Le droit à la preuve et le respect de la vie privée en droit des obligations

«Chacun a droit au respect de sa vie privée » comme l’affirme l’article 9 du Code Civil.

Le droit confère une protection efficace et effective de ce qui relève de l’intime et du confidentiel afin que nos secrets ne puissent s’épanouir en dehors du jardin où nous les cultivons avec délicatesse.

Mais cette protection s’accommode parfois mal des procédures judiciaires où les débats conduisent à une immixtion dans notre quotidien.

Se pose alors la question de savoir comment concilier le droit à la preuve et le respect de la vie privée.

Cette difficulté se retrouve notamment dans le contentieux des assurances où la confidentialité des données médicales se heurte à la complète information sur l’état de santé de l’assuré.

La transparence ne peut alors pas être envisagée comme un objectif ultime portant une écrasante atteinte aux droits de la personne.

Dans ce contexte, la communication des informations médicales trouvent sa limite dans l’accord du patient et assuré.

Le contentieux de la famille connait également des tempérances au droit de la preuve posées par l’article 259-1 du Code Civil.

Tout élément obtenu « par violence ou fraude » est écarté des débats dans les instances en divorce.

La loyauté dans l’administration judiciaire de la preuve est donc un principe général de la procédure civile qu’il convient de respecter.

La Cour de Cassation nous l’a récemment rappelé à l’occasion de la production en justice de rapports d’enquête privée.

Cass. Civ. 1ère 25 février 2016 Pourvoi n° 15-12403

Cette jurisprudence permet de revenir sur l’état du droit à la preuve en droit des obligations.

  • Le respect du secret :

Comme souvent, le droit français s’est enrichi du droit européen pour affiner ses raisonnements et assoir ses principes.

L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme reconnait avec autant de clarté que de pragmatisme le droit au respect de la vie privée et familiale.

Ce droit s’applique par extension au domicile et à la correspondance qui constituent des prolongements de la personnalité et des éléments de l’intimité de chacun.

Les dispositions du droit européen n’admettent d’ingérence dans l’exercice de ce droit par une autorité publique « que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité national à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Le droit au respect de la vie privée et familiale ne peut donc être bafoué : sa protection peut cependant être aménagée si elle est mise en balance avec d’autres intérêts, publics ou privés, à condition qu’ils soient légitimes.

C’est dans ce sens que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a posé son interprétation de l’article 8 au travers de sa jurisprudence.

En 2006, elle a condamné la France pour violation de cet article au motif que, en fondant sa décision sur les constatations détaillées du compte rendu opératoire et en reproduisant dans sa décision les passages qu’elle estimait pertinents, une cour d’appel avait rendu publiques des données de caractère personnel touchant le requérant alors même que la décision ne s’était fondée qu’à titre subsidiaire sur la pièce médicale couverte par le secret.

CEDH 10 octobre 2006 Requête n° 7508/02, L.L. c/ France

La Cour Européenne a estimé que l’ingérence dans le droit au respect de sa vie privée n’était pas proportionnée au but recherché et n’était donc pas nécessaire, dans une société démocratique, à la protection des droits d’autrui.

Dans son arrêt du 25 février 2016, la Cour de Cassation se livre à ce même bilan de compatibilité en le respect du droit et la légitimité de l’atteinte qui lui est porté.

En l’espèce, elle désavoue la juridiction d’appel en relevant « que les investigations, qui s’étaient déroulées sur plusieurs années, avaient eu une durée allant de quelques jours à près de deux mois et avaient consisté en des vérifications administratives, un recueil d’informations auprès de nombreux tiers, ainsi qu’en la mise en place d’opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de l’intéressé et lors de ses déplacements, ce dont il résultait que, par leur durée et leur ampleur, les enquêtes litigieuses, considérées dans leur ensemble, portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ».

La limite ici fixée relève donc du caractère trop intrusif des investigations menées par l’enquêteur privé à l’initiative de la compagnie d’assurance.

  • Les modes de preuves admissibles :

Les réticences des juridictions civiles à admettre certains éléments probatoires sont liées directement un mode de preuve utilisé.

