Les acteurs de la nouvelle procédure déjudiciarisée de changement de prénom

La Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a profondément modifié la procédure de changement de prénom  déjà évoquée dans ces pages.

Depuis le 1er janvier 2017, les acteurs de ce contentieux étaient dans l’attente des actes permettant la mise en œuvre de cette réforme très attendu.

 La circulaire CIV/01/17 du 17 février 2017 a été accompagnée par le Décret n° 2017-450 du 29 mars 2017 relatif aux procédures de changement de prénom et de modification de la mention du sexe à l’état civil

Au regard de ces éléments, il est désormais possible de déterminer avec précision le nouveau cadre de ce contentieux ainsi que le rôle de ses acteurs.

  • Le rôle de l’officier d’état civil :

Conformément à l’article 60 du Code Civil  « toute personne peut » désormais « demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom ».

La compétence pour accueillir ces demandes revient à l’officier de l’état civil du lieu de résidence ou du lieu où l’acte de naissance a été dressé.

C’est donc à ce dernier qu’il revient de procéder à l’instruction des demandes et d’examiner la réalité de l’intérêt légitime qui préside à leur acceptation.

Comme il l’a déjà été précisé, tant qu’il est justifié et motivé par des circonstances propres à l’espèce, l’intérêt peut être religieux, moral ou social.

Ainsi, la circulaire du CIV/01/17 du 17 février 2017 indique dans son annexe 1 qu’« en fonction de la demande, à titre indicatif et non cumulatif, ces pièces peuvent être relatives à :

  • L’enfance ou la scolarité de l’intéressé: certificat d’accouchement, bracelet de naissance, copie du carnet de santé, copie du livret de famille des parents, certificat de scolarité, copie de bulletins scolaires, copie de diplômes, certificat d’inscription à une activité de loisirs ;
  • Sa vie professionnelle: contrat de travail, attestations de collègues de travail (accompagnées d’une pièce d’identité), copie de courriels professionnels, bulletins de salaire ;
  • Sa vie personnelle (familiale, amicale, loisirs): attestations de proches (accompagnées d’une pièce d’identité), certificat d’inscription à une activité de loisirs ;
  • Sa vie administrative: copie de pièces d’identité anciennes ou actuelles, factures, avis d’imposition ou de non-imposition, justificatifs de domicile ».

Au vue de ces éléments, s’il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, l’officier d’état civil saisit sans délai le Procureur de la République et en informe le demandeur.

Sans se remplacer celle du juge, l’appréciation de l’employé de mairie précède l’intervention judiciaire limitée aux situations donnant lieu à débat.

  • Le rôle du Procureur de la République :

Saisi par l’officier d’état civil, le Procureur de la République peut s’opposer ou accéder à la demande de changement de prénom.

Il lui reviendra donc de procéder lui-même à l’analyse de la situation du demandeur pour se déterminer dans l’un ou l’autre sens.

Mais son intervention dans la procédure de changement de prénom ne se limite pas à cette seule prise de position qui détermine l’éventuel recours au Juge aux Affaires Familiales.

En effet, la circulaire du CIV/01/17 du 17 février 2017 précise dans son annexe 1 que « le procureur de République pourra définir une politique locale » d’appréciation de l’intérêt légitime par l’officier d’état civil.

C’est ainsi que le ministère public pourra intervenir directement dans les mairies de son ressort territorial en matière de changement de prénom. Il pourra faire évoluer la notion d’intérêt légitime tout comme il pourra la cantonner aux limites déjà existantes.

Ce pouvoir directionnel vient donc renforcer le pouvoir décisionnel que lui confrère la saisine par l’officier d’état civil.

Si le Procureur de la République s’oppose à la demande de changement de prénom, il décidera d’emmener le changement de prénom vers une procédure judiciaire.

 Dès cet instant, le demandeur ou son représentant légal n’aura d’autres choix que de saisir le Juge aux Affaires Familiales pour lever l’opposition en application de l’article 1055-2 du Code de Procédure Civile.

