La servitude, une charge utile

Selon l’article 637 du Code Civil, « une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ».

Ainsi l’existence même de la servitude implique une relation entre deux terrains différents qui sont la propriété de deux personnes distinctes.

Cette charge créé ainsi un rapport entre deux immeubles : le fonds, celui qui en bénéficie, et le fonds servant, celui qui la supporte.

La charge contraint le propriétaire du fonds servant à accepter des obligations qui vont réduire ses droits.

A l’inverse, le propriétaire du fonds dominant est gratifié de prérogatives instituées par nécessité ou par convenance.

 

Malgré les sujétions qui naissent avec la servitude, il ne faut pas se méprendre sur sa nature.

Elle constitue, en effet, un droit réel et non un droit personnel : elle est liée au fonds et non à la personne.

Cette charge ne peut être imposée qu’à un fonds et pour un fonds, l’un des fonds servant nécessairement l’intérêt de l’autre.

La servitude est donc un accessoire indissociable du fonds servant et partage son sort car elle se transmet avec lui.

Il n’y a pas de quête du sens de l’existence dans ce domaine puisque la vie de cette charge est rattachée à son utilité.

C’est ainsi que l’article 639 du Code civil distingue trois types de servitudes en s’attachant à leur origine ou à leur mode d’établissement :

– les servitudes dérivant de la situation des lieux,
– les servitudes établies par la loi créées pour répondre à un objet public ou privé
– les servitudes établies par le fait de l’homme nées d’un accord entre propriétaires.

L’appréciation de l’utilité de la servitude est au cœur d’une jurisprudence fournie où le juge opère un contrôle entre la nécessite des obligations imposées par la charge et l’atteinte portée au droit de propriété.

Nul ne pouvant être contraint de céder sa propriété, les dispositions de l’article 637 du Code Civil doivent se concilier avec celles de l’article 545 du même code.

Ce principe a été récemment rappelé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 6 juin 2019.

Les juges ont précisé que dès lors que la volonté des parties tenait, lors d’une vente, à imposer un service à un fonds au profit d’un autre fonds, les contractants ont souhaité instituer une servitude.

Ils ont confirmé la décision des juges d’appel ayant retenu la nullité d’une clause d’un acte instituant une servitude dès lors qu’elle revenait à interdire, en raison de la configuration des lieux, toute jouissance de la chose pour le propriétaire du fonds servant.

Cass. Civ. 3ème 6 juin 2019 Pourvoi n°18-14547

 

Ainsi, si la servitude peut limiter l’usage du bien servant au profit du fonds dominant par la ou les charges qu’elle met en œuvre, elle ne peut priver le propriétaire du fonds servant de toute utilité de son bien.

Une servitude ne peut donc être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété.

Cass. Civ. 3ème 24 mai 2000 Pourvoi n°97-22255

La Cour de Cassation avait déjà eu l’occasion de préciser qu’il appartient au juge du fond de rechercher si la convention instituant la servitude n’interdisait pas au propriétaire du fonds servant toute jouissance d’une partie de sa propriété.

Cass. Civ. 3ème 12 décembre 2007 Pourvoi n° 06-18288

La servitude qu’elle soit sa nature et qu’elle soit son origine doit donc se conjuguer avec les droits d’autrui tant au moment de sa création que lors de son exercice.

 

Ce qu’il faut savoir sur les troubles anormaux de voisinage

Comme indiqué précédemment, la loi n° 2019-222, 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a engagé une grande évolution touchant le droit de l famille, le droit pénal mais également la procédure civile.

Cette législation prévoit notamment l’instauration d’une tentative de résolution amiable obligatoire pour certains litiges  avant toute saisine du juge.

Selon l’article 3 du texte de réforme :

« Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;

2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;

3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;

4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation« .

Ces dispositions ne rentreront en application qu’au 1er janvier 2020.

Mais à cette date, elles auront un impact considérable sur le contentieux de proximité en favorisant l’instauration d’un dialogue pouvant aboutir au règlement amiable du litige.

Les troubles anormaux de voisinage, objet de crispations et de pesantes tensions, sont directement concernés par cette réforme.

  • Le fondement de la responsabilité

La proximité de plusieurs habitations a des conséquences directes sur le cadre de vie et l’environnement immédiat de tout un chacun.

Vue, bruit, odeur sont autant d’inconvénient au voisinage que l’isolement ne connait pas.

Si, dans certaines situations, ils sont raisonnables et bien ordinaires, dans d’autres ils sont indésirables et singulièrement préjudiciables.

Ils portent alors atteinte à la tranquillité sans malveillance et deviennent des troubles anormaux de voisinage engageant la responsabilité de leur auteur à l’égard de ceux qui en sont les victimes.

Le Code Civil ne contient aucune disposition concernant les troubles de voisinage puisque la jurisprudence est à l’origine de ce concept juridique.

C’est ainsi que la Cour de Cassation a développé un régime de responsabilité particulier et affirmé le principe général du droit selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

  • Les conditions de la responsabilité 

La responsabilité est tout d’abord lié au caractère anormal des désagréments de la proximité entre voisin, qu’elle soi directe ou non.

Les nuisances, même en l’absence de toute infraction aux règlements administratifs, doivent dépasser un seuil de tolérance habituellement admis.

Par ailleurs, le trouble causé au voisin doit s’inscrire dans la continuité et la régularité éclipsant ainsi tous débordements exceptionnels.

L’appréciation de l’anormalité est ensuite directement liée au préjudice que l’excès va faire naitre par un rapport causalité directe et immédiate.

La responsabilité repose sur la seule preuve du dommage anormal subi, sans qu’il soit nécessaire de caractériser et de prouver l’existence une faute.

