Gestation pour autrui, état du droit

Le 4 octobre 2019, la Cour de Cassation réunie en assemblée plénière a mis un terme à l’une des affaires les plus médiatiques et les plus actuelles après de longues années de procédure.

Alors que les débats parlementaires sont en cours sur l’adoption de la Loi bioéthique, les juges de la Haute cours ont statué dans le dossier épineux des époux  Mennesson et leurs filles nées d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger.

Dans le cadre de la GPA, deux hypothèses prédominent :

  • soit la mère de substitution porte l’enfant et donne ses propres gamètes,
  • soit la mère de substitution porte in utero l’embryon constitué avec les gamètes d’un ou des deux parents intentionnels.

L’accueil fait de ces procréations assistées pratiquées à l’étranger en contravention de la Loi française opposent  ceux qui font primer l’intérêt de l’enfant à ceux qui veulent punir le tourisme procréatif.

L’interdiction de la GPA a été affirmée par la Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et confirmée par la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

Elle se fonde sur le principe d’indisponibilité qui place le corps humain hors de tout  commerce.

Ainsi, selon l’article 16-7 du Code Civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

L’article 227-12 du Code Pénal prévoit d’ailleurs des peines d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation s’est opposée, jusqu’en 2014, au phénomène de GPA transfrontière, en refusant :

  • la transcription d’un acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français,
  • l’adoption en France d’un enfant né par GPA.

Dans ce contexte, la Haute Cour va déclarer contraires à l’ordre public international les filiations obtenues par GPA.

Elle va ainsi affirmer :

« Est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque cette décision heurte des principes essentiels du droit français.

En l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil » (transcription acte d’état civil).

Cass. Civ. 1ère  6 avril 2011 Pourvois n° 09-66486  et 10-19053

Mais la Cour Européenne des Droits de l’Homme va condamner l’état français en se fondant sur l’article 8 de la CESDH et l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

CEDH 26 juin 2014  Mennesson, req. no 65192/11 

 

La Cour de Cassation sera alors contrainte d’opérer un revirement de jurisprudence en deux temps :

– En premier lieu, elle considère que « la convention de gestation pour autrui ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance » et elle a alors admis, pour des couples d’hommes ayant eu recours à une GPA transfrontière, la transcription complète de l’acte de naissance mentionnant comme père, l’un des hommes et aussi géniteur de l’enfant et, comme mère, la femme ayant accouché (transcription acte d’état civil).

Cass. AP. 3 juillet 2015 Pourvoi n°15-50002

– En second lieu, elle entérine le principe d’une transcription partielle de l’état civil. Elle accepte que l’acte de naissance d’un enfant né de GPA à l’étranger soit transcrit en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention, celle-ci n’ayant pas accouché de l’enfant (transcription acte d’état civil).

Nonobstant le recours à la GPA, elle admet l’adoption par le conjoint du parent, si les conditions légales de l’adoption sont réunies, et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Cass. Civ. 1ère.  5 juillet 2017 Pourvois n°16-16901 et 16-50025

Dans cette lignée,  la Cour de Cassation va recourir à la nouvelle procédure de saisine pour avis de la Cour européenne sur la question de la transcription d’un acte de naissance de l’enfant né dans le cadre d’une GPA en ce qu’il désigne la “mère d’intention”, indépendamment de toute réalité biologique.

L’Assemblée plénière s’est, de nouveau, retrouvé confronté aux consorts MENNESSON, et a craint d’être encore sanctionnée.

Cass. AP. 5 octobre 2018 Pourvoi 10-19053

La réponse donnée par la Cour énonce clairement le principe de reconnaissance nécessaire du lien de filiation entre l’enfant né d’une GPA transfrontière et sa mère d’intention, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

Les limites de l’office consultatif du juge européen se manifestent dans la réponse apportée à la question du choix des moyens à mettre en œuvre pour établir le lien de filiation enfant-parents d’intention.

CEDH, demande n° P16-2018-001, avis du 10 avril 2019

Le débat s’est achevé le 4 octobre 2019.

Au terme de son arrêt, la Cour de Cassation retient que le lien avec la mère d’intention doit être établi en privilégiant un mode de reconnaissance qui permette au juge français de contrôler la validité de l’acte ou du jugement étranger et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant.

Pour le juge français, c’est l’adoption qui répond le mieux à ces exigences.

Compte tenu de la durée de la procédure de plus de quinze ans, la transcription en France des actes de naissance désignant la mère d’intention, avec laquelle le lien est depuis longtemps largement concrétisé, est admise.