Le caractère unilatéral de la démarche probatoire joue évidemment un rôle dans l’appréciation des magistrats car celui contre lequel on prouve ne consent pas aux manœuvres qui le concernent.

Aussi l’enregistrement de conversations téléphoniques privées, à l’insu de l’auteur des propos, constitue-t-il un procédé déloyal.

L’Assemblée Plénière a d’ailleurs retenu qu’il résultait des articles 9 du Code de Procédure Civile, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, que l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus était irrecevable à titre de preuve.

Cass. Ass. Plén. 7 janvier 2011 Pourvoi n° 09-14316

Cependant, ce procédé peut être admis en matière pénale sous réserve d’échapper aux incriminations des articles 226-1 et 226-2 du Code Pénal qui pénalise les atteintes à la vie privée.

Au contraire, la Cour de Cassation reconnait la preuve tirée d’un film dès lors que les images ont été captées sur la voie publique ou en des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s’y rendre, et relatives aux seules mobilité et autonomie de l’intéressé et qu’elles ont donné lieu à constatation par un huissier de justice.

Cass. Civ. 1re 31 octobre 2012 Pourvoi n° 11-17476

De même, elle admet qu’une lettre missive peut être versée au débat si cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence alors même qu’elle ne violerait le secret des correspondances.

Cass. Civ. 1re 5 avril 2012 Pourvoi n° 11-14177

Dans cette lignée, la Cour de Cassation reconnait dans son arrêt du 25 février 2016 la production en justice de « quatre rapports d’enquête privée » établis par un enquêteur mandaté et financé par l’une des parties à l’instance.

En 2014, elle avait déjà pris en compte ce type de rapports en retenant que le fait que les juges du fond ne se soient appuyés que sur des éléments ne portant pas une atteinte disproportionnée à la vie privée permet de ne pas les écarter bien qu’ils soient énoncés dans un rapport d’enquête qui contenait également de nombreux éléments de preuve manifestement illicites.

Cass. Civ. 1ère 5 février 2014 Pourvoi n°12-20206

Comme toujours dans un État de droit, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.

Il ressort de ce qui précède que la non-disproportion de l’atteinte à la vie privée s’apprécie par rapport aux droits et intérêts en cause.

Le principe de loyauté apparait ainsi comme la pierre angulaire du contrôle opéré par les juges civils dans l’administration judiciaire de la preuve.

La résiliation d’assurance de prêt et la faculté de souscrire un nouveau contrat en cours de prêt

La Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation dit Loi Hamon a mis en œuvre une réforme tendant à renforcer des règles protectrices à l’égard des consommateurs et à instaurer un nouvel équilibre dans les rapports contractuels avec les professionnels.

Avant son entrée en vigueur, l’assuré bénéficier du droit de résiliation annuelle de son contrat d’assurance (sauf exception) mais uniquement dans les deux mois qui précédant l’échéance du terme.

Depuis lors, l’article L 113-15 2 du Code des Assurance dispose que « pour les contrats d’assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches définies par décret en Conseil d’État, l’assuré peut, à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, résilier sans frais ni pénalités les contrats et adhésions tacitement reconductibles. La résiliation prend effet un mois après que l’assureur en a reçu notification par l’assuré, par lettre ou tout autre support durable ».

Cette législation concerne le domaine des crédits immobiliers et permet à l’emprunteur de résilier son contrat d’assurance de prêt dans le délai d’un an à compter de la souscription.

La procédure de résiliation du contrat s’en trouve assouplie permettant ainsi à la concurrence de jouer son rôle de régulateur des prix.

Mais la faculté de résiliation qui s’accompagne de la possibilité de substitution n’est pas périodique car elle ne s’applique que la première année du contrat.

Au cours de l’année 2015, cette problématique a donné lieu à deux arrêts distincts dans deux espèces similaires au regard du droit antérieur à la loi Hamon.

  • La première décision a été rendue le 23 mars 2015 par la Cour d’Appel de BORDEAUX saisi par l’emprunteur en réformation du jugement initial.