Cass. Civ. 3ème 30 juin 1998 Pourvoi n°96-13039

 

Cependant il existe des exceptions qui vont exonérer le voisin perturbateur tel que le comportement fautif de la victime.

L’article L112-16 du Code de la Construction et de l’Habitation prévoit également que « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

La responsabilité n’a donc pas raison de la vigilance de celui qui acquière un bien en connaissance de la situation susceptible d’être à l’origine d’un trouble de voisinage.

  • Les responsables du trouble

Si les conditions précitées sont remplies, celui qui subit l’anormalité pourra demander au juge de faire cesser le trouble et/ ou de l’indemniser de son préjudice.

Un propriétaire même s’il ne réside pas sur son fonds est d’ailleurs recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fonds voisin.

Cass. Civ. 2ème 28 juin 1995 Pourvoi n°93-12681

 

L’action sera principalement dirigée contre le propriétaire voisin concerné apparaissant comme celui qui engage naturellement sa responsabilité.

De ce fait, l’inaction du locataire ne dégagera pas ses obligations le bailleur propriétaire bien que ce dernier n’occupe pas le bien

Cass. Civ. 3ème  17 avril 1996 Pourvoi no 94-15876

 

La Cour de Cassation a admis qu’étaient responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances et les constructeurs à l’origine de celles-ci, ces derniers ayant la qualité de voisins occasionnels des propriétaires lésés.

Cass. Civ. 3ème 22 juin 2005 Pourvoi n° 03-20068

Plus récemment,  elle a condamné l’auteur du trouble in solidum le locataire de la parcelle litigieuse, en tant que commanditaire des travaux illégaux, le nu-propriétaire de la parcelle, en tant que bailleur, ainsi que l’usufruitier, en tant que bénéficiaire des loyers et des travaux irréguliers pour sanctionner le trouble manifestement illicite résultant de la réalisation de travaux sur une parcelle classée en zone agricole,

Cass. Civ. 3ème 4 avril 2019 Pourvoi n°18-11207

 

 

Reconnaissance de la filiation des enfants nés d’une mère porteuse et libre choix des États dans les moyens pour y parvenir

Dans l’arrêt Mennesson c. France (n° 65192/11) du 26 juin 2014, deux enfants nées en Californie d’une GPA et les parents d’intention se plaignaient de ne pouvoir obtenir en France, la reconnaissance de la filiation légalement établie aux États-Unis.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme avait conclu qu’il n’y avait pas eu violation du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants.

Le 16 février 2018, la cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à la demande de réexamen du pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010, qui avait annulé la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance américains des enfants Mennesson.

Dans le cadre de ce réexamen de ce pourvoi en cassation, la Cour de Cassation a adressé, suite à son arrêt du 5 octobre 2018, à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif quant à la nécessité, au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, d’une transcription d’un acte de naissance d’enfant né d’une GPA, en ce que cet acte désignerait la “mère d’intention”, indépendamment de toute réalité biologique.

La Cour européenne des droits de l’homme a  rendu son avis le 10 avril 2019 et rend, à l’unanimité, l’avis suivant :

Pour le cas d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) et issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et alors que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne,

  1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ».
  1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle l’adoption de l’enfant par la mère d’intention.

CEDH, demande n° P16-2018-001, avis du 10 avril 2019

Suite à cet avis, la Cour de cassation se réunira prochainement en formation plénière pour se prononcer dans le cadre du pourvoi sur lequel elle avait alors sursis à statuer.

L’évolution de la présomption de paternité

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a été définitivement adoptée et publiée au journal officiel du 24 mars 2019.

Quelques jours auparavant, le Conseil Constitutionnel a par décision n° 2019-779 DC du 21 mars 2019 partiellement censuré le texte notamment les dispositions visant à confier aux caisses d’allocations familiales, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la délivrance de titres exécutoires portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Conseil Constitionnel 21 mars 2019 N ° 2019-778 DC

Concernant les dispositions visant à développer les modes de règlement alternatifs des différends, il a  jugé que le législateur, qui a entendu réduire le nombre des litiges soumis au juge, a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.

Avec une réserve d’interprétation, la recevabilité de certaines demandes en matière civile sera donc subordonnée à la tentative de règlement amiable préalable.

L’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 entraine donc une évolution importante en droit de la famille et en droit des personnes.

Mais les bouleversements se feront par pallié, certains articles étant entrés en vigueur est immédiatement tandis que d’autres doivent attendre  des mesures d’application ou de coordination.

Parmi toutes les dispositions de la Loi concernant les procédures contentieuses de divorce, le mariage des majeurs protégés, l’attribution du logement de la famille au concubin après rupture, le consentement à la procréation médicalement assistée par acte notarié et la simplification du changement de régime matrimonial, il en est une qui a fait peu parlé d’elle.

Elle concerne la présomption paternité du mari de la mère.

La filiation se prouve par l’acte de naissance de l’enfant, par l’acte de reconnaissance ou par l’acte de notoriété constatant la possession d’état

Par l’effet de la loi, le mari de la mère est présumé être le père de l’enfant conçu ou né pendant le mariage en application de l’article 312 du Code Civil.

Ainsi, l’enfant conçu avant le mariage avant la célébration de l’union ou pendant le mariage avant séparation du couple est présumé être celui de l’époux.

Pour aider à déterminer la date de conception de cet enfant, la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance.

Ces délais correspondent aux gestations les plus courtes et les plus longues connues au moment où le texte a été promulgué, c’est-à-dire le 2 avril 1803.

La présomption de paternité du mari de la mère de l’enfant est donc un concept stable du droit français qui a survécu à la restauration, à l’empire et à la république.

