Regard sur la loi du 10 août 2011 : la réforme de la justice des mineurs (Deuxième Partie)

Le 25/09/11

La présentation de La loi n°2011-939 du 10 août 2011 se poursuit sous la plume de Clémentine GIBOUDEAU .

Après l’accroissement de la participation des citoyens à la justice, la deuxième partie de cet article vous propose de se pencher sur la réforme de la justice des mineurs. 

II- La réforme de la justice pénale des mineurs : vers une déspécialisation ? 

A- Un objectif de répression : 

Alors même qu’une réforme d’ensemble est à l’étude depuis plusieurs années, l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante se trouve modifiée en profondeur par l’introduction de diverses dispositions qui ébranlent les principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs.

Les plus généraux d’entre eux sont le principe de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs et la recherche de leur relèvement éducatif et moral.

Ces principes, qui fondent l’existence même de la spécificité de la justice des mineurs, ont été élevés au rang des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République par le Conseil Constitutionnel le 29 août 2002.

Or, la principale innovation mise en place par la loi du 10 août 2011 est la création d’un Tribunal Correctionnel pour mineurs (TCM), formation spécialisée du Tribunal Correctionnel composé d’un juge des enfants et de deux autres magistrats.

Le TCM est compétent sous les conditions cumulatives suivantes :

– pour les mineurs âgés de plus de 16 ans, ainsi que leurs co-auteurs et complices majeurs

– pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à 3 ans

– commis en état de récidive légale

Cette nouvelle juridiction vient bouleverser les fondements de la justice pénale des mineurs, notamment sur deux points :

 la dérogation à la majorité pénale :

La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France, prévoit pourtant que les enfants doivent bénéficier d’une justice spécifique jusqu’à 18 ans.

– une atteinte à la spécialisation des juridictions et des magistrats :

L’Ordonnance du 2 février 1945 prévoit cependant que les juridictions de droit commun ne sont pas compétentes, les mineurs ne pouvant être jugés que devant des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs.

La composition de ce Tribunal correctionnel pour mineurs ne semble pas garantir cette spécialisation car un seul juge des enfants siège aux côtés de deux magistrats non spécialisés.

Cela est d’autant plus vrai pour les délits relevant du Tribunal Correctionnel dans sa formation citoyenne, pour lesquels deux citoyens-assesseurs siègeront au côté de ces magistrats…

On peut alors craindre une déspécialisation de la justice des mineurs, glissant progressivement et dangereusement vers celle des majeurs.

Pour autant, le Conseil Constitutionnel, malgré des décisions précédentes contraires, a validé ces dispositions, sous réserve que la phase d’instruction par le juge des enfants soit préservée.

B- La question de la personnalisation de la peine du mineur renforcée : 

Dans la lignée de la Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et la Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (1), cette réforme affirme un objectif de répression.

Sous couvert d’une politique de prévention de la récidive, la création du Tribunal Correctionnel pour Mineurs traduit, on l’aura compris, une volonté de répression accrue de la délinquance juvénile.

On précisera d’ailleurs que le Conseil Constitutionnel a validé la possibilité de recourir à la « présentation immédiate » devant le Tribunal Pour Enfants, procédure fortement comparable à la comparution immédiate des majeurs.

Ce mode de saisine remet évidemment en cause la phase préparatoire au jugement, pourtant fondamental dans la justice des mineurs, pour laquelle la primauté de l’éducatif est la règle.

Saluons toutefois la censure de l’assignation à résidence avec surveillance électronique des mineurs de 13 à 16 ans, jugée, à raison, trop sévère en tant qu’alternative au contrôle judiciaire.

Mais le principe de la personnalisation de la peine reste bien présent puisque certaines dispositions permettent d’apporter une meilleure connaissance du mineur, de son histoire et de sa personnalité.

Cette découverte passe d’abord par la mise en place d’un dossier unique des délinquants mineurs.

Celui-ci regroupera des informations concernant leur personnalité, leur situation sociale et familiale.

Placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants, son accès par les parties restera relativement ouvert.

Bien que certaines questions se posent en termes de divulgations d’informations parfois sensibles et confidentielles, ce dossier permettra d’avoir une vision d’ensemble du mineur et de son parcours.

Ensuite, le législateur s’est orienté vers une implication renforcée des parents dans la procédure pénale.

Les représentants légaux seront en effet informés des principales décisions concernant les mineurs.

Parallèlement, s’ils ne répondent pas aux convocations, ils pourront être contraints par la force publique à comparaître aux audiences dans l’intérêt de l’enfant.

La loi du 10 août 2011 a donc emprunté le chemin de la sanction et de la responsabilisation des mineurs délinquants et de leurs parents.

Les deux volets de cette loi qui viennent d’être exposés, suscitent de multiples interrogations quant à leur mise en oeuvre.

Malgré les prévisions de l’étude d’impact réalisée par le gouvernement, cette double réforme semble difficilement applicable tant du point de vue financier que pratique.

Les raisons en sont les suivantes :

– le projet de participation des citoyens est évalué à 20 millions d’euro alors que la justice dispose déjà de moyens financiers et humains très limités ;

– la formation, d’ailleurs très légère, qui sera dispensée à ces futurs citoyens-assesseurs implique de facto que du personnel de justice offre de son temps ;

– les audiences du TCFC vont s’en trouver considérablement allongées, les citoyens-assesseurs étant totalement étrangers aux notions juridiques et au fonctionnement de la justice. Cette réforme se proposait pourtant d’accélérer le rythme de la justice pénale ;

– de même concernant la comparution des mineurs pour laquelle le mot d’ordre devient la rapidité, qui implique nécessairement plus de magistrats et de personnels spécialisés.

Il faut préciser qu’une fois encore les acteurs de la justice ont été laissés de côté dans l’élaboration du projet législatif.

Les magistrats, avocats et organisations de protection de l’enfance, notamment l’Unicef, ont pourtant réclamé la mise en place d’une concertation générale avant de modifier pour la 35e fois l’ordonnance du 2 février 1945.

Au final et au-delà des difficultés d’application, on constate que cette loi est l’illustration d’une stigmatisation de la délinquance juvénile par le biais d’une surmédiatisation.

Les statistiques affichent pourtant un taux de réponse pénale plus élevé pour les mineurs que pour les majeurs de même qu’une augmentation de la délinquance des mineurs proportionnellement moins conséquente que celle des majeurs.

Par ailleurs, la plus grande participation des citoyens au procès pénal n’apportera pas nécessairement aux justiciables la confiance en la justice tant réclamée.

Ce serait oublier que la légitimité d’une décision de justice ne dépend pas de la composition de la juridiction mais de la compétence, de l’indépendance et de l’impartialité des juges.

L’avancée ne peut passer que par la transparence, l’accessibilité, la fluidité et la cohérence du service public de la justice … et par des moyens financiers et humains.

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