Cour d’Appel de BORDEAUX du 23 mars 2015 RG 13/07023

En novembre 2010, l’appelant avait souscrit deux prêts immobiliers auprès d’un établissement bancaire.

Dans le cadre de son emprunt, il a adhéré en octobre de la même année à deux contrats d’assurance de prêt souscrit par la banque auprès d’une compagnie d’assurance partenaire.

Deux ans plus tard, l’emprunteur présentait une demande de résiliation des assurances des prêts en cours aux fins de substituer des contrats plus performants.

Après avoir proposé de renégocier le montant des primes, l’établissement bancaire refusait la rupture contractuelle.

Cependant, les juges d’appel sont venus censurer ce rejet grâce à un raisonnement savamment articulé autour de la législation en vigueur en 2012.

Ils soulignent ainsi que l’article L 312-9 du Code de la Consommation ouvre la faculté à l’emprunteur de présenter un autre contrat d’assurance que celui proposé par la banque uniquement au moment de la formation du prêt.

En cours d’exécution, cette possibilité n’était pas prévue ce qui s’opposait à la substitution d’une garantie par une autre.

Cependant, la juridiction bordelaise retient qu’en dehors de l’assurance vie, l’ordre public permet de demander la résiliation annuelle de tous contrats d’assurance.

La garantie de prêt ne saurait s’apparenter à une assurance vie dans la mesure où d’autres risques que le décès sont couverts.

Dès lors, l’article L 113-12 du Code des Assurances précise au terme duquel « à l’expiration du délai d’un an en envoyant une lettre recommandé à l’assureur au moins deux mois avant la date d’échéance », est applicable.

La résiliation d’assurance de prêt est valable sans que l’emprunteur ne bénéficie pour autant de la faculté de souscrire un nouveau contrat en cours de prêt.

  • La seconde décision provient de la Cour d’Appel de DOUAI en date du 17 septembre 2015 sur appel de l’emprunteur.

Cour d’Appel de DOUAI du 17 septembre 2015 RG  14/01655

En mars 2007, l’appelant avait, lui aussi, souscrit un prêt immobilier auprès d’un établissement bancaire et contracté une assurance lors de l’acceptation de l’offre de prêt.

En janvier 2012, il demandait à la banque de procéder à la substitution d’un nouveau contrat souscrit par lui auprès d’une société d’assurance ce que l’établissement financier refusait.

Là encore, les juges d’appel ont exclut les contrats d’assurance emprunteur du régime des assurances sur la vie.

Leur raisonnement reprend à juste titre l’analyse de la Cour de Cassation qui considère qu’une assurance portant sur le risque d’insolvabilité des emprunteurs du fait de leur mort ou de leur invalidité est une assurance mixte.

Cass. Civ.1ère 7 juillet 1987 Pourvoi n° 85-14605

Mais à la différence du premier arrêt, l’établissement bancaire va se placer sur le terrain des assurances de groupe dans cette espèce pour se prévaloir –selon une interprétation subjective – de l’article L 141-4 du Code des Assurances.

Il va ainsi tenter de cantonner l’assuré à une simple faculté de dénonciation d’assurance en cas de modification apportée par l’assureur au contrat et à ses garanties.

La juridiction douaisienne répond cependant que ces dispositions légales ne reviennent pas à soustraire les contrats d’assurance de groupe de l’article L 113-12 du Code des Assurances et à en exclure le droit de résiliation annuelle.

La Cour ne manque pas de relever de manière plus précise encore que « le droit de résilier le contrat d’assurance doit être distingué du droit de substituer un contrat d’assurance au contrat initialement souscrit ».

Il convient de préciser que l’une et l’autre de ces affaires mettaient en cause le même établissement bancaire et la même assurance de groupe.

Ces deux arrêts ayant fait l’objet d’un pourvoi actuellement pendants devant la Cour de Cassation, il faudra encore attendre pour connaître l’état du droit sur la résiliation d’assurance de prêt et la faculté de souscrire un nouveau contrat en cours de prêt.