Pourtant elle n’est pas irréfragable : c’est à celui qui conteste la véracité d’une reconnaissance d’apporter la preuve contraire est recevable pour combattre cette présomption.

Ce principe est cependant réduit par l’article 313 ancien du Code Civil qui l’écarte « lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père » mais encore « en cas de demande en divorce ou en séparation de corps, lorsque l’enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires, soit de l’ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation ».

Pragmatique, le droit civil envisage toutes les circonstances entourant la conception de l’enfant qu’elle soit intervenue lors de la vie commune précédent le mariage, durant le mariage lui-même que la communauté de vie est cessé ou non.

La Loi nouvelle dans son 9°, l’article 22 vient épousseter l’article 313 pour le moderniser et retient désormais que la présomption de paternité succombe à  « l’introduction de la demande en divorce ou en séparation de corps ou après le dépôt au rang des minutes d’un notaire de la convention de divorce ».

En tout état de cause, les dispositions concernant l’acte de naissance de l’enfant qui mentionne le nom du mari en qualité de père sont inchangées.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le lendemain de la publication, le 25 mars 2019.

Il faut rappeler qu’en parallèle, une autre disposition du Code Civil a été modifiée par la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Comme le souligne Monsieur le Ministre de l’Intérieur dans sa circulaire du 28 février 2019« l’article 316 du code civil relatif à la filiation par reconnaissance est modifié pour permettre, en amont, un contrôle préventif des reconnaissances de filiation » dans le but de lutter contre la reconnaissance de filiation effectuée dans le but exclusif d’obtenir ou de favoriser la délivrance d’un titre de séjour parent d’enfant français.

L’étanchéité des instances dans le contentieux de la rétention administrative

Dans un arrêt rendu le 16 janvier 2019, la Cour de cassation a dit pour droit que le juge des libertés et de la détention ne peut statuer sur la régularité de la décision de placement en rétention, en l’absence de requête déposée à cette fin par l’étranger.

Cass. Civ. 1ère 16 janvier 2019 Pourvoi n°18-50047

La rétention administrative est une mesure privative de liberté existant depuis la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Elle trouve son fondement dans une mesure d’éloignement quel qu’en soit sa nature et a pour objet de faciliter l’exécution de ladite mesure.

 Civil par nature, le contentieux de la rétention administrative relève de la procédure prévue à la section I du chapitre II du titre V du livre V du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’instance concernant le placement en rétention et l’instance concernant la prolongation de la rétention sont évoquées lors d’une audience commune au terme de laquelle le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance unique.

Cette organisation singulière aboutit à une jonction atypique des instances qui n’est pas sans susciter quelques difficultés dans un contentieux déjà tendu par l’enjeu et par l’urgence.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 janvier 2019 témoigne de la complexité du contrôle du juge saisi de deux instances liées par une même ordonnance et par les mêmes plaideurs.

 C’est ainsi que la Cour suprême censure l’ordonnance rendue le 5 avril 2018 par le premier président de la cour d’appel de Rouen qui se prononce sur des moyens de régularité du placement en rétention sans en avoir été saisi par le ressortissant irakien retenu dans la perspective de son transfert vers l’Italie.

Cette jurisprudence vient ainsi dessiner les contours des deux instances du contentieux de la rétention administrative et bousculer l’office du juge.

 Selon l’article L. 512-1-III du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, «la décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section I du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu’il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L. 552-1».

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, c’est le juge des libertés et de la détention qui a le pouvoir d’apprécier la légalité du contrôle qui a révélé la situation irrégulière de l’étranger avant de décider d’une éventuelle prolongation de la rétention.

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France, va confier à cette même juridiction l’ensemble du contentieux de la rétention administrative des étrangers en soustrayant la régularité de la décision de placement au juge administratif.

Le contrôle juridictionnel de la rétention administrative relève donc du bloc de compétence du juge judiciaire.

Cette réunion s’inscrit dans l’analyse du Conseil constitutionnel qui précisait en 1987 que si le contentieux de l’annulation et de la réformation des décisions administratives relève de la compétence des juridictions administratives, c’est bien sûr sous réserve des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, au premier rang desquelles figure la liberté individuelle à laquelle porte atteinte, à l’évidence, une mesure de rétention administrative.

Conseil Constitutionnel 23 janvier 1987 no 86-224 DC

Le juge des libertés et de la détention a ainsi à se prononcer sur la régularité du placement à la demande du retenu ayant la qualité de demandeur, le préfet ayant celle de défendeur.

Il peut également être saisi de la prolongation de la rétention par le préfet ayant alors la qualité de demandeur et le retenu ayant celle de défendeur.

Dans l’une ou l’autre instance, la juridiction est saisie par simple requête motivée et signée à peine d’irrecevabilité adressée par tout moyen au juge, avant l’expiration du délai imparti que le greffier enregistre et y appose, ainsi que sur les pièces jointes, un timbre indiquant la date et l’heure de la réception.

Les articles R. 552-10-1, R. 552-3 et R. 552-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile créent donc un parfait parallélisme des formes entre les deux procédures.

Mais pour autant, la collusion entre les deux instances s’arrête là.

C’est ce que la Cour de cassation relève dans son arrêt du 16 janvier 2019 en retenant que le juge des libertés et de la détention ne peut connaître des moyens concernant la régularité du placement en rétention s’il n’est saisi que d’une demande de prolongation de cette mesure par le préfet.

Elle casse ainsi l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Rouen qui se prononçait sur les conséquences sur la régularité de la décision de «l’absence de dispositions réglementaires permettant la prise en compte de la vulnérabilité des étrangers, au sens de l’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile».

