Ce qu’il faut savoir sur l’empiètement sur le terrain d’autrui

Le 21/02/12

Le droit de propriété est une notion fondamentale reconnue, protégée et encadrée par les dispositions du Code Civil.

L’attachement à la terre, sa possession et sa transmission sont en effet des valeurs présentes depuis longtemps dans notre société.

En 1789, les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ont ainsi proclamé que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » (Article 17).

Depuis 1804, l’article 545 du Code Civil protège ce droit en énonçant que :

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité».

Ce petit rappel des règles protectrices de la propriété est l’occasion d’évoquer le régime juridique de l’empiètement.

Qu’est-ce que l’empiètement et ses conséquences? 

L’empiètement est un abus de droit consistant en l’extension de la construction implantée sur une parcelle au fonds voisin appartenant à un propriétaire distinct.

En l’absence de titre ou d’accord écrit, la démolition de cette construction « débordante » et la remise en état des lieux peuvent être ordonnées.

Il importe peu que l’empiètement sur le terrain d’autrui soit minime ou qu’il ne déprécie pas la valeur du bien.

En effet, le droit de propriété étant absolu et inviolable, il ne saurait souffrir aucune restriction quand bien même le constructeur serait de bonne foi.

Bien que cette règle puisse paraître sévère, elle est appliquée strictement au fils d’une jurisprudence constante par la Cour de Cassation qui l’a récemment rappelé dans un arrêt du 10 novembre 2009.

Civ. 3ème 10 novembre 2009 Pourvoi n° 08-17526 

Selon les juges de la Haute Cour, la démolition peut donc être exigée par le propriétaire du sol sur lequel l’empiètement a été réalisé, quelle que soit la bonne ou mauvaise foi du constructeur, sauf s’il justifie d’un titre ou d’un accord amiable.

Civ. 1ere 8 mars 1988 Pourvoi n° 86-16589 

Quelle est la différence entre empiètement et construction sur le terrain d’autrui ? 

Le régime juridique de l’empiètement qui se déduit des dispositions de l’article 545 du Code Civil se distingue de celui de la construction sur le terrain d’autrui.

L’article 555 du Code Civil indique ainsi que :

« Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’alinéa 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever ».

Ces dispositions ne sauraient s’appliquer à l’extension d’une construction sur un fonds voisin mais uniquement à l’implantation d’un immeuble nouveau sur le terrain d’autrui.

Leurs conséquences divergent alors selon la situation :

– si le constructeur est de bonne foi, le propriétaire du fonds sera tenu de conserver les constructions et d’en payer le prix,

– si le constructeur est de mauvaise foi, le propriétaire pourra à son choix soit solliciter la démolition, la remise en état des lieux et prétendre à des dommages et intérêts, soit conserver l’édifice contre indemnisation.

On l’aura compris dans l’un ou l’autre des cas, le propriétaire du fonds bénéficiera d’un droit d’accession qu’il soit forcé ou consenti.

De plus, contrairement aux règles applicables à l’empiètement, la bonne foi du constructeur aura une incidence directe sur les options légales qui s’offriront au propriétaire.

Quel est le droit à indemnisation du propriétaire du fonds ? 

En matière d’empiètement, il n’existe aucune disposition légale précise et adaptée aux circonstances toutes particulières de cette situation.

Les dispositions de l’article 1382 du Code Civil régissant la responsabilité civile délictuelle ont donc tout naturellement vocation à s’appliquer.

Le principe est alors que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

Pour autant, la jurisprudence n’a pas manqué de pallier l’imprécision des textes et a permis de définir les contours du droit à indemnisation du propriétaire évincé.

La Cour de Cassation a notamment relevé que l’empiétement sur la propriété d’autrui suffit à caractériser la faute visée à l’article 1382 du Code Civil.

Civ 3ème 10 novembre 1992 Pourvoi n° 90-19944 

Encore faut-il rapporter la preuve d’un préjudice personnel, direct et certain ainsi que d’un lien de causalité entre la réalisation du dommage et l’empiètement pour engager la responsabilité délictuelle.

En effet, la présomption de faute ne saurait suffire à elle seule à permettre au propriétaire d’être indemnisé lorsque la démolition et la remise en état interviennent.

Il n’en reste pas moins que le propriétaire bénéficie d’une protection certaine et effective de son droit à l’encontre d’autrui.

Récemment, tout en confirmant sa position, la Cour de Cassation a souligné que « la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus ».

Civ. 3ème 15 juin 2011 Pourvoi n° 10-20337 

Ce qu’il faut savoir sur la servitude légale de passage

Une servitude est une charge supportée par un fonds dit servant, au bénéfice d’un autre fonds dit dominant.

Elle suppose l’existence de deux biens immobiliers appartenant à deux propriétaires différents : elle est ainsi attachée au fonds qu’elle grève et est l’accessoire du droit de propriété de celui auquel elle profite.

