emprisonnement ; qu’il s’ensuit que le ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier en France, qui n’encourt pas l’emprisonnement prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile lorsqu’il se trouve dans l’une ou l’autre situation exposée par la jurisprudence européenne précitée, ne peut être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef » .

Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30371 

Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-19250 

Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30530 

Pour l’heure, le débat semble clos. Cependant, nul doute que la définition des mesures dites « coercitives » sera sujet à de nouvelles discussions.

Le droit ne connaît pas l’ennui…

Contentieux de la rétention : la double compétence du juge civil et du juge administratif

Le 30/04/12

Le placement en rétention administrative d’un étranger en séjour irrégulier est une décision relevant de la compétence du représentant de l’Etat dans le Département, le Préfet.

En application de l’article L 551-2 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, cette décision « est prise par l’autorité administrative, après l’interpellation de l’étranger et, le cas échéant, à l’expiration de sa garde à vue, ou à l’issue de sa période d’incarcération en cas de détention ».

La privation de liberté et le transport au Centre de Rétention Administratif ressortent donc d’un arrêté préfectoral et non d’un acte judiciaire.

Dans un arrêt du 12 avril 2012, la Cour de Cassation a ainsi rappelé que le premier président d’une cour d’appel ne peut ordonner le placement en rétention administrative d’un étranger mais seulement prolonger une telle mesure.

Cass. Civ. 1ère 12 avril 2012 Pourvoi n° 11-11904 

Cette jurisprudence est l’occasion d’évoquer le contentieux de la rétention administrative au travers de la compétence du juge civil et du juge administratif.

Le Tribunal Administratif, juge de la légalité du placement en rétention : 

L’adoption de la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 a modifié l’ordre d’intervention des deux ordres juridictionnels pour donner la priorité au juge administratif.

Pour autant, la forme de sa saisine ainsi que sa compétence n’ont pas évoluées et demeurent déterminées par l’ article L 512-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile :

« En cas de décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Lorsque l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation ».

Il appartient donc à l’étranger qui conteste l’arrêté pris à son encontre ordonnant son transport au Centre de Rétention Administrative, de saisir le juge par requête.

Ce recours juridictionnel tend à l’obtenir l’annulation de l’acte administratif assortie d’une remise en liberté immédiate.

Cependant, le contrôle du juge ne porte que sur la légalité de l’arrêté de placement et la nécessité de la rétention administrative.

Les conditions d’interpellation de l’étranger ou de placement en garde à vue ne relèvent pas de la compétence du Tribunal Administratif.

Aussi seuls les moyens fondés sur l’illégalité externe, l’illégalité interne et/ou la violation d’une convention internationale opposable à la FRANCE pourront être soulevés par l’étranger ou son conseil.

Le recours introduit dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la décision de placement en rétention, donne lieu à une audience publique sans rapporteur publique dans le cadre spécifique d’une procédure orale.

Le Tribunal Administratif statue dans les 72 heures à compter de sa saisine par jugement susceptible d’un appel non suspensif d’exécution.

Le Juge des Libertés et de la Détention, gardien des libertés individuelles : 

La compétence du juge civil varie par la nature de son contrôle qui porte sur la rétention administrative, sa mise en oeuvre de cette mesure et les conditions d’hébergement.

Son intervention se poursuit donc tout au long du séjour du retenu au Centre de Rétention Administrative jusqu’à sa sortie ou son retour.

Au contraire du juge administratif, le Juge des Libertés et de la Détention n’est, sauf exception, pas saisi d’un recours mais d’une simple requête à l’initiative du Préfet.

L’article L 552-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile dispose ainsi :

« Quand un délai de cinq jours s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention ».

C’est à cette occasion que l’étranger pourra soumettre au gardien des libertés individuelles le contrôle de la légalité de la procédure pénale ayant précédé son transport au Centre de Rétention Administrative.

Tous les moyens d’irrecevabilité, de nullité ou d’ irrégularité pourront être soulevés pour s’opposer à la prolongation de la rétention pour un durée de vingt jours supplémentaires.