L’article L. 551-1 issu de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018, permettant une bonne application du régime d’asile européen, dans sa rédaction ancienne (antérieure à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2019 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie précisait que «l’étranger ne peut être placé en rétention que pour prévenir un risque non négligeable de fuite, sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé, et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionné et si les dispositions du même article L. 561-2 ne peuvent être effectivement appliquées».

Le moyen de pur droit tiré de l’évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité ne pouvait cependant pas être relevé d’office par le juge non saisi de la régularité du placement en rétention.

 Comme le constate la Cour de cassation, il ne pouvait trancher sur ce point en «l’absence de requête déposée à cette fin par l’étranger».

Il existe donc un champ bien délimité entre le contrôle opéré par le Juge des Libertés et de la Détention dans le cadre de sa saisine par le retenu et celui dans le cadre de sa saisine par le préfet.

C’est ce qui rend l’instance sur la prolongation de la rétention parfaitement étanche à l’instance sur la régularité du placement initial.

Il existe donc une identité de forme et de parties entre le recours de l’article L. 512-1-III du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et celui l’article L. 552-1 du même code mais pas de cause, ni d’objet.

En tout état de cause, il convient de préciser que le moyen tiré de « l’absence de dispositions réglementaires permettant la prise en compte de la vulnérabilité des étranger » était de toute façon infondé.

Avant le décret n° 2018-528 du 28 juin 2018, pris pour l’application de l’article 1er  de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen (partie règlementaire), le Conseil d’Etat a, en effet, eu l’occasion de souligner que, «s’agissant de la décision initiale de placement en rétention, les dispositions du II de l’article L. 551-1, selon lesquelles le placement ne peut intervenir que ‘sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé’, ne prévoient pas l’intervention d’un décret et que leur entrée en vigueur n’est pas nécessairement subordonnée à l’édiction de dispositions réglementaires ».

Conseil d’Etat 16 avril 2018 Requête n° 419373

Au surplus, l’office du juge ne se trouve pas entamé par l’arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 2019 puisqu’il est lié à l’objet de sa saisine.

Ainsi, saisi d’une demande de prolongation d’une mesure de rétention, le juge des libertés et de la détention doit s’assurer que les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement peuvent être surmontés à bref délai, a jugé la Cour de cassation.

Cass. Civ. 1ère 18 novembre 2015 Pourvoi n° 15-14560

Dans le même cadre, il lui appartient également d’apprécier les diligences mises en œuvre pour reconduire l’étranger dans son pays ou tout autre pays.

Cass. Civ. 1ère  23 novembre 2016 Pourvoi n° 15-28375

Depuis lors, la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, est venue quelque peu réécrire l’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais sa principale évolution procède de la modification du séquençage des interventions du juge des libertés et de la détention à fin de prolongation comme il suit :

– la décision préfectorale initiale de maintien en rétention est toujours valable quarante-huit heures ;

  – la prolongation judiciaire pour une durée maximale demeure de vingt-huit jours ;

  – une deuxième prolongation judiciaire motivée par certaines circonstances est portée à trente jours ;

  – une troisième et une quatrième prolongations judiciaires supplémentaires de quinze jours chacune sont également prévues dans des cas spécifiques.

La durée ordinaire de la rétention hors activités terroristes est donc établie à quatre-vingt-dix jours, ce qui constitue une augmentation significative et renforce l’importance de l’appréciation de l’état de vulnérabilité et tout handicap du potentiel retenu dans l’instance de prolongation.

 

 

GPA et transcription d’acte de naissance établi à l’étranger: la Cour de Cassation saisit pour avis la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Les 15 mai et 8 juin 2017, la Cour de Cassation a été saisie de deux demandes de réexamen de pourvois en cassation posant la question de la transcription d’actes de naissance établis à l’étranger pour des enfants nés de mères porteuses à la suite de la conclusion avérée ou suspectée d’une convention de GPA.

Par deux arrêts du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à ces demandes et dit que les affaires se poursuivraient devant l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation.

Déjà condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les juges de cassation ont, par effet boomerang, vu l’épineuse question des conventions de « mères porteuses » se présenter de nouveau devant eux

CEDH  21 juillet 2016 Requête n° 9063/14 et 10410/14

CEDH 26 juin 2014 Requête n° 65941/11

Craignant d’être de nouveau sanctionnés, ils ont donc décidé le 5 octobre dernier d’adresser à celle qui les a déjugé une demande d’avis consultatif sur la transcription d’un acte de naissance de l’enfant né dans me cadre d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne la “mère d’intention”, indépendamment de toute réalité biologique.

Cass. AP. 5 octobre 2018 n° 637

Cass. AP. 5 octobre 2018 n° 638

Ces décisions interviennent quelques jours à peine après l’avis à la révision de la loi de bioéthique du Comité consultatif national d’éthique.

Le 25 septembre 2018, le Comité a précisé dans son avis n°129 qu’il demeurait favorable au maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui en précisant :

« En définitive, le CCNE reste attaché aux principes qui justifient la prohibition de la GPA, principes invoqués par le législateur : respect de la personne humaine, refus de l’exploitation de la femme, refus de la réification de l’enfant, indisponibilité du corps humain et de la personne humaine. Estimant qu’il ne peut donc y avoir de GPA éthique, le CCNE souhaite le maintien et le renforcement de sa prohibition, quelles que soient les motivations, médicales ou sociétales, des demandeurs. Le CCNE est ainsi favorable à l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA et recommandait, dans l’avis 126, l’engagement de négociations internationales, multilatérales dans ce cadre ».

Les arrêts du 5 octobre 2018 s’inscrivent donc dans un contexte où le débat sur la GPA et ses conséquences restent très vif.

 

Communiqué GPA 05.10.18 –

L’appréciation de l’acte usuel de l’autorité parentale par l’Administration

Comme cela a déjà été évoqué dans un précédent article, l’autorité parentale est l’ensemble de droits et d’obligations conférés aux père et mère à l’égard de leurs enfants mineurs.

