Le 17/04/11
Depuis le 15 avril dernier, les médias ont largement communiqué sur l’évolution des droits du gardé à vue consécutive à quatre arrêts rendus par la Cour de Cassation.
Les avocats n’ont pas manqué eux aussi de relayer cette information : je ne ferai donc pas exception à la règle.
Encore une fois, le droit européen n’est pas étranger auxdits changements.
En effet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait réaffirmé le 27 novembre 2008 que « quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ».
Décision Salduz c/Turquie, req. n° 36391/02 du 27 novembre 2008
Ainsi pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 demeure suffisamment « concret et effectif », l’accès à un avocat devait intervenir dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police ; à défaut il est porté une « atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation».
A la suite, le Conseil Constitutionnel, saisi sur question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré inconstitutionnel les articles du Code de Procédure Pénale fixant le régime général de la garde à vue.
Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010
Le 15 avril 2011, la Cour de Cassation a tranché, en faveur de l’application immédiate des principes posés par l’arrêt Salduz concernant le droit d’être assisté d’un avocat dès la première heure de garde à vue et tout au long de la procédure.
La formation de la Cour de Cassation :
Pour bien comprendre la portée des derniers arrêts de la juridiction suprême, il semble indispensable de connaître son fonctionnement ainsi que son processus décisionnel.
La Cour de cassation est composée de cinq chambres civiles, dont une chambre commerciale et une chambre sociale, et une chambre criminelle.
Chaque chambre se prononce dans le domaine relevant de sa compétence.
Par exception, les juges de la Cour de Cassation peuvent se réunir dans d’autres formations, soit en chambre mixte, soit en assemblée plénière pour trancher des questions de droit communes ou d’une importance toute particulière.
La chambre mixte présidée par le premier président réunit ainsi des magistrats appartenant au moins à trois chambres de la Cour de cassation ainsi que les présidents et doyens des chambres qui la composent et deux conseillers de chacune de ces chambres.
Quant à l’assemblée plénière, cette formation présidée par le premier président regroupe les présidents et les doyens des chambres ainsi qu’un conseiller pris au sein de chaque chambre.
Elle n’intervient que pour trancher une question de principe et asseoir sa position auprès des juges du fond.
C’est dans le cadre de cette dernière formation que la Cour de Cassation a rendu ses arrêts du 15 avril 2011.
La teneur des arrêts du 15 avril 2011 :
Les Juges de la Cour de cassation ont statué sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à l’assistance effective d’un avocat.
Les quatre cas portés devant l’assemblée plénière concernent des ressortissants étrangers (chinois, kenyan, tunisien et comorien) en situation irrégulière, interpellés puis placés en garde à vue pour infraction à la législation sur les étrangers.
Comme à l’accoutumé, ces gardés à vue ont fait l’objet d’un placement en rétention administrative sur la base d’un arrêté de reconduite à la frontière.
L’organisation de leur départ nécessitant la prolongation de cette mesure, les préfets de la Vienne, des Deux-Sèvres, de Loire-Atlantique et du Rhône ont saisi le juge des libertés et de la détention compétent aux fins de prolongation de la rétention pour un durée de 15 jours.
C’est dans ce cadre que les retenus ont contesté la régularité de la procédure de garde à vue.
Sur appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, la Cour d’Appel de Lyon a considéré la procédure régulière, tandis que la Cour d’Appel de Rennes l’a jugée irrégulière.
Afin d’homogénéiser la jurisprudence, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation a :
– Consacré le droit de la personne placée en garde à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires,
– Décidé de l’application immédiate de la décision européenne constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention.
La portée de la jurisprudence :
La décision du 30 juillet 2010 rendue par le Conseil Constitutionnel avait engagé la discussion sur la réforme de la garde à vue en rappelant que « la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire », dont le recours et le déroulement doivent être encadrés par des garanties appropriées.
Étaient alors dénoncées les dispositions de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale qui restreignent les droits de la défense en ne permettant pas à la personne retenue contre sa volonté de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat.
Un délai de 10 mois était donné au gouvernement pour modifier la législation pénale en vigueur jugée inconstitutionnelle.
C’est ainsi que la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a été adoptée.
Cependant, son entrée en vigueur n’est prévue qu’au 1er juin 2011, soit le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel.
Or, la Cour de Cassation affirme l’application immédiate de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : la législation française non-conforme ne saurait donc s’appliquer à compter du prononcé des quatre arrêts.
Les procédures de garde à vue intervenant dans la période trouble du 16 avril au 30 mai 2011 devront respecter la législation nouvelle appliquée par anticipation selon les consignes du garde des sceaux.
L’ironie du sort veut que la loi nouvelle relative à la garde à vue ai été publiée au journal officiel le 15 avril 2011, date des arrêts de la Cour de Cassation.