« C’est pas ma faute ! » Réponse au rapport de septembre 2013 sur les dépenses de contentieux du ministère de l’Intérieur

Le 29/01/14

A la demande des ministres de l’Intérieur et de l’Économie notamment, Monsieur François LANGLOIS et Madame Chloé MIRAU de l’Inspection Générale de l’Administration se sont vu chargés d’une mission relative à l’évolution et à la maîtrise des dépenses de contentieux du ministère de l’Intérieur.

 

Ils ont ainsi procédé à une analyse de la gestion globale des dépenses accompagnée de propositions tendant à une réforme du pilotage des crédits axées autour des postes relevant:

 

– de l’indemnisation pour refus de concours de la force publique,

– du contentieux des étrangers,

– de la protection fonctionnelle

– et des dossiers d’accidents de la circulation.

 

 

Leur rapport de septembre 2013 traduit cependant une méconnaissance des législations actuelles dans les domaines présentés, des préoccupations des justiciables et du fonctionnement même de l’appareil judiciaire.

 

Le souci d’économie clairement affiché aboutit également à malmener la Profession d’Avocat dans sa fonction d’auxiliaire de Justice.

 

L’esprit de ce rapport peut ainsi se résumer en une citation de Blaise PASCAL :

 

« L’affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il plus juste la cause qu’il plaide! Combien son geste hardi le fait-il paraître meilleur aux juges, dupés par cette apparence! ».

 

 

En prenant une motion dénonçant « les attaques répétées contre la profession d’avocat, pourtant indispensable au respect de l’Etat de droit », plusieurs barreaux ont réagi successivement:

 

– tout d’abord, les Conseils de l’Ordre du VAL DE MARNE et de LA SEINE SAINT DENIS réunis le 9 janvier 2014

– suivis par le Conseil de l’Ordre de PARIS réuni le 10 janvier 2014,

– renforcés par les Conseils de l’Ordre de STRASBOURG et de NANTES réunis les 20 et 21 janvier 2014,

– Et enfin le Conseil de l’Ordre de LYON réuni le 22 janvier 2014.

 

 

Une mise au point m’est apparue indispensable pour répondre aux affirmations qui se défont de la réalité au profit de la vérité budgétaire.

 

Compte tenu l’activité qui est la mienne, seul l’axe du contentieux des étrangers sera abordé.

 

 

 

Affirmation :

 

« Le contentieux des étrangers est en forte croissance (+25% en trois ans), du fait d’une juridictionnalisation difficilement soutenable à terme par les préfectures. Le dynamisme des avocats, certains par conviction d’autres seulement mobilisés par la facilité du gain, contribue d’autant plus à l’augmentation de la dépense que les juges prennent peu en compte la situation budgétaire de l’Etat et que la réduction des moyens alloués aux préfectures limite leur capacité de défense (Page 6).

 

(…)

 

Les préfectures et juges administratifs rencontrés par la mission font état de stratégies juridictionnelles toujours renouvelées de la part des avocats. Ils testent régulièrement de nouveaux moyens, qui obtiennent parfois la faveur du juge de première instance, générant pendant plusieurs mois une masse de contentieux, difficiles à gérer pour les préfectures, à la fois sur le plan de la charge de travail et de la doctrine juridique (Page 43) ».

 

 

Réponse :

 

Depuis plusieurs années, l’Europe a impulsé un virage au droit des étrangers que l’État n’a pas su négocier.

 

Cette évidente évolution s’est effacée du rapport de septembre 2013 au profit d’une vision bien éloignée, imposant un petit rappel.

 

 

En matière de rétention administrative, l’adoption de la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 a modifié l’ordre antérieur d’intervention des deux ordres juridictionnels pour donner la priorité au juge administratif.

 

Avant cette loi, le juge administratif était, en effet, amené à procéder au contrôle de légalité des arrêtés de placement en rétention uniquement si le juge judiciaire prolongeait le maintien de cette mesure au-delà de 48 heures.

 

Il statue désormais préalablement à la saisine du Juge des Libertés et de la Détention et connait donc une expansion du nombre de saisines.

 

Cette nouvelle organisation du contentieux de la rétention administrative n’a bien sûr pas été sans incidence sur l’activité des Tribunaux Administratifs.