A ce titre, l’article 372-2 du Code Civil dispose qu’ « à l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant ».

Les père et mère, titulaires de l’autorité parentale, peuvent donc prendre l’un sans l’autre des décisions concernant leur fils ou fille.

Cependant, si la loi affirme le principe d’une présomption d’accord, elle reste muette sur la définition à la notion d’acte usuel.

Par ailleurs, l’accord entre les parents n’est que présumé : la preuve contraire peut donc être rapportée.

Aussi, si l’un des parents estime que l’autre a abusé du pouvoir donné par l’article 372-2 du Code Civil pour passer un acte sans son assentiment, il lui appartient de saisir le juge.

 

Au-delà des indélicatesses et des tensions que les actes usuels peuvent entrainer entre les titulaires de l’autorité parentale, ils peuvent également placer les tiers de bonne foi face à des situations troubles.

L’administration fait partie de ses tiers qui peuvent avoir à répondre à une demande d’acte concernant l’enfant dans un climat de défiance.

Le Conseil d’Etat a ainsi eu l’occasion de se prononcer sur l’inscription d’un enfant mineur sur le passeport de l’un des parents.

Il a retenu, qu’en application des dispositions de l’article 372-2 du Code Civil, chacun des parents peut légalement obtenir l’inscription sur son passeport de ses enfants mineurs, sans qu’il lui soit besoin d’établir qu’il dispose de l’accord exprès de l’autre parent, dès lors qu’il justifie exercer, conjointement ou exclusivement, l’autorité parentale sur ces enfants et qu’aucun élément ne permet à l’administration de mettre en doute l’accord réputé acquis de l’autre parent.

Conseil d’Etat 8 février 1999 Requête N° 173126

 

Mais c’est au cours de la scolarité que les autorités administratives sont le plus souvent amenées à intervenir au titre des actes usuels de l’autorité parentale relative à la personne de l’enfant.

En 2009, le rapport LEONETTI relatif à l’autorité parentale et aux droits des tiers relevait les problématiques liées aux prérogatives des parents en milieu scolaire en soulignant :

« Dès lors qu’aucune décision de justice ne régit la situation de l’enfant, la prudence devrait être de mise, surtout s’agissant d’un couple non marié. Il suffirait alors à l’école de solliciter de façon systématique la production d’un acte de naissance de l’enfant : si celui-ci a été reconnu par ses deux parents dans l’année de sa naissance, l’autorité parentale est nécessairement conjointe.
Dans les faits, l’école d’origine, saisie par un seul des parents d’une demande de certificat de radiation en plein milieu d’année scolaire, sachant que l’enfant a un autre parent codétenteur de l’autorité parentale, ne peut faire l’économie de vérifier le consentement de ce dernier à une telle démarche non usuelle. De même, l’école d’accueil est légalement tenue pour le moins de demander au parent de produire une décision judiciaire fixant à son domicile la résidence de l’enfant et, à défaut, de solliciter l’accord de l’autre parent qui apparaît sur l’acte de naissance.
En négligeant de procéder à des vérifications minimales et en se réfugiant à tort derrière les dispositions de l’article 372-2 du code civil, l’Éducation nationale peut de facto faciliter un déplacement illicite d’enfant ».

Soucieux de prévenir d’éventuels litiges, l’Education Nationale a édité en 2011 une brochure intitulée « L’exercice de l’autorité parentale en milieu scolaire ».

Ce guide destiné aux parents et aux personnels éducatifs doit permettre de faciliter le dialogue, d’éviter les conflits et d’indiquer les médiations possibles.

Mais malgré ces précautions, le Conseil d’Etat a récemment été amené à se prononcer suite à la radiation d’un établissement en fin d’année scolaire et l’inscription dans un nouveau collège à l’initiative d’un seul des titulaires de l’autorité parentale.

Il a estimé que le Tribunal Administratif a commis une erreur de droit en jugeant qu’une demande de changement d’établissement scolaire ne revêtait pas le caractère d’un acte usuel de l’autorité parentale, sans rechercher si, eu égard à la nature de cet acte, l’ensemble des circonstances dont l’administration avait connaissance était de nature à la faire regarder comme régulièrement saisie de cette demande.

A cette occasion, le Conseil d’Etat vient préciser le cadre de l’analyse et de l’appréciation de l’autorité administrative au regard des dispositions de l’article 372-2 du Code Civil :

« 3. Considérant que, pour l’application de ces dispositions, l’administration appelée à prendre, à la demande d’un des parents exerçant en commun l’autorité parentale avec l’autre parent, une décision à l’égard d’un enfant, doit apprécier si, eu égard à la nature de la demande et compte tenu de l’ensemble des circonstances dont elle a connaissance, cette demande peut être regardée comme relevant d’un acte usuel de l’autorité parentale ; que, dans l’affirmative, l’administration doit être regardée comme régulièrement saisie de la demande, alors même qu’elle ne se serait pas assurée que le parent qui la formule dispose de l’accord exprès de l’autre parent ;

4. Considérant, par ailleurs, que dans l’hypothèse où l’administration ferait droit, pour un enfant, à une demande émanant d’un parent qu’elle ne pourrait, en vertu de la règle rappelée au point 3 ci-dessus, regarder comme réputé agir avec l’accord de l’autre parent, l’illégalité qui entacherait, par suite, sa décision, ne serait susceptible d’engager sa responsabilité qu’à raison de la part imputable à sa faute dans la survenance du préjudice ».

Conseil d’Etat 13 avril 2018 Requête N°392949

 

L’évolution des lois bioéthiques de 1994 à nos jours

Le droit bioéthique doit sa naissance à l’évolution des sciences de la vie et aux progrès de la recherche biomédicale.

