L’adoption simple de l’enfant du conjoint

Les liens biologiques ne sont pas la seule façon de faire naitre des liens de paternité ou de maternité : la filiation adoptive permet par la voie judiciaire d’instituer ces mêmes liens.

La Loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 a créé un système à double niveau et établit une distinction entre adoption plénière et adoption simple.

Cette dernière a la particularité crée un lien de filiation sans rompre ceux existants entre l’enfant et sa famille d’origine.

A l’origine, ce système avait vocation à s’appliquer aux majeurs pour donner une reconnaissance juridique à l’affection développée à travers le temps.

Mais l’évolution du couple et de la parentalité au sein de notre société favorise ce système qui est tout particulièrement adapté en cas de recomposition familiale.

La possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint n’est pas nouvelle et a été largement favorisée par les dispositions du code civil.

La Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 lui a donné une perspective plus étendue en offrant la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe.

Voici donc en quelques lignes les principales caractéristiques de ce contentieux dans lequel l’état de l’enfant et les liens affections président.

  • La souplesse des conditions légales :

L’adoption simple est dirigée par des principes bien plus souples que celles de l’adoption plénière.

La facilité de mise en œuvre tient au maintien des liens de l’adopté avec les membres de sa famille biologique qui ne se trouve pas rompu.

Le rapport adoptif du conjoint adoptant vient se superposer à la filiation établie à l’égard de ses père et mère sans y faire obstacle.

Pour autant, le caractère révocable de l’adoption simple pour «motifs graves» lui confère une certaine fragilité comme le rappelle l’article 370 du Code Civil.

Les conditions tiennent à la fois à l’adoptant mais également à l’adopté et à sa famille :

L’article 343-2 du Code Civil n’impose pas un âge minimum à l’adoptant pour prétendre à l’adoption son beau-fils ou sa belle-fille.

La durée du mariage avec le conjoint-parent qu’elle soit brève ou longue n’est, ensuite, pas prise en considération : cette condition ne s’applique qu’à l’adoption par un couple.

Par ailleurs, la différence d’âge entre l’adoptant et l’adopté est réduite à dix ans (au lieu de quinze), et même moins en cas de « justes motifs » par application de l’article 344 du Code Civil.

L’adoption simple est donc taillée pour coller parfaitement et sans faux pli au profil de la famille recomposée.

Les conditions tenant à l’adopté illustrent parfaitement cette réalité même si elles varient selon que l’enfant est mineur ou majeur.

Dans le premier cas, l’adoption de l’enfant mineur du conjoint ne peut être envisagée sans le consentement de l’autre parent à condition qu’il soit en vie.

 S’il est décédé, le consentement du conjoint de l’adoptant suffira.

Le refus de consentement ne permettra pas d’amener la procédure vers une issue positive : le juge peut cependant passer outre ce refus s’il estime qu’il est abusif.

Quant à l’adopté, il ne sera amené à consentir à l’adoption que s’il est âge de plus de treize ans.

A l’inverse dans le second cas, l’adopté majeur consent seul à son adoption car il n’est plus sous l’autorité de ses parents ou la tutelle d’un conseil de famille.

Pour autant, l’adoption ne peut naturellement avoir lieu contre la volonté du parent conjoint, qui devra toujours donner son consentement en application de l’article  361 du Code Civil.

  • Du désir à l’opportunité :

L’adoption simple de l’enfant du conjoint est largement ouverte sans que les restrictions énoncées à l’article 345-1 du Code Civil puissent faire échec à ce projet.

L’opportunité de l’adoption simple est cependant soumise à l’appréciation du juge qui vérifiera que les intérêts de chacun, adoptant et adopté, soient sauvegardés.

Son contrôle portera sur le motif déterminant de l’adoption, à savoir la création d’un lien filial même si des considérations liées à l’organisation d’une succession, à la simplification des démarches en vue de l’obtention d’un titre de séjour peuvent exister.

Ainsi e désir de l’adoptant d’éviter que l’adopté soit expulsé du territoire français n’est pas incompatible avec une réelle volonté de créer avec lui un lien de famille

Cass. Civ. 1ère 14 mai 1996 Pourvoi no 94-10693

De même, la conscience chez l’adoptant des effets successoraux que l’adoption ne manquerait pas d’entraîner ne pouvait être considérée comme constitutive d’un détournement de l’institution dès lors que le dossier révélait qu’il existait d’autres motifs justifiant l’adoption.