 

 

Par ailleurs, la Directive « retour » directement invocable par les justiciables a donné lieu à plusieurs recours en annulation en raison de l’illégalité des décisions prises par les Préfets en méconnaissance de ce texte entre décembre 2010 et juin 2011.

 

Il convient de rappeler que la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 a assuré la transposition de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil avec retard.

 

L’État n’a pas respecté le délai – qui a expiré au 25 décembre 2010- laissé aux États membres pour intégrer les principes de cette directive en droit français.

 

Depuis lors, le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile s’est enrichi de nouvelles règles dont l’interprétation requiert encore l’intervention du Juge Administratif.

 

 

Enfin, au-delà là de ces reformes, les Préfets ont contribué eux-mêmes à l’augmentation du contentieux des étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement et placés en rétention administrative pour deux raisons :

 

– le recours trop rare à l’alternative de l’assignation à résidence prévue à l’article L561-2 du CESEDA,

– l’absence trop récurrente de délai départ volontaire assortissant les obligations de quitter le territoire sur le fondement de l’article L 511-1 II du même code.

 

 

Affirmation :

 

« Surtout, le dispositif d’aide juridictionnelle, instauré par la loi n°91 – 467 de 1991 pour éviter que les frais de justice ne soient un frein à l’accès au juge, lève tout obstacle à la multiplication des procédures. Quelle que soit l’issue de ces dernières, l’avocat est certain de bénéficier d’une rémunération minimale payée par l’Etat. Le risque lié à l’insolvabilité du client ne se pose pas (Page 43).

 

(…)

 

Certains avocats se sont spécialisés dans ce contentieux avec des motivations politiques ou humanistes, en lien avec le monde associatif qui soutient les étrangers. Par contre, il semblerait que d’autres avocats voient dans le contentieux des étrangers, contentieux plutôt simple techniquement et répétitif, une source lucrative de revenus. Plusieurs interlocuteurs de la mission, y compris des magistrats administratifs, lui ont ainsi indiqué avoir régulièrement constaté que des requérants ignoraient être conseillés par un avocat (Page 45) ».

 

 

Réponse :

 

A la lecture des conclusions de Monsieur François LANGLOIS et Madame Chloé MIRAU, les objectifs de l’intervention des avocats en droit des étrangers ne peuvent que surprendre.

 

Leurs motivations apparaissent bien vénales, empreintes de cupidité sans considération des intérêts des justiciables.

 

Est-ce à dire que les auxiliaires de Justice auraient perdu de vue leur fonction et leur rôle de défenseurs des droits ?

 

Les données fournies par le Rapport de diagnostic de novembre 2013 portant sur la modernisation de l’action publique (MAP) et l’évaluation de la gestion de l’aide juridictionnelle vont pourtant à l’encontre de cette vision :

 

« En 2012, plus d’un million de justiciables ont bénéficié d’une attribution d’AJ. 25.000 avocats ont assuré au moins une mission à ce titre dans le cadre juridictionnel et 17.000 hors juridiction (ex : en garde à vue). Les principaux postes de dépense d’AJ sont les suivants : contentieux familiaux (30%) ; contentieux pénaux (24%) ; garde à vue (14%) ; assistance éducative (5%) ».

 

 

Cette étude dresse, par ailleurs, le constat suivant :

 

« Le rapport des avocats à l’AJ est complexe en raison, aujourd’hui, de la diversité de cette profession, de son caractère évolutif, et des enjeux de l’AJ pour elle non univoques : destinataires finaux de l’AJ en tant que somme monétaire, les avocats s’en disent parfois aussi victimes à cause de son montant selon eux trop faible au regard du « point mort » d’un cabinet, c’est-à-dire du niveau de rémunération en dessous duquel l’exploitation d’un cabinet devient déficitaire. Plus largement la profession voit dans l’AJ « une ressource mais non un revenu parce qu’elle ne permet pas de payer les charges du cabinet et encore moins la rémunération du travail intellectuel » (CNB – 26 octobre 2013) ».

 

 

Enfin, le rapport de diagnostic de novembre 2013 explique :

 

« On observe enfin que l’AJ due dans le cadre des contentieux administratifs est budgétairement imputée à la mission Justice – programme Justice judiciaire, alors que la justice administrative ne relève plus aujourd’hui de la mission Justice mais de la mission Conseil et contrôle de l’Etat.

