Le 11/06/12
Depuis plusieurs mois, l’entrée et le séjour irrégulier réprimée par l’article L621-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile sont au coeur de nombreuses discussions.
La directive dite « retour » 2008/115/CE du 16 décembre 2008 entrée en vigueur le 13 janvier 2009 en est la cause.
Sa transposition dans le droit interne et son application ont mis à jour deux problématiques concernant cette infraction, l’une tenant à sa répression, l’autre au placement en garde à vue consécutif à la procédure d’enquête.
Les premières interrogations ont bénéficié de l’éclaircissement de la Cour de Justice de l’Union Européenne au travers de sa jurisprudence.
Ainsi l’interprétation de la Directive retour dégagée par les arrêts des 28 avril et 6 décembre 2011 a permis de fixer le principe selon lequel l’entrée ou le séjour irrégulier ne peuvent être à l’origine d’une peine d’emprisonnement.
Par exception, la privation de liberté peut être mise en oeuvre si la procédure de retour établie par la Directive a été appliquée et que l’étranger séjourne irrégulièrement sur le territoire sans motif justifié de non-retour.
Les seconds questionnements ont été plus longs à trouver une issue juridique et ont entraîné une cacophonie bruyante entre les Cour d’Appel des quatre coins de la France.
Il aura fallu attendre un avis du 5 juin 2012 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation pour que les considérations de légalité priment sur celles d’organisation des services de police, de gendarmerie et des préfectures.
En effet, il est parfois difficile de concevoir que la garde à vue sert exclusivement les besoins de l’enquête au sens de l’article 62-2 du Code de Procédure Pénale.
Dans le temps de cette mesure, il peut bien sûr être procédé aux recherches et investigations sur l’identité et les conditions d’entrée ou de séjour de l’étranger.
Mais il peut également n’y avoir que des diligences éparses qui ne justifient pas une privation de liberté, si ce n’est dans l’attente d’une décision d’éloignement et d’un placement en rétention administrative.
Désormais, la donne change puisque les Juges de la Cour Suprême relèvent :
« Il résulte de l’article 62-2 du code de procédure pénale issu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qu’une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement ; qu’en outre, la mesure doit obéir à l’un des objectifs nécessaires à la conduite de la procédure pénale engagée ; qu’à la suite de l’entrée en application de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants d’Etats tiers en séjour irrégulier, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, le ressortissant d’un Etat tiers mis en cause, pour le seul délit prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, n’encourt pas l’emprisonnement lorsqu’il n’a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l’article 8 de ladite directive ; qu’il ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée de ce seul chef ».
Cass. Crim. Avis n° 9002 du 5 juin 2012
Au terme de cette analyse, il apparaît que les deux problématiques précédemment évoquées demeurent indiscutablement liées :
– par principe, l’infraction d’entrée ou de séjour irrégulier ne peut donner lieu à une peine d’emprisonnement.
– Or, le placement en garde à vue ordonné que pour les nécessités de l’enquête ne peut s’appliquer qu’en cas de flagrance lorsqu’un crime ou un délit est puni de prison.
CQFD : Tout placement en garde à vue de ce chef est donc illégal.
Un mois après l’avis de la chambre criminelle, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a fait sienne cette analyse au terme de trois arrêts du même jour.
Les juges confirment ainsi :
« Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 28 avril 2011, C-61/PPU, et du 6 décembre 2011, C-329/11) que la directive 2008/115/CE s’oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d’une peine d’emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n’a pas été préalablement soumis à l’une des mesures coercitives prévues à l’article 8 de cette directive, soit, a déjà fait l’objet d’un placement en rétention, mais n’a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure ; qu’en outre, en cas de flagrant délit, le placement en garde à vue n’est possible, en vertu des articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la date des faits, qu’à l’occasion d’enquêtes sur les délits punis d’emprisonnement ; qu’il s’ensuit que le ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier en France, qui n’encourt pas l’emprisonnement prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile lorsqu’il se trouve dans l’une ou l’autre situation exposée par la jurisprudence européenne précitée, ne peut être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef » .
Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30371
Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-19250
Cass. Civ 1ère. 5 juillet 2012 Pourvoi n°11-30530
Pour l’heure, le débat semble clos. Cependant, nul doute que la définition des mesures dites « coercitives » sera sujet à de nouvelles discussions.
Le droit ne connaît pas l’ennui…