Cass. AP. 4 octobre 2019 n°10-19053

 

La filiation à l’égard du père d’intention relève de la transcription de l’acte de naissance de son nom, la filiation à l’égard de la mère d’intention ressort de la procédure d’adoption plénière.

Tous les cas de parentalité liés à la GPA ne sont, cependant, pas couverts par cet état du droit.

Cette incertaine et incomplète jurisprudence contraste avec le cadre strict et rigoureux des conventions de mère porteuse dans les pays où la GPA est une pratique,

En réalité, la GPA pose le problème délicat de l’existence et des limites du droit à l’enfant pour les couples infertiles ou dans l’incapacité de procréer.

 

L’adoption simple de l’enfant du conjoint

Les liens biologiques ne sont pas la seule façon de faire naitre des liens de paternité ou de maternité : la filiation adoptive permet par la voie judiciaire d’instituer ces mêmes liens.

La Loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 a créé un système à double niveau et établit une distinction entre adoption plénière et adoption simple.

Cette dernière a la particularité crée un lien de filiation sans rompre ceux existants entre l’enfant et sa famille d’origine.

A l’origine, ce système avait vocation à s’appliquer aux majeurs pour donner une reconnaissance juridique à l’affection développée à travers le temps.

Mais l’évolution du couple et de la parentalité au sein de notre société favorise ce système qui est tout particulièrement adapté en cas de recomposition familiale.

La possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint n’est pas nouvelle et a été largement favorisée par les dispositions du code civil.

La Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 lui a donné une perspective plus étendue en offrant la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe.

Voici donc en quelques lignes les principales caractéristiques de ce contentieux dans lequel l’état de l’enfant et les liens affections président.

  • La souplesse des conditions légales :

L’adoption simple est dirigée par des principes bien plus souples que celles de l’adoption plénière.

La facilité de mise en œuvre tient au maintien des liens de l’adopté avec les membres de sa famille biologique qui ne se trouve pas rompu.

Le rapport adoptif du conjoint adoptant vient se superposer à la filiation établie à l’égard de ses père et mère sans y faire obstacle.

Pour autant, le caractère révocable de l’adoption simple pour «motifs graves» lui confère une certaine fragilité comme le rappelle l’article 370 du Code Civil.

Les conditions tiennent à la fois à l’adoptant mais également à l’adopté et à sa famille :

L’article 343-2 du Code Civil n’impose pas un âge minimum à l’adoptant pour prétendre à l’adoption son beau-fils ou sa belle-fille.

La durée du mariage avec le conjoint-parent qu’elle soit brève ou longue n’est, ensuite, pas prise en considération : cette condition ne s’applique qu’à l’adoption par un couple.

Par ailleurs, la différence d’âge entre l’adoptant et l’adopté est réduite à dix ans (au lieu de quinze), et même moins en cas de « justes motifs » par application de l’article 344 du Code Civil.

L’adoption simple est donc taillée pour coller parfaitement et sans faux pli au profil de la famille recomposée.

Les conditions tenant à l’adopté illustrent parfaitement cette réalité même si elles varient selon que l’enfant est mineur ou majeur.

Dans le premier cas, l’adoption de l’enfant mineur du conjoint ne peut être envisagée sans le consentement de l’autre parent à condition qu’il soit en vie.

 S’il est décédé, le consentement du conjoint de l’adoptant suffira.

Le refus de consentement ne permettra pas d’amener la procédure vers une issue positive : le juge peut cependant passer outre ce refus s’il estime qu’il est abusif.

Quant à l’adopté, il ne sera amené à consentir à l’adoption que s’il est âge de plus de treize ans.

A l’inverse dans le second cas, l’adopté majeur consent seul à son adoption car il n’est plus sous l’autorité de ses parents ou la tutelle d’un conseil de famille.

Pour autant, l’adoption ne peut naturellement avoir lieu contre la volonté du parent conjoint, qui devra toujours donner son consentement en application de l’article  361 du Code Civil.

  • Du désir à l’opportunité :

L’adoption simple de l’enfant du conjoint est largement ouverte sans que les restrictions énoncées à l’article 345-1 du Code Civil puissent faire échec à ce projet.

L’opportunité de l’adoption simple est cependant soumise à l’appréciation du juge qui vérifiera que les intérêts de chacun, adoptant et adopté, soient sauvegardés.

Son contrôle portera sur le motif déterminant de l’adoption, à savoir la création d’un lien filial même si des considérations liées à l’organisation d’une succession, à la simplification des démarches en vue de l’obtention d’un titre de séjour peuvent exister.