Cette dispersion du pilotage (encore s’en tient-on aux structures principalement concernées) peut préjudicier à la lisibilité du système par ses acteurs de terrain et à la cohérence des démarches ».

 

 

Le fonctionnement du système de l’aide juridictionnelle semble donc échapper aux rédacteurs du rapport sur l’évolution et la maitrise des dépenses de contentieux à la charge du ministère de l’Intérieur.

 

 

Dans ces circonstances, les observations sur la technicité du contentieux ne peuvent que se dispenser de tout développement.

 

Le renvoi aux articles de ce blog dans cette matière est bien suffisant.

 

 

Affirmation :

 

« Actuellement, il n’existe aucun dispositif qui permet de garantir que l’avocat ne bénéficie pas simultanément du versement de l’aide juridictionnelle et de la somme allouée par la juridiction (qui suppose que l’avocat a renoncé par écrit à l’aide juridictionnelle). C’est pourquoi, le service de l’action juridique et du contentieux (SAJC) de la préfecture de police (PP) envisage-t-il de demander désormais aux avocats de produire un justificatif émanant du bureau des affaires judiciaires attestant de l’effectivité de ce renoncement (Page 47) ».

 

 

Réponse :

 

Aucun avocat n’ignore la formule consacrée qui se retrouve communément dans les requêtes et mémoires présentés devant le Tribunal Administratif.

 

Au visa de la législation en vigueur, elle tend à :

 

« CONDAMNER le Préfet de….à verser au conseil de Mr/Mme… la somme de … euros au titre des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, et subsidiairement de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative ».

 

 

Cette formule couramment usitée prend tout son sens à la lecture de l’article 108 du Décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 récemment modifié qui dispose :

 

« Lorsque l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a recouvré la somme allouée sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dans le délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée, il en avise sans délai le greffier ou le secrétaire de la juridiction qui a rendu la décision ainsi que la caisse des règlements pécuniaires dont il relève. Lorsqu’il renonce dans ce même délai à recouvrer cette somme ou qu’il n’en recouvre qu’une partie et que la fraction recouvrée n’excède pas la part contributive de l’Etat, il demande au greffe ou au secrétaire de la juridiction la délivrance d’une attestation de mission laquelle mentionne, le cas échéant, le montant des sommes recouvrées. A l’expiration du délai précité, l’avocat qui n’a pas sollicité la délivrance d’une attestation de mission, est réputé avoir renoncé à la part contributive de l’état ».

 

 

La défiance envers la Profession d’Avocat qui se dégage du rapport de l’Inspection Générale de l’Administration, ne se satisfait donc pas du contrôle des greffes des juridictions administratives et des CARPA imposé par ce texte.

 

Elle méconnait aussi les dispositions de l’article 1.3 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) selon lesquelles :

 

« L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment ».

 

Elle ignore surtout la qualité d’auxiliaire de justice de l’Avocat, la déontologie qu’elle lui impose et tous les corollaires qui s’y rattachent.

 

 

 

A regret, la tendance évoquée par Monsieur le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, Ancien Président du Conseil National des Barreaux se confirme.

 

Ne disait-il pas dans son éditorial du 15 février 2013 que « par définition, le libéral serait malsain tandis que le fonctionnaire serait pur».

 

Dans le cas de la mission relative à l’évolution et à la maîtrise des dépenses de contentieux du ministère de l’Intérieur, cette vision est inquiétante.

 

 

Au final, le souci d’économie – qui concerne chaque contribuable – a limité le regard des rédacteurs du rapport de septembre 2013 à d’apparentes assertions.

 

Dans le contentieux des étrangers, il faut aussi se placer en amont, là où la décision attaquée est prise, où le litige nait, où les perspectives de juridictionnalisation trouvent leur origine.

 

Le traitement des dossiers d’étrangers dans le respect de la légalité et les moyens de fonctionnement des Préfectures ne peuvent donc être ignorés.

 

Ce n’est alors que bon sens de dire qu’ « on voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien ».

 

 

 

A lire : Rapport de septembre 2013

 MOTION_BARREAU_LYON_22-01-2014

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