A la fin des années 1970, le soin du malade s’est enrichi de connaissances nouvelles en matière de génétique, de thérapeutiques innovantes concernant les produits du corps humains et d’une compréhension meilleure de la souffrance du patient.

Grâce aux découvertes dans le domaine biologique, la médecine a notamment avancé dans le traitement de la stérilité de l’homme et de la femme en développant des techniques de procréation médicalement assistée.

Mais l’ensemble de ces transformations a très vite ouvert un débat sociétal et suscité de nombreuses questions éthiques.

L’avènement de la médecine prédictive est ainsi apparu aussi inquiétant autant que miraculeux.

Dans l’ombre de la fonction thérapeutique du progrès, la crainte de voir les chercheurs se muer an apprentis sorciers s’est faite jour.

Comme le souligne Dominique THOUVENIN « l’expérimentation médicale n’est plus seule en cause dans la mesure où le développement de technologies nouvelles n’a cessé de transformer la pratique médicale, modifiant les limites traditionnelles de la vie et de la mort » (Les lois n° 94-548 du 1er juillet 1994, n° 94-653 et n° 94-654 du 29 juillet 1994 ou comment construire un droit de la bioéthique – DALLOZ 1995. 149).

C’est dans ce contexte que le Décret n° 83-132 du 23 février 1983 a donné naissance au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Son intervention a permis de préparer lentement le terrain du dépôt de trois projets de lois à l’Assemblée Nationale le 25 mars 1992.

  • Les lois bioéthiques de 1994 :

En 1994, à l’issue des débats parlementaires, le législateur a ainsi offert un cadre  légal à la bioéthique au terme de trois lois historiques :

  • La loi n° 94-548 du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,
  • La loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain,
  • La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

 

Ces législations ont permis de poser le principe du respect du corps humain et ses trois  conséquences :

-Le corps humain est inviolable : Art. 16-1 du Code Civil

– Le corps humain est indisponible (hors du commerce) : Art. 16-1 du Code Civil

– Le juge est garant du respect du corps humain

 

Elles recouvrent, en outre, les règles d’organisation de secteurs d’activités médicales en plein développement tels que ceux de l’assistance médicale à la procréation ou de greffes ainsi que des dispositions relevant du domaine de la santé publique ou de la protection des personnes se prêtant à des recherches médicales.

Saisi par le Président de l’Assemblée Nationale ainsi que soixante députés, le Conseil Constitutionnel a eu à se prononcer sur la constitutionnalité des lois.

Il a ainsi retenu que « lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine ; que les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».

Conseil Constitutionnel 27 juillet 1994 n° 94-343-344

 

  • La loi du 6 aout 2004 :

Originellement, les lois dites bioéthiques de 1994 devaient faire l’objet d’une révision dans les cinq ans les suivants pour s’adapter aux évolutions scientifiques.

Mais ce n’est que dix ans après leur adoption que le législateur a procédé à leur actualisation, fort du travail du Comité consultatif national d’éthique.

 

La loi n°2004-800 relative à la bioéthique du 6 août 2004 est ainsi venue notamment compléter le Code de la Santé Publique en introduisant de nécessaires modifications concernant le don, le prélèvement et la greffe, à savoir :

–  Le prélèvement et la greffe constituent une priorité nationale (L 1231-1 A).

–  Le prélèvement d’organes est une activité médicale (L 1235-3).

–  Tous les établissements de santé, qu’ils soient autorisés à prélever ou non, participent à l’activité de prélèvement d’organes et de tissus en s’intégrant dans des réseaux de prélèvement (L 1233-1).

–  Dans le cadre du consentement présumé (L 1232-1) au prélèvement d’organes, le recueil de la volonté du défunt lorsque le médecin n’en a pas directement connaissance a évolué.

–  L’information des jeunes de 16 à 25 ans sur les modalités de consentement au don d’organes fait l’objet d’une attention particulière (L 1211-3).

–  Le cercle des donneurs vivants d’organes est étendu (L 1231-1).

–  La gestion du fichier des donneurs volontaires de cellules hématopoïétiques entre dans les missions de l’Agence de la biomédecine (L 1418-1).

Cette loi rappelle, tout d’abord, que l’individu est au cœur du système de santé en faisant du consentement la pierre angulaire de ce dernier

Cette loi transpose, par ailleurs, en partie la directive n° 98/44 du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Cette loi autorise, enfin, limitativement et strictement les recherches et expérimentations sur l’embryon humain « lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques ».

 

  • La loi du 7 juillet 2011 :

Après 7 ans, la précédente législation a, de nouveau, été modifiée après avoir été précédée par de nombreux travaux, reculant l’échéance fixée au départ à 2009.

La Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi de 2004.

Son adoption a donné lieu à d’âpres débats sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation, l’extension des dons entre vifs d’éléments et produits du corps humain, l’anonymat du don de gamètes, la gestation pour autrui mais également la recherche sur l’embryon humain.

Le rapport final des États généraux de la bioéthique du 1er février 2009 retient ainsi que pour les citoyens ayant répondu à la consultation, l’aide médicale à la procréation est une réponse médicale à l’infertilité naturelle qui doit conduire à en refuser l’accès aux femmes célibataires ou aux couples homosexuels.

 

Au final, la Loi du 7 juillet 2011  tend :

  • à apporter une nouvelle définition des modalités permettant d’autoriser les techniques d’assistance médicale à la procréation,
  • à supprimer la condition de deux ans de vie commune pour les partenaires et concubins, candidats à l’aide médicale à la procréation,
  • à limiter la mise en œuvre le nombre des embryons conçus et conservés dans le cadre de la fécondation in vitro,
  • à améliorer l’information qui doit être délivrée à la femme enceinte dans le cadre du diagnostic prénatal,
  • à élargir le cercle des donneurs vivants en matière de don d’organes et à autoriser le don croisé d’organes.

