Le 27/03/11
Les dispositions de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale précisent les conditions des contrôles d’identité judiciaires et prévoient quatre cas dans lesquels ceux-ci peuvent intervenir :
– Le premier cas s’inscrit directement dans le cadre de l’enquête pénale, c’est-à-dire lorsqu’il existe plusieurs raisons de soupçonner que la personne soumise au contrôle:
– ai commis ou tenté de commettre une infraction :
– se prépare à commettre un crime ou un délit
– est susceptible de fournir des renseignements utiles en cas de crime ou de délit.
– Le deuxième cas est strictement encadré par les réquisitions écrites du Procureur de la République dans des lieux et pour une période de temps déterminés.
– La prévention des atteintes à l’Ordre public notamment à la sécurité des personnes ou des biens motive le troisième cas quel que soit le comportement de la personne contrôlée.
– Enfin, les contrôles prévus dans le quatrième cas sont ceux qui interviennent dans la zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention d’application de l’accord Schengen du 14 juin 1985 et dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international.
Or, depuis plusieurs mois, cette dernière situation est l’objet de toutes les discussions mais aussi de toutes les attentions juridiques.
On l’aura compris, ce texte intéresse particulièrement le droit des étrangers puisque les contrôles dans la bande des 20 kilomètres et dans des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international concernent principalement les migrants.
Et dans ce domaine pour le moins sensible, les juridictions européennes et françaises se sont penchées sur la légalité des dispositions de l’alinéa 4 de l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale.
A l’origine, l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 juin 2010 :
L’évolution commence par un arrêt du 22 juin 2010 de la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie sur renvoi préjudiciel.
La Haute Cour estime que l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale français qui instaure le contrôle de toute personne dans la bande des 20 kilomètres est incompatible, en l’état, avec les dispositions de l’article 67 TFUE et des articles 20 et 21 du code communautaire de franchissement des frontières du 15 mars 2006.
Dans ce conflit de normes, les dispositions européennes s’opposent ainsi à la législation nationale.
En effet, l’incompatibilité ressort de la prérogative de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, l’identité de toute personne, indépendamment de son comportement et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi.
Cette compétence attribuée par la législation française est insuffisamment encadrée car « l’objectif de ces contrôles n’est pas le même que celui des contrôles aux frontières qui visent d’une part, à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire d’un État membre ou à le quitter et, d’autre part, à empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières« .
CJCE 22 juin 2010 Affaires C-188/10 et C-189/10
C’est ainsi que la Cour de Justice de l’Union Européenne relève que l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale « ne contient ni précisions ni limitations de la compétence accordée, notamment concernant l’intensité et la fréquence des contrôles pouvant être effectués« .
Dans son arrêt du 22 juin 2010, elle dénonce donc les contrôles systématiques indépendants du comportement de la personne concernée et/ou de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’Ordre public.
Les contrôles dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international se trouvent également concernés par cette censure.
L’apport de la jurisprudence de la Cour de Cassation :
Les juges de la Cour de Cassation ont pris acte de l’incompatibilité des dispositions du droit français avec la législation européenne.
A leur tour, ils amorcent une évolution qui se fera en deux étapes, la Cour Suprême se prononçant dans un premier temps sur les contrôles dans la bander des 20 kilomètres, puis élargissant aux contrôles dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international dans un second temps.
Par deux arrêts en date du 29 juin 2010, la Cour de Cassation emboîte le pas sans attendre de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Ces deux décisions rendues en assemblée plénière estiment que :
« La Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que l’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), s’opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’Etat membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet Etat avec les parties à la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des Etats de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen (Luxembourg) le 19 juin 1990, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et des circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
Dès lors que l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale n’est assorti d’aucune disposition offrant une telle garantie, il appartient au juge des libertés et de la détention d’en tirer les conséquences au regard de la régularité de la procédure dont il a été saisi».
Cass AP. 29 juin 2010 Pourvois 10-40002 et 10-40001
Cependant, les faits de l’espèce concernent l’interpellation consécutive à un contrôle dans la zone des 20 kilomètres de ressortissants algériens : cette jurisprudence ne porte aucune référence au contrôle dans les ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières qui se trouvent également concernés par cette censure.
Comme le souligne mon confrère, Nicolas CREISSON, les Préfets profiteront de ce silence « en soutenant que les interpellations des étrangers dans les halls de gares et d’aéroports sur le fondement de cet article sont parfaitement régulières ».
Mais le 23 février 2011, la Cour de Cassation trouvera l’occasion et l’espèce de se prononcer sur une interpellation consécutive au contrôle en gare de CERBERE dans le train en provenance de MONTPELLIER et à destination de BARCELONE sur le fondement de l’article 78-2, alinéa 4, du Code de Procédure Pénale.
Cass. Civ 1ère . 23 février 2011 Pourvoi 09-70462
Sans ambiguïté aucune, les juges affirmeront que les contrôles opérés sont irréguliers en l’absence de garantie tenant au comportement de la personne contrôlée et aux circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi.
La mise en conformité par la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011 :
Face à ces décisions en chaîne, la réaction du législateur sera prompte.
Le 14 mars 2011, la loi n°2011-267 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPPSI 2 est votée.
Son article 69 modifie les dispositions du l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale comme il suit :
« Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 93-323 DC du 5 août 1993) ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 93-323 DC du 5 août 1993) l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel (1). Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa (1) et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. Pour l’application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa « .
Bien sûr, si les contrôles d’identité opérés dans la bande des 20 kilomètres et dans les ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international ne concernaient pas principalement les personnes de nationalité étrangère, on pourrait s’interroger sur un tel empressement à légiférer.
D’autant que la France ne semble pas toujours pressée de se mettre en conformité avec le droit européen ou de transposer les normes européennes en droit français…