De l’effet du recours formé par le demandeur d’asile contre l’arrêté ordonnant sa remise à l’État responsable sur la computation du délai de transfert de six mois

L’actualité législative de ces derniers mois a été fortement marquée par l’adoption en première lecture par l’Assemblée Nationale du projet de loi relatif à l’asile le 16 décembre 2014.

Cette réforme « a pour principal objet de garantir que la France assure pleinement son rôle de terre d’asile en Europe » selon le projet enregistré le 23 juillet 2014.

Elle s’inscrit dans une politique européenne et doit notamment permettre de transposer en droit interne avant le 20 juillet 2015 les directives « accueil » (2013/33/EU) et « procédure » (2013/32/UE) toutes deux adoptées le 26 juin 2013.

Comme à son habitude, le processus d’intégration des normes européennes au droit interne appelle à la vigilance d’une transcription fidèle et aux bons soins par égard au texte d’origine.

L’exercice impose, en effet, de transposer des principes communs aux États membres tout en les adaptant au droit national sans les dénaturer.

Aussi la révision du dispositif actuel suscite-t-elle une forte mobilisation des différents intervenants qui prennent en charge les réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire.

L’enjeu de conformité européenne est avant tout celui des garanties procédurales et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Au-delà des directives « accueil » et « procédure », la refonte du droit d’asile passe également par le droit dérivé issue du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dit « Dublin III » remplaçant le règlement (UE) n° 343/2003 du 18 février 2003 dit « Dublin II ».

D’application directe, ce règlement contribue à la coopération entre les pays de l’Union Européenne en établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Son interprétation et sa mise en œuvre sont l’une et l’autre à l’origine d’un arrêt du 4 mars 2015 rendu par le Conseil d’État.

L’espèce marquée par l’intervention de la CIMADE fait suite à la saisine du juge des référés d’une demande d’admission provisoire au séjour consécutive à l’annulation d’une décision de placement en rétention fondée sur un arrêté de remise aux autorités espagnoles.

Au centre de cette jurisprudence, la question de la compétence de l’État responsable de la demande d’asile en cas d’entrée irrégulière est posée ainsi que celle de la computation du délai de transfert après acceptation de la remise par cet État.

1/ La détermination de la compétence de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile en cas d’entrée irrégulière :

Le droit d’asile est admis au nombre des principes à valeur constitutionnelle, la protection de « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté » étant affirmé sans détours par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958.

Conseil Constitutionnel n°92-307 du 25 février 1992

L’article L 711-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile met en œuvre cet asile dit « constitutionnel » fondé sur l’impérieuse nécessité de se substituer à la protection de l’État dont le demandeur a la nationalité lorsqu’elle est défaillante.

La France ne peut, cependant, reconnaitre sa compétence sans vérifier que le droit dérivé ne renvoie l’examen de la demande d’asile à aucun autre pays de l’Union Européenne.

Ainsi depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Dublin du 15 juin 1990, le mécanisme de détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande de protection internationale est parfaitement rôdé.

L’adoption le 26 juin 2013 par le Parlement Européen et le Conseil du règlement (UE) n°604/2013, dit « Dublin III » n’a pas bouleversé les pratiques acquises : le principe général est demeuré identique ainsi que les critères de détermination de l’État responsable.

En matière d’entrée ou de séjour irrégulier de ressortissant d’un pays tiers, l’Union Européenne a souhaité responsabiliser l’État membre à l’origine de son intrusion et/ou de son installation en lui conférant la charge de l’instruction de la demande d’asile.
L’article 13 du règlement « Dublin III » prévoit donc que l’État qui a laissé pénétrer un étranger, par voie terrestre, maritime ou aérienne, sur son territoire est responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.

Cependant, sa responsabilité prend fin douze mois après la date de franchissement irrégulier de la frontière de cet État.

Dans l’attente de la réponse de l’État requis, le demandeur d’asile n’est pas admis au séjour et est placé sous convocation « Dublin » qui ne vaut pas autorisation de séjour.

Sa présence sur le territoire relève de la tolérance, sa situation administrative est incertaine, son accueil future est soumis à la procédure de détermination de l’État responsable.

C’est ce que l’arrêt du 4 mars 2015 rendu par le Conseil d’État met en évidence par la mention du renouvellement des convocations du demandeur entre 2014 et 2015.