  • Le rôle de l’avocat :

D’aucun pourrait se dire que la nouvelle procédure de changement de prénom met fin à l’intervention de l’avocat, tout du moins la cantine à l’instance devant le Juge aux Affaires Familiales.

Pourtant, le rôle de l’auxiliaire évolue sans se restreindre dans cette matière où la compétence de l’officier d’état civil simplifie les démarches des justiciables.

La complexité de l’appréciation de l’intérêt légitime et les restrictions liées à la politique locale du Procureur de la République donnent à la mission de conseil de l’avocat toute sa dimension.

Le demandeur pourra, de ce fait, être accompagné dans ses démarches par l’avocat qui lui permettra de motiver sa demande en droit et en fait.

En effet, la simplification de la procédure ne doit pas laisser penser que les conditions de fond du changement de prénom se sont assouplies.

L’opposition du Procureur de la République peut mener à la saisine du Juge aux Affaires Familiales dans le cadre d’une procédure avec représentation obligatoire, plus longue et plus difficile que précédant la réforme.

L’article 1055-3 du Code de Procédure Civile fait basculer l’instance judiciaire de la matière gracieuse à la matière contentieuse.

La requête écrite et motivée est donc remplacée par une assignation délivrée par voie d’huissier suivie d’échanges de conclusions dans le cadre d’une procédure où le demandeur s’oppose directement au Procureur de la République.

Le Juge aux Affaires Familiales aura donc à connaitre d’un véritable litige non de contrôler une situation juridique.

La réforme rapproche donc la procédure de changement de prénom de l’opposition à mariage prévu par l’article 175-2 du Code Civil.

Elle redéfinie le rôle des acteurs de cette procédure aussi singulière que novatrice.

 

Ce qu’il faut savoir sur la procédure de changement de prénom

Chacun de nos choix, chacune de nos orientations conditionnent le chemin de vie qui se présente à nous. Au quotidien, nous sommes appelés à prendre des décisions aux conséquences plus ou moins importantes.

Il revient pourtant à nos parents, en toute conscience, de faire le premier choix de notre vie : ils nous imposent leurs noms mais nous offrent un prénom.

Que l’on se nomme Jean-Paul, Leila ou Franco, ce prénom est un élément de notre état civil, un morceau de notre identité mais également une parcelle d’intime.

Certains pensent d’ailleurs que nos traits de caractère se dessinent au travers de ces quelques lettres qui nous déterminent.

Si un mot ne saurait tout entier définir notre personnalité, il nous personnalise et fait de nous un être unique.

Cependant, il arrive que ce prénom dont notre famille nous a fait cadeau nous empoisonne car il est source de préjudices, de moqueries, de honte tant dans nos activités professionnelles que dans notre vie personnelle.

Le droit civil permet alors de saisir la justice pour solliciter le changement de prénom sous certaines conditions aussi précises que limitées.

  • Quel est le cadre légal de la procédure de changement de prénom ?

Le titulaire d’un prénom bénéficie d’un droit d’usage sur celui-ci dès son inscription sur l’acte de naissance.

En application des dispositions de l’article 60 du Code Civil, « toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction, la suppression ou la modification de l’ordre des prénoms peut pareillement être décidée ».

L’action en changement de prénom n’est pas une procédure qui s’aborde avec légèreté car elle s’inscrit dans un régime dérogatoire à l’immutabilité du prénom.

A l’inverse de la rectification de l’état civil visée à l’article 99 du Code Civil, cette procédure donne lieu à une instance engagée devant le Juge aux Affaires Familiales près du Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel l’acte de naissance du demandeur a été dressé ou du lieu où demeure celui-ci.

L’article 1055-1 du Code de Procédure Civile dispose cependant que « lorsque l’acte de naissance de l’intéressé est détenu par le service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères, la demande peut aussi être présentée au juge du lieu où est établi ce service ».

L’instance relève de la procédure dite gracieuse ; le ministère public est partie à la procédure et la représentation par avocat est obligatoire.