Si l’étranger bénéficie d’un passeport en cours de validité et de garanties de représentation effectives et suffisantes, il pourra solliciter son assignation à résidence dans l’attente de son retour.

A l’issue des débats tenus en audience publique, le Juge des Libertés et de la Détention statue dans les 24 heures à compter de sa saisine par ordonnance susceptible d’appel.

En cas de rejet de la requête en prolongation du Préfet, l’étranger est maintenu à la disposition durant 6 heures dans l’attente d’un éventuel appel du Procureur de la République.

Comme on l’aura compris, dans l’une ou l’autre des instances engagées, le litige oppose toujours le Préfet et au retenu.

Si le juge administratif peut annuler ou confirmer la décision de placement en rétention administrative, le juge civil ne peut qu’ordonner ou rejeter la prolongation de cette mesure.

Mais quel que soit le juge saisi, le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile prévoit dans ses articles L 512-1 et L 552-1 que l’étranger peut demander au Président de la juridiction de lui désigner un conseil d’office.

Le critère d’extranéité dans les contrôles d’identité : précision de la Cour de Cassation

Le 04/04/12

Les dispositions de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale limitent les contrôles d’identité opérés par les services de police et de gendarmerie à quatre situations précises, à savoir :

– S’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis, tenté de commettre une infraction ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ou encore qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles en cas de crime ou de délit,

– Sur réquisitions écrites du Procureur de la République dans des lieux et pour une période de temps déterminé en vue de la recherche d’auteurs d’infractions limitativement énumérées,

– En prévention des atteintes à l’Ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens,

– Lors des contrôles réalisés dans la zone Schengen ou les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international.

Comme déjà précisé dans ces pages , la Loi n°2011-267 dite LOPPSI a savamment encadré ces derniers types de contrôles aux fins de se conformer aux principes dégagées par la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Cependant quelque soit l’un des quatre cadres précités, il est une question récurrente qui subsiste.

L’article L611-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile rappelle en effet que :

« A la suite d’un contrôle d’identité effectué en application des articles 78-1, 78-2 et 78-2-1 du code de procédure pénale, les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents visés à l’alinéa précédent (pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France). »

Pour autant, le texte ne précise pas les éléments qui permettent de présumer de l’extranéité de l’individu soumis au contrôle et tenu de justifié de la légalité de son séjour sur le territoire.

Bien évidemment la déduction de nationalité ne peut se fonder sur des motifs discriminatoires ou des indices physiques lors de ces contrôles non systématiques.

Aussi les moyens de détermination de la qualité apparente de ressortissant étranger demeurent-t-ils obscurs.

Dans un arrêt du 28 mars dernier, les juges de la Haute Cour sont venus apportés quelques précisions sur les critères applicables à l’analyse, critères qui se révèlent aussi factuels que variables.

En l’espèce, le séjour irrégulier avait été révélé à la suite à un contrôle d’identité requis par le Procureur de la République.

L’extranéité ressortait selon les procès verbaux de police du fait que l’intéressé était né à l’étranger et ne répondait pas aux questions relatives à sa date de naissance.

La Cour de cassation censure cette appréciation :

« Attendu que l’ordonnance retient à bon droit que, si l’article L. 611-1, alinéa 2, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile autorise les services de police, à la suite d’un contrôle opéré en application de l’article 78-2 du code de procédure pénale, à requérir la présentation des documents sous le couvert desquels une personne de nationalité étrangère est autorisée à circuler ou séjourner en France, cette faculté est cependant subordonnée à la constatation de la qualité d’étranger, laquelle doit se déduire d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé ; que le fait d’être né à l’étranger et de ne pas répondre aux questions relatives à sa date de naissance ne constitue pas un élément objectif déduit des circonstances extérieures à la personne, susceptible de présumer la qualité d’étranger ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé« .

Cass. Civ 1ère 28 mars 2012 Pourvoi n°11-11099 

Si l’on sait désormais que la nationalité étrangère doit se déduire « d’éléments objectifs extérieurs », une définition de ces éléments serait fort opportune.