Le 06/11/11
Tout au long de sa vie, le contrat né d’une rencontre de consentements est régi par le droit des obligations et bercé par l’ordre public.
A l’heure où les établissements bancaires et les assureurs imposent leurs clauses et garanties, le respect des bonnes moeurs préside encore aux conventions quel qu’elles soient.
Depuis 1804, les quatre conditions essentielles à la validité des contrats prévues à l’article 1108 du Code Civil sont demeurées inchangé en la matière, à savoir :
– Le consentement éclairé de la partie/les parties,
– La capacité de contracter,
– L’objet certain déterminé/ déterminable des engagements,
– La cause licite dans l’obligation.
C’est sur ce dernier élément que s’est porté l’analyse des juges de la Cour de Cassation dans un arrêt du 4 novembre dernier :
« Mais attendu qu’aux termes de l’article 1965 du code civil, la loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari ; que la cour d’appel a constaté que du mois d’octobre 1995 à celui de mai 1997, M. Y… avait signé chaque mois un acte dans lequel il reconnaissait avoir reçu une somme en espèces de M. X… pour ses besoins personnels et s’engageait à la rembourser au plus vite et que ces actes avaient été récapitulés dans une reconnaissance de dette générale signée des deux parties le 20 juillet 1997, par laquelle M. Y… s’était reconnu débiteur de la somme de 11 500 000 francs majorée des intérêts capitalisés jusqu’au 31 juillet 1997 au taux de 10 % l’an ; que l’arrêt retient exactement que la cause de l’obligation de M. Y… énoncée dans cet acte est présumée exacte et qu’il lui incombe de démontrer que le prêteur ne lui a pas versé la somme litigieuse ou que ce prêt lui a été consenti pour jouer ; qu’au titre des circonstances permettant de caractériser l’existence d’une dette de jeu, les juges ne se sont pas bornés à se référer à l’énormité de la somme globale prêtée, constituée exclusivement par la remise de sommes en espèces, mais ont en outre fait état, par motifs propres et adoptés, de l’établissement de reconnaissances de dette mensuelles sur une longue période, de ce que M. Y… était un joueur ainsi que du fait que, si M. X… contestait l’être également, l’une des attestations produites indiquait pourtant qu’il s’était adonné aux jeux d’argent et ont ajouté que celui-ci n’avait pu d’ailleurs justifier de l’origine des fonds qui lui auraient permis de prêter des sommes considérables, sa déconfiture au moment des faits étant avérée par l’existence d’une procédure collective, tout en constatant enfin qu’il ne pouvait prétendre avoir ignoré la destination des sommes litigieuses ; que la cour d’appel, ayant dans ces conditions jugé qu’il était établi qu’il s’agissait de fonds destinés au jeu, ayant permis à l’emprunteur aussi bien de payer ses dettes que de continuer à jouer en dehors d’un établissement dans lequel le jeu est régulièrement autorisé, en a à juste titre déduit que M. Y… était en droit à se prévaloir de l’article 1965 du code civil interdisant toute action pour une dette de jeu ; que le moyen, qui manque en fait en ses deuxième et cinquième branches, n’est fondé en aucun de ses griefs ».
Cass. Civ 1ère . 4 novembre 2011 Pourvoi 10-24007
Cette récente jurisprudence vient titiller les juristes car elle rappellera à bon nombre d’entre nous des souvenirs de faculté sur cette obscure notion qu’est la cause du contrat.
Elle nous plonge également dans le monde de l’addiction et du jeu où s’immisce le droit sous le manteau de la moralité.
Toute chose a une cause :
Longtemps objet de nombreuses discussions et de grands débats doctrinaux, la cause du contrat trouve sa définition moderne dans le mobile déterminant.
L’article 1131 du Code Civil indique en effet que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ».
Aussi, si cet élément vient à faire défaut, la sanction appliquée sera la nullité de la convention ramenant chaque cocontractant à l’état antérieur à son engagement.
Pour autant, l’existence d’une cause est insuffisante à garantir la validité d’un contrat dont les stipulations doivent respecter l’ordre public.
L’article 1133 du Code Civil précise donc les caractéristiques que doit revêtir le mobile déterminant et l’habille de licéité et de moralité :
« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l’ordre public ».
Bien que le contrat est force de loi entre les parties, il n’empêche pas les considérations d’intérêt général de primer sur les desiderata dictés par les intérêts particuliers.
Les justiciables ne pourront donc conclure un bail pour installer une nouvelle Madame Claude et ses protégées.
Ils ne pourront guère plus acquérir des tables de black-jack destinées à un tripot clandestin ou des planches d’impression pour la fabrication de fausse monnaie.
La moralité, c’est bien là la frontière entre le droit civil et le droit pénal ou entre l’activité honnête et l’enrichissement frauduleux.
Bien mal acquis ne profite jamais :
Un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale même lorsque l’une des parties n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat.
Cass. Civ 1ère. 7 octobre 1998 Pourvoi 96-14359
Les lourdes conséquences de l’atteinte portée à l’ordre public appellent à la méfiance des naïfs et des confiants.
D’autant que si l’un et l’autre des cocontratants avaient de mauvais desseins dont la preuve est rapportée, la nullité ne donnera pas lieu aux restitutions normalement consécutives à cette sanction.
Cass. Civ 1ère. 22 juin 2004 Pourvoi 01-17258
L’article 1965 du Code Civil ajoute encore à cette sanction puisqu’il précise que « La loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari ».
Cependant lorsque l’activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, les clients notamment du Pari Mutuel Urbain ou de la Française Des Jeux ne peuvent se prévaloir de l’exception de l’article 1965 pour s’opposer à l’action en recouvrement.
Mais si le créancier se prévaut d’une dette d’origine douteuse ou ayant une cause illicite, le principe reprend toute sa force : le débiteur ne sera alors pas tenu au paiement.
Tel est le cas lorsque un casino a consenti un prêt à son client pour lui permettre de jouer ou quand un directeur de cercle de jeu a remis à un joueur non membre du cercle, contre un chèque sans provision, des jetons pour alimenter le jeu.
Cass. Civ 1ère. 16 mai 2006 Pourvoi 04-13225
Cass. Crim. 15 novembre 1993 Pourvoi 93-80205
Dans son arrêt du 4 novembre 2011, la Cour de Cassation a fait une juste application du principe de l’article 1965 du Code Civil en relevant que les fonds, objet du prêt, étaient destinés au jeu.
Nul doute que certains individus trouveront des moyens d’exécution forcée qui pallieront les condamnations du juge et les interventions de l’huissier.