Mais comme les juges de la Haute Juridiction ne manquent pas de rappeler, la détermination de l’État responsable « s’effectue une fois pour toutes à l’occasion de la première demande d’asile, au vu de la situation prévalant à cette date ».

Au regard de l’article 7 du règlement « Dublin III », l’Espagne s’est vu reconnaitre la compétence de l’instruction de la demande à compter du 28 novembre 2013 durant une période de 12 mois.

En donnant leur accord à la réadmission le 4 juin 2014, les autorités espagnoles ont donc fait une application stricte des critères de responsabilité.

2/ La computation du délai de transfert de 6 mois après acceptation de la remise :

Le règlement (UE) n°604/2013, dit « Dublin III » a maintenu la condition de transfert dans un délai de six mois à compter de l’acceptation implicite ou explicite de l’État requis pour la prise en charge de l’examen de la demande d’asile.

Au delà de six mois, l’État requis est libéré de son obligation de prise en charge ou de reprise en charge et la responsabilité est transférée à l’État requérant.

Si le point de départ du délai fixé par l’article 29 du règlement est sans ambigüité, sa computation est aménagée en fonction du droit national et des voies de recours ouvertes à l’encontre de la mesure d’éloignement et des décisions d’exécution de celle-ci.

A la suite de son refus de titre du 17 juin 2014, le ressortissant guinéen a fait l’objet d’un placement en rétention administrative le 28 octobre 2014 pour exécution de la décision de remise aux autorités espagnoles.

Le jugement du 30 octobre 2014 a, cependant, été frappé d’appel par le Préfet de Haute-Garonne.

L’article 27 du règlement « Dublin III » prévoit que « le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ».

On retrouve cet effet suspensif du recours contre la décision de transfert dans les dispositions de l’article L 512-1 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile.

Celui-ci agit nécessairement sur la date de computation du délai de six mois de mise en œuvre du transfert après acceptation de la réadmission.

Cette problématique n’est pas nouvelle puisque la Cour de Justice de la Communauté Européenne a déjà eu à en connaitre dans le cadre du le règlement « Dublin II ».

Dans un arrêt Petrossian du 29 janvier 2009, elle a ainsi précisé que le règlement « Dublin II » devait être interprété en ce sens que, lorsque la législation de l’État membre requérant prévoit l’effet suspensif d’un recours, le délai d’exécution du transfert court, non pas déjà à compter de la décision juridictionnelle provisoire suspendant la mise en œuvre de la procédure de transfert, mais seulement à compter de la décision juridictionnelle qui statue sur le bien-fondé de la procédure et qui n’est plus susceptible de faire obstacle à cette mise en œuvre.

CJCE, 29 janvier 2009, affaire C-19/08

Le Conseil d’État distingue donc deux situations selon l’issue de la procédure de première instance suivant recours suspensif et l’intervention d’un appel :

– Si le recours est rejeté par le premier juge, le délai court à compter du jugement : la mesure de transfert est à nouveau susceptible d’exécution,
– Si la mesure de transfert est annulée par le premier juge et qu’un appel est interjeté, le délai court à compter, le cas échéant, de l’intervention de la décision juridictionnelle infirmant cette annulation.

Le point de départ du délai de six mois peut donc être fixé à la date du prononcé de l’arrêt définitif ayant autorité de la force jugée malgré l’absence d’effet suspensif de l’appel.

Cette appréciation du Conseil d’État place dans une situation d’incertitude l’étranger qui forme son recours contre son placement en rétention administrative.

Si l’issue de la première instance est déterminante sur l’éventualité du transfert, l’appel l’est tout autant sur la computation de son délai d’exécution.

En pratique, la durée de l’instruction de l’appel interjeté par le préfet et les priorités d’audiencement variables d’une juridiction d’appel à l’autre forcent l’étranger à maintenir son souffle plus que de raison.

La seule limite à cette attente ressort de l’article 29 du règlement « Dublin III » puisque le délai de transfert ne peut dépasser un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert.

Bien sûr, comme le souligne le Conseil d’État, il est « loisible » au représentant de l’État de reprendre une nouvelle mesure de transfert.

Dans le cas d’un appel du préfet, on comprend mal quel serait l’intérêt d’une telle démarche qui le contraindrait à intervenir dans un délai de six mois à compter l’accord de reprise en charge.

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