Dans ce cadre, il peut être de demander au juge la modification du prénom, l’adjonction d’un prénom, le remplacement du prénom par un autre, la suppression de l’un des prénoms ou encore la modification de l’ordre des prénoms.

Lorsque la décision de changement de prénom est rendue et est devenue définitive, elle est transmise à la demande de l’avocat du requérant par le procureur de la République à l’officier d’état civil

Il est alors procédé à la modification de l’acte de naissance de l’intéressé.

  • Quelles sont les conditions de l’action ?

Pour soutenir une requête en changement de prénom, il est indispensable de justifier d’un intérêt légitime, intérêt relevant de l’appréciation souveraine du juge aux Affaires Familiales.

Tant il est justifié et motivé par des circonstances propres à l’espèce, l’intérêt peut être religieux, moral ou social.

Mais cet intérêt doit être distingué, selon une jurisprudence constante, de l’intérêt commercial ou professionnel qui est insuffisant pour motiver le changement de prénom.

Cass. Civ 1ère 3 janvier 1964 Bulletin Civil n°3

De ce fait, il incombe au demandeur de rapporter la preuve d’un trouble réel en dehors de toute convenance personnelle afin d’établir que non seulement le port du prénom est traumatisant mais également que son changement s’impose.

Tel est le cas lorsque la requête tend à solliciter la substitution du prénom de naissance par un autre usité depuis plusieurs années sans interruption.

L’objectif de l’action sera alors de mettre en conformité l’état civil avec l’état de fait.

Cependant, ce motif de changement du prénom est admis par la jurisprudence lorsque cet usage continu et constant depuis sa naissance ne procède pas d’une convenance personnelle.

Cass. Civ. 1ère 3 février 1981 Pourvoi n° 79-10523
Cass. Civ. 1ère 10 octobre 1984 Pourvoi n° 83-13934

Le motif est de même admis par la jurisprudence lorsque l’orthographe n’est pas conforme au prénom.

Cour d’Appel de RENNES 14 juin 1999 Juris-Data n°109160
Cour d’Appel de PAPEETE 13 mai 2004 Juris-Data n°247637

  • Quelles sont les autres situations ouvrant droit à changement de prénom ?

En dehors de cette action, certaines décisions administratives ou procédures peuvent être à l’origine d’une modification du prénom original.

Ainsi lorsqu’un ressortissant étranger acquière la nationalité française, il a la possibilité de solliciter la francisation de son prénom lors du dépôt de sa demande de naturalisation en application de l’article 42 du Décret n°93-1362 du 30 décembre 1993.

Cette possibilité est bien sûr ouverte si le prénom étranger dispose d’un équivalent dans la langue française.

Dans ces circonstances, le décret de naturalisation qui interviendra portera mention de cette francisation qui relève du choix exclusif du candidat à l’acquisition de la nationalité.

Il en va de même lorsqu’une action en rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance est engagée : cette procédure judiciaire implique nécessairement un changement de prénom.

Les personnes souffrant du «syndrome» du transsexualisme qui ne possèdent plus tous les caractères de leur sexe d’origine sont admis à mettre en conformité leur état civil avec leur état social.

Le principe du respect dû à la vie privée justifie cette rectification en adéquation avec le sexe dont elles ont désormais l’apparence.

Mais pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, le demandeur doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont il est atteint ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence.

Cass. Civ. 1ère 7 juin 2012 Pourvoi n° 11-22490 et 10-26947

Enfin, le changement de prénom est également prévu dans le cadre de la procédure d’adoption plénière ou simple pour l’enfant mineur.

L’article 357 du Code Civil prévoit ainsi que « sur la demande du ou des adoptants, le tribunal peut modifier les prénoms de l’enfant ».

L’ensemble de situations ouvre une possibilité de modifier un élément de notre personnalité protégé par la loi.

S’elle ne pallie pas les années de souffrance ou de vexation, la procédure de changement prénom s’ouvre cependant sur une perspective d’avenir en adéquation avec la personnalité du requérant.