Selon les cas, ces charges revêtent divers caractères permettant de déterminer leur nature mais aussi leur mode d’acquisition.

Ainsi, la servitude de passage est apparente du fait du chemin qui la matérialise, au contraire de celle de canalisation sous-terraine ; la servitude d’écoulement des eaux pluviales est continue, à l’inverse de celle de puisage.

De toutes, la plus connue est sans doute la servitude légale en cas d’enclave qui est constituée par un droit de passage sur le terrain d’autrui.

Je vous propose de nous intéresser à cette dernière dans l’analyse qui suit.

 

  • Quand cette charge est-elle créée ?

Selon l’article 682 du Code Civil, « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner».

La création d’une servitude quelle qu’elle soit, ne porte pas atteinte au droit de propriété : elle donne cependant naissance à des sujétions qui s’imposent au propriétaire du fonds grevé.

Comme on l’aura compris, la charge sera créée en l’espèce pour désenclaver une parcelle et aménager un droit de passage.

Lorsqu’un terrain est dépourvu d’accès à la voie publique ou doté d’un accès insuffisant, il est dit enclavé.

La Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que pour déterminer l’état d’enclave d’un fonds, le juge doit rechercher si les voies qui permettraient sa desserte, même privées, sont ouvertes au public.

Cass. Civ 3ème 13 mai 2009 Pourvoi 08-14640

 

Dans cette hypothèse, le propriétaire pourra alors réclamer sur le/ les fonds voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fond.

La servitude pourra cependant être créée de deux façons :

– soit les parties s’entendent amiablement sur le droit de passage, elles concluront un accord précisant l’assiette et l’indemnisation,

– soit il existe un désaccord total ou partiel, le propriétaire du fonds enclavé devra alors saisir le Tribunal de Grande Instance du lieu de l’immeuble aux fins de fixation judiciaire des modalités de la charge.

 

  • Quelles sont les obligations du bénéficiaire du droit de passage ?

Si l’état d’enclave entraîne l’existence de plein droit de la servitude, il ne permet pas au propriétaire du fonds dominant d’user du fonds servant selon son bon vouloir.

Le passage est encadré par certaines modalités d’exercice et accompagné d’une contrepartie financière.

Selon les dispositions de l’article 683 du Code Civil, le tracé du passage, c’est-à-dire l’assiette, doit concilier deux critères : celui du chemin le plus court entre le terrain enclavé et la voie publique, et celui du chemin le moins dommageable pour le/ les propriétaires du/des fonds servants.

Pour autant, l’accord des parties sur ce point doit prendre en considération les constructions et la topographie des lieux pour se déterminer ainsi que les nécessités de circulation.

 

De plus, le propriétaire du fonds servant peut solliciter la modification de l’assiette de la servitude pour des raisons de commodité, sous réserve de supporter les frais d’implantation afférents à la nouvelle assiette.

Cass. Civ 3ème 27 octobre 1993 Pourvoi 91-17024

 

Mais d’ordinaire, il appartient au propriétaire du fonds enclavé d’indemniser son voisin des dommages qu’il subit par le passage, à savoir le bruit ou la détérioration du chemin, doivent faire l’objet d’une indemnisation.

La servitude peut donc donner lieu au paiement d’une indemnité dont l’action est prescriptible.

Qu’elle soit versée sous forme de capital ou d’annualités, la somme convenue entre les parties ou fixée judiciairement doit être proportionnée aux dommages occasionnés.

 

  • La servitude passage légale peut-elle disparaître ?

La servitude n’est pas perpétuelle et peut s’éteindre de diverses façons.

– La première situation concerne évidemment la disparition de l’état d’enclave par la création d’une desserte suffisante sur la voie publique.

Cette évolution peut ressortir de l’implantation d’une route suite à la construction d’un ensemble immobilier ou à l’expansion de la commune ou des modifications du PLU.

La servitude perd alors l’utilité à l’origine de sa création et disparaît.

 

– Il en va de même dans la deuxième situation provenant de la réunion des deux propriétés concernées (article 705 du Code Civil).

Les deux fonds se confondent alors entre les mains d’un même propriétaire.

 

– La troisième situation s’applique à l’impossibilité d’usage de la servitude (article 703 du Code Civil ).

Elle résulte alors de modifications dans l’état matériel des lieux ou d’un phénomène naturel.

 

Pour autant, comme le souligne l’article 704 du Code Civil, les servitudes « revivent si les choses sont rétablies de manière qu’on puisse en user ».

L’empêchement qui rend l’usage du droit de passage impossible, ne sera alors que provisoire.

En dehors de ces cas, il es important de préciser que ni le non usage du passage pendant 30 ans, ni l’abandon par le bénéficiaire n’éteignent pas la servitude légale.

Cass. Civ 3ème 11 février 1975 Pourvoi 73-13974

Cass. Civ 3ème 27 mars 1991 Pourvoi 89-16443