Comme en 2004, le texte comporte une clause de révision dans son article 47 qui dispose « la présente loi fait l’objet d’un nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur ».

L’échéance doit donc intervenir au cours de l’année 2018.

Ainsi, le processus de révision a officiellement été lancé avec l’ouverture par le Comité Consultatif national d’éthique des états généraux de la bioéthique, le 18 janvier 2018, autour des neufs thèmes suivants :

  • Cellules souches et recherche sur l’embryon
  • Examens génétiques et médecine génomique
  • Dons et transplantations d’organes
  • Neurosciences
  • Données de santé
  • Intelligence artificielle et robotisation
  • Santé et environnement
  • Procréation et société
  • Prise en charge de la fin de vie

La consultation nationale s’étant achevée le 30 avril dernier, le Comité consultatif national d’éthique rendra son rapport au mois juin avant que ne s’ouvrent les débats parlementaires de réexamen à l’automne prochain.

De l’impossibilité d’établir la filiation par possession d’état de l’enfant du concubin de même sexe

Au terme d’un récent avis, la Cour de Cassation a mis de nouveau en lumière les limites de la Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Si conjugalité homosexuelle et institution du mariage ne sont désormais plus incompatibles, l’évolution s’est arrêtée aux portes de la filiation.

En effet, selon l’article 317 du Code Civil, « chacun des parents ou l’enfant peut demander au juge du tribunal d’instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire ».

La possession d’état permet, ainsi, d’établir l’existence d’un lien de filiation et de parenté entre un parent et son enfant qui se comportent comme tels dans la réalité, même s’ils n’ont aucun lien biologique.

Pour être inscrite à l’état civil, cette possession d’état doit être constatée dans un acte de notoriété délivré par le juge.

Sur ce fondement, la compagne de la mère de l’enfant a tenté de se faire délivrer ledit acte de notoriété.

Saisi de cette demande inédite, le Tribunal d’Instance de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE a sollicité la Cour de Cassation pour avis sur la possible application des articles 317 et 320 du Code Civil dans une telle situation.

La réponse attendue intéressait notamment l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale.

Les juges de la Cour de Cassation ont considéré que le juge d’instance ne pouvait délivrer un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers qui la filiation est déjà établie.

Avis n° 15003 du 7 mars 2018 – Première chambre civile (Demande d’avis n° F 17-70.039) ECLI:FR:CCASS:2018:AV15003

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;
Vu la demande d’avis formulée le 27 octobre 2017 par le tribunal d’instance de Saint-Germain-en-Laye, reçue le 8 décembre 2017, dans une instance concernant Mmes X… et Y…, en présence du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles, et ainsi libellée :
« Les articles 317 et 320 du code civil autorisent-ils la délivrance d’un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie ?
En cas de réponse négative, l’impossibilité de délivrer un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie méconnaît-elle l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant ? Et peut-elle constituer, au regard des circonstances de fait appréciées concrètement par le juge d’instance, une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au regard du but légitime poursuivi ? »
Vu les observations écrites de Me Occhipinti pour Mme X… ; Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Sassoust, avocat général, entendu en ses observations orales ;
MOTIFS :
En ouvrant le mariage aux couples de même sexe, la loi no 2013-404 du 17 mai 2013 a expressément exclu qu’un lien de filiation puisse être établi à l’égard de deux personnes de même sexe, si ce n’est par l’adoption.
Ainsi, l’article 6-1 du code civil, issu de ce texte, dispose que le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe.
Les modes d’établissement du lien de filiation prévus au titre VII du livre Ier du code civil, tels que la reconnaissance ou la présomption de paternité, ou encore la possession d’état, n’ont donc pas été ouverts aux époux de même sexe, a fortiori aux concubins de même sexe.
En toute hypothèse, l’article 320 du code civil dispose que, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.
Ces dispositions s’opposent à ce que deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles soient établies à l’égard d’un même enfant.
Il en résulte qu’un lien de filiation ne peut être établi, par la possession d’état, à l’égard du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie.
Le contrôle de conventionnalité, au regard de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relève de l’examen préalable des juges du fond et, à ce titre, échappe à la procédure de demande d’avis.
En conséquence,
LA COUR EST D’AVIS QUE :
1. Le juge d’instance ne peut délivrer un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie.
2. La seconde question relève de l’examen préalable des juges du fond et, à ce titre, échappe à la procédure de demande d’avis.

L’autorité parentale et ses attributs

« Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celles de nos pères, celles de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières ».

MONTESQUIEU

Dès sa naissance, l’enfant est confié aux bons soins de ses parents qui l’accompagnent dans les premiers pas de sa vie jusqu’à ce que son autonomie lui permette de tracer son propre chemin.

Père et mère découvrent ainsi de tout leur instinct le rôle qui doit être le leur dans la direction et l’éducation de leur progéniture.

La parentalité est définie par l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’enfant comme « la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement » en étant guidé « avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant ».

En droit français, l’ensemble de droits et d’obligations conférés aux père et mère à l’égard de leurs enfants mineurs est nommée l’autorité parentale.

L’article 371-1 du Code Civil dispose qu’« elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».

L’autorité parentale est exercée, sauf exception, conjointement par les deux parents à qui elle impose de veiller tant sur sa personne de l’enfant que sur son patrimoine en :

– contribuant à son entretien matériel à proportion de leurs ressources respectives et des besoins de l’enfant,
– pourvoyant à son éducation scolaire et participe à son éducation morale,
– assurant la gestion de son patrimoine au travers de deux prérogatives : la jouissance légale des biens du mineur et l’administration légale de son patrimoine.