Ainsi e désir de l’adoptant d’éviter que l’adopté soit expulsé du territoire français n’est pas incompatible avec une réelle volonté de créer avec lui un lien de famille

Cass. Civ. 1ère 14 mai 1996 Pourvoi no 94-10693

De même, la conscience chez l’adoptant des effets successoraux que l’adoption ne manquerait pas d’entraîner ne pouvait être considérée comme constitutive d’un détournement de l’institution dès lors que le dossier révélait qu’il existait d’autres motifs justifiant l’adoption.

Cass. Civ. 1ère  11 juillet 2006 Pourvoi no 04-10839

Il faut ainsi prendre conscience de la portée plus ou moins limités des effets de l’adoption simple de l’enfant.

– En ce concerne l’autorité parentale sur l’adopté mineur, l’adoptant en sera titulaire sans en avoir l’exercice selon l’article 365 du Code Civil contrairement à une adoption simple ordinaire.

Bien sûr, le parent biologique conserve cette prérogative mais peut impliquer l’adoptant dans les choix concernant l’enfant puisqu’ils partagent tous deux  une communauté de vie.

L’adoptant et le parent-conjoint peuvent toutefois faire une déclaration conjointe adressée au greffier en chef du Tribunal de Grande Instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité.

 

– En ce qui concerne le nom de famille, l’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté en l’ajoutant au nom de ce dernier sauf si l’adoptant demande que l’adopté conservera son nom d’origine.

Si l’adopté est majeur, il doit consentir à cette adjonction.

– En ce qui concerne les droits successoraux, l’adopté conserve tous ses droits héréditaires dans sa famille d’origine et a,  dans sa famille adoptive, les mêmes droits qu’un enfant biologique,

– En ce qui concerne la nationalité française de l’adoptant, l’adopté peut prétendre son acquisition jusqu’à sa majorité par déclaration en application de l’article 21-12 du Code Civil.

  • Le caractère gracieux de la procédure :

L’adoption simple peut se décomposer en deux étapes, l’une juridique et l’autre judiciaire :

Dans un premier temps, il est indispensable de remplir les conditions de l’adoption simple et de réaliser les démarches propres à en justifier préalablement à la saisine du juge.

Cette étape est donc principalement celle du recueil de l’accord des différents protagonistes.

En application de l’article 348-3 du Code Civil, le consentement de l’adopté mineur de plus de treize ans ou majeur devra être recueilli :

  • devant un notaire français ou étranger,
  • ou devant les agents diplomatiques ou consulaires français.

Ce consentement peut être rétracté pendant deux mois par lettre recommandée avec accusé de réception adressé.

A l’expiration de ce délai, l’autorité compétente pour recueillir l’accord devra établir un certificat d’absence de rétraction.

A l’inverse, le consentement du parent conjoint est donné librement sans formalisme et sans faculté de rétractation.

Cass. Civ.1ère 13 mars 2007 Pourvoi n°04-13925

Ce n’est donc qu’à l’issue de ces démarches que la requête sera déposée près du Tribunal de Grande Instance compétent accompagnée des documents utiles conformément aux articles 1166 et suivants du Code de Procédure Civile.

L’action aux fins d’adoption relève de la matière gracieuse : la seule partie au jugement d’adoption est donc le requérant c’est-à-dire l’adoptant.

Bien que le conjoint soit amené à donner son  consentement, cette circonstance ne lui confère pas la même qualité.

Au cours de l’instruction du dossier, le tribunal vérifiera si les conditions légales de l’adoption sont remplies et sollicitera l’avis du procureur de la République avant qu’il soit statué sur la requête.

Le jugement d’adoption est susceptible d’appel par les parties qui n’y ont pas renoncé et par les tiers à qui le jugement a été notifié, c’est-à-dire l’adoptant et le ministère public.

Toutefois la Cour de Cassation a précisé qu’était recevable l’appel interjeté par le conjoint de l’adoptant dès lors que, en ordonnant la comparution personnelle des époux, le Tribunal l’a appelé en cause.

Cass. Civ. 1ère 2 décembre 1997 Pourvoi n°95-17508

A l’issue de la procédure aux fins d’adoption simple dont la durée varie selon les tribunaux, les liens d’affection et d’attachement réciproques entre adoptant et adopté trouveront une consécration légale.

La famille biologique et adoptive trouve chacune une place dans cette organisation qui nie aucun maillon de la chaine.

Le système comporte une limite inchangée depuis la loi du 11 juillet 1966 qui suscite quelques discussions.

Selon l’article 346 du Code Civil, « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux ».

La Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que le droit au respect de la vie privée et familiale n’interdit pas de limiter le nombre d’adoptions successives dont une même personne peut faire l’objet, ni ne commande de consacrer par une adoption, tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et bien établis

Cass. Civ. 1ère  12 janvier 2011 Pourvoi no 09-16527