Le 05/02/12
Le contentieux du droit des étrangers est un contentieux éminemment politique mais incontestablement humain.
Il soulève des questions et des difficultés dans sa pratique qui peuvent parfois mettre chaque intervenant mal à l’aise.
Tel est le cas des enfants mineurs qui suivent leurs parents en rétention administrative et subissent de facto une mesure privative de liberté.
Il faut préciser que l’accueil de familles, s’il est rare, ne constitue pas une situation exceptionnelle méconnue des services des préfectures et de la Police aux Frontières.
La présence au Centre de Rétention Administrative d’un enfant accompagnant ses parents, objet d’une mesure d’éloignement, est prévue par le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile.
L’article L553-1 dudit code prévoit notamment la tenue par les autorités de police du CRA d’un registre mentionnant l’état civil des enfants mineurs accompagnant les retenus et leurs conditions d’accueil.
Or, certaines alternatives permettent d’éviter aux familles de s’installer au centre dans l’attente de leur reconduite.
Selon l’article L562-1 du CESEDA , les Préfectures peuvent ab initio prendre une décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique, après accord de l’étranger père ou mère d’un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans et lorsque cet étranger ne peut pas être assigné à résidence en application de l’article L. 561-2 du présent code.
Pour autant et quels que soient les motifs de son séjour au centre, un enfant est et demeure un accompagnant, non un retenu .
En effet, conformément aux dispositions de l’article L511-4 du CESEDA , «l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et ne peut, par extension, être placé en rétention pour l’exécution de cette mesure d’éloignement ».
Bien sûr, la « rétention par procuration » dans le but de ne pas séparer les familles a donné lieu a de nombreux débats devant les juridictions en charge du contentieux des étrangers.
Aussi la question de sa conformité avec les principes énoncés par la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 n’est-elle pas nouvelle.
Dans son article 3, cet accord international ratifié par la France rappelle que :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011, le juge administratif laissait au juge civil le soin de se pencher sur le respect des libertés individuelles et l’effectivité des droits.
Depuis lors, l’intervention du Tribunal Administratif préalablement à la saisine du Juge des Libertés et de la Détention a modifié l’ordre établi.
Très rapidement, le juge administratif a démontré son manque de frilosité et sa volonté de donner une nouvelle dimension à son rôle.
C’est ainsi que les 24 et 29 octobre 2011, le Tribunal Administratif de Melun a annulé le placement en rétention de parents accompagnés de leurs enfants au regard notamment de la présence de mineurs au Centre de Rétention Administrative.
Le 19 janvier dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a à son tour eu statué sur la situation des enfants accompagnant dans l’attente du retour au pays de leurs parents en situation irrégulière.
CEDH 19 janvier 2012POPOV c/France
Dans cette espèce, les époux POPOV, de nationalité kazakh et leurs enfants âgés de moins de six mois et de trois ans, avaient été interpellés et placés en garde à vue suite à une mesure d’éloignement prise à leur encontre.
D’abord placés en rétention administrative dans un hôtel, ils avaient ensuite été transférés au Centre de ROUEN-OISSEL pour y rester plus de quinze jours avant d’être libérés sans que la mesure à l’origine de leur privation de liberté, nesoit finalement exécutée.
La Cour a relevé que si l’enfant ne doit pas être séparé d’un parent, sauf circonstances exceptionnelles, l’éventuel placement en rétention doit être de la plus courte durée possible.
En effet, les mineurs étrangers bénéficient de protections particulières prévues par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Hommes et la Convention internationale des droits de l’enfant.
Les juges européens ont donc estimé que les autorités :
– n’étaient pas exemptées de leur obligation de protéger les enfants accompagnant au CRA et d’adopter des mesures adéquates au regard de leur extrême vulnérabilité,
– étaient tenues de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la durée de la détention des mineurs.
Après en avoir délibéré, la Cour a condamné à FRANCE en relevant que :
« les conditions dans lesquelles les enfants ont été détenus, pendant quinze jours, dans un milieu d’adultes, confrontés à une forte présence policière, sans activités destinées à les occuper, ajoutées à la détresse des parents, étaient manifestement inadaptées à leur âge.
(…)
Ces conditions de vie ne pouvaient qu’engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme.
(…)
Les autorités n’ont pas assuré aux enfants un traitement compatible avec les dispositions de la Convention et que celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention.
(…)
La loi ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention ; ainsi, les enfants « accompagnant » leurs parents tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer le recours garanti à leur parents »
A préciser que pourtant le Centre de Rétention de ROUEN-OISSEL où la famille POPOV était maintenue compte parmi ceux habilités à recevoir des familles…
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