C’est ainsi que les père et mère prennent ensemble les décisions qui concernent l’enfant et l’y associent selon son âge et son degré de maturité.

Ainsi définie, l’autorité parentale se voit attacher plusieurs attributs que l’on peut détailler comme il suit :

  • Attributs généraux de l’autorité parentale :

Les attributs généraux de l’autorité parentale sont les conséquences directes de la prise en charge quotidienne de l’enfant par ses parents et de la communauté de vie qu’ils partagent avec lui.

Ainsi, l’enfant suit le sort de ses parents qui décident de son lieu d’habitation puisque l’article 108-2 du Code Civil retient que « le mineur non émancipé est domicilié chez ses père et mère ».

De même, il ne peut circuler librement sans leur consentement, l’article 371-6 du Code Civil précisant que « l’enfant quittant le territoire national sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale est muni d’une autorisation de sortie du territoire signée d’un titulaire de l’autorité parentale ».

La parentalité confère, par ailleurs, aux père et mère une obligation de soin à l’égard de leur enfant : les suivis et traitements médicaux ainsi que les opérations chirurgicales sont autant de cas d’intervention qui relèvent de l’exercice de l’autorité parentale.

L’article R. 1112-34 du Code de la Santé Publique prévoit, en effet, que « l’admission d’un mineur est prononcée, sauf nécessité, à la demande d’une personne exerçant l’autorité parentale ou de l’autorité judiciaire ».

De même, L 3111-2 du même code prévoit que les parents sont tenus personnellement responsables de l’exécution des vaccinations obligatoires telle que l’antitétanique.

Enfin, les parents de l’enfant sont dans l’obligation d’assurer les conséquences d’acte dont le mineur est l’auteur et prennent la qualité de civilement responsables.

En application de l’article 1242 du Code Civil, « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

Ils sont donc tenus d’indemniser toutes victimes des préjudices nés du fait délictueux ou non de leur progéniture.

  • Droit de jouissance légale des biens du mineur par les parents :

Selon l’article 382 du Code Civil, « les père et mère ont, sous les distinctions qui suivent, l’administration et la jouissance des biens de leur enfant ».

Les parents assurent la gestion patrimoine de leur l’enfant mais ils bénéficient surtout du droit de jouissance du patrimoine de l’enfant, qu’il soit composé de biens mobiliers ou immobiliers, de valeurs matérielles ou immatérielles.

En tant qu’administrateurs légaux des biens du mineur, les parents ont donc le droit de s’approprier les revenus du patrimoine de l’enfant sans avoir à en rendre compte, à charge de satisfaire à son entretien et son éducation.

Ce droit de jouissance légale est donc une forme de compensation éducative qui cesse cependant lorsque l’enfant a seize ans révolus.

Il confère à ses titulaires le droit de jouir des fruits que peuvent produire les biens comme par exemple les loyers d’un appartement mis en location.

Il peut être assimilé à un usufruit ce qui conduit a priori à reconnaître également aux parents un droit d’usage sur les biens du mineur comme par exemple l’occupation d’une maison acquis par le mineur par succession.

Pendant la durée de cet usufruit, les père et mère sont tenus de respecter toutes les obligations auxquelles sont tenus les usufruitiers.

Ils doivent jouir du bien en bon père de famille, l’entretenir, en conserver la substance et respecter sa destination.

L’intégralité du patrimoine de l’enfant est soumis à ce droit, notamment les comptes bancaires dont les parents peuvent user.

  • Administration légale pure et simple des biens du mineur par les parents :

Si l’enfant acquiert la personnalité juridique à la naissance, il ne disposera de la capacité juridique qu’à sa majorité.

Sa vulnérabilité et son immaturité le rendent inapte à gérer ses droits, à en jouir et à les exercer, notamment s’il s’agit d’agir en justice.

Le mineur peut accomplir seul les actes de la vie courante mais devra ainsi être représenté dans tous les actes de la vie civile.

De ce fait, l’administration légale de ses biens et de son patrimoine est attachée à l’autorité parentale et revient à ses père et mère qui l’exercent conjointement.

Les parents vont donc gérer le patrimoine de leur enfant par des différents actes dont la portée varie selon leur nature.

Le Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 est à l’origine d’une classification précise selon la nature des mesures et leurs conséquences sur le patrimoine.

Premièrement, les actes d’administration qui constituent des actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine sans risque anormal, peuvent être faits par chacun des parents seuls,

Sauf circonstances de l’espèce, entrent dans cette catégorie les actes de gestion d’un portefeuille y compris les cessions de titres à condition d’être suivis de leur remplacement ou les ventes de droits ou de titres.

Deuxièmement, les actes de disposition qui engagent le patrimoine du mineur, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire, nécessitent l’accord des deux parents.

Constituent des actes de disposition l’acquisition d’un bien immobilier ou bien le prélèvement de somme d’argent importante sur les comptes bancaires.

Mais dans tous les cas, les parents doivent apporter dans la gestion du patrimoine des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt de l’enfant.

L’autorité parentale accorde donc de nombreuses prérogatives aux parents en même temps que d’importantes obligations.

Les père et mère ont la charge d’administration et de conservation du patrimoine de leur enfant mais surtout ont le rôle de protéger sa personne dans sa sécurité, sa santé et sa moralité.

D’actes en soins, d’aliments en affection, être parent c’est d’avant tout de guider son enfant dans les apprentissages de la vie qui lui permettront de se construire ainsi que de préparer au mieux son avenir pour qu’il épanouisse dans la pleine mesure de son existence.