Cass. Civ. 1ère  11 juillet 2006 Pourvoi no 04-10839

Il faut ainsi prendre conscience de la portée plus ou moins limités des effets de l’adoption simple de l’enfant.

– En ce concerne l’autorité parentale sur l’adopté mineur, l’adoptant en sera titulaire sans en avoir l’exercice selon l’article 365 du Code Civil contrairement à une adoption simple ordinaire.

Bien sûr, le parent biologique conserve cette prérogative mais peut impliquer l’adoptant dans les choix concernant l’enfant puisqu’ils partagent tous deux  une communauté de vie.

L’adoptant et le parent-conjoint peuvent toutefois faire une déclaration conjointe adressée au greffier en chef du Tribunal de Grande Instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité.

 

– En ce qui concerne le nom de famille, l’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté en l’ajoutant au nom de ce dernier sauf si l’adoptant demande que l’adopté conservera son nom d’origine.

Si l’adopté est majeur, il doit consentir à cette adjonction.

– En ce qui concerne les droits successoraux, l’adopté conserve tous ses droits héréditaires dans sa famille d’origine et a,  dans sa famille adoptive, les mêmes droits qu’un enfant biologique,

– En ce qui concerne la nationalité française de l’adoptant, l’adopté peut prétendre son acquisition jusqu’à sa majorité par déclaration en application de l’article 21-12 du Code Civil.

  • Le caractère gracieux de la procédure :

L’adoption simple peut se décomposer en deux étapes, l’une juridique et l’autre judiciaire :

Dans un premier temps, il est indispensable de remplir les conditions de l’adoption simple et de réaliser les démarches propres à en justifier préalablement à la saisine du juge.

Cette étape est donc principalement celle du recueil de l’accord des différents protagonistes.

En application de l’article 348-3 du Code Civil, le consentement de l’adopté mineur de plus de treize ans ou majeur devra être recueilli :

  • devant un notaire français ou étranger,
  • ou devant les agents diplomatiques ou consulaires français.

Ce consentement peut être rétracté pendant deux mois par lettre recommandée avec accusé de réception adressé.

A l’expiration de ce délai, l’autorité compétente pour recueillir l’accord devra établir un certificat d’absence de rétraction.

A l’inverse, le consentement du parent conjoint est donné librement sans formalisme et sans faculté de rétractation.

Cass. Civ.1ère 13 mars 2007 Pourvoi n°04-13925

Ce n’est donc qu’à l’issue de ces démarches que la requête sera déposée près du Tribunal de Grande Instance compétent accompagnée des documents utiles conformément aux articles 1166 et suivants du Code de Procédure Civile.

L’action aux fins d’adoption relève de la matière gracieuse : la seule partie au jugement d’adoption est donc le requérant c’est-à-dire l’adoptant.

Bien que le conjoint soit amené à donner son  consentement, cette circonstance ne lui confère pas la même qualité.

Au cours de l’instruction du dossier, le tribunal vérifiera si les conditions légales de l’adoption sont remplies et sollicitera l’avis du procureur de la République avant qu’il soit statué sur la requête.

Le jugement d’adoption est susceptible d’appel par les parties qui n’y ont pas renoncé et par les tiers à qui le jugement a été notifié, c’est-à-dire l’adoptant et le ministère public.

Toutefois la Cour de Cassation a précisé qu’était recevable l’appel interjeté par le conjoint de l’adoptant dès lors que, en ordonnant la comparution personnelle des époux, le Tribunal l’a appelé en cause.

Cass. Civ. 1ère 2 décembre 1997 Pourvoi n°95-17508

A l’issue de la procédure aux fins d’adoption simple dont la durée varie selon les tribunaux, les liens d’affection et d’attachement réciproques entre adoptant et adopté trouveront une consécration légale.

La famille biologique et adoptive trouve chacune une place dans cette organisation qui nie aucun maillon de la chaine.

Le système comporte une limite inchangée depuis la loi du 11 juillet 1966 qui suscite quelques discussions.

Selon l’article 346 du Code Civil, « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux ».

La Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que le droit au respect de la vie privée et familiale n’interdit pas de limiter le nombre d’adoptions successives dont une même personne peut faire l’objet, ni ne commande de consacrer par une adoption, tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et bien établis

Cass. Civ. 1ère  12 janvier 2011 Pourvoi no 09-16527

Des avis de la Cour Cassation sur l’adoption de l’enfant né d’une PMA par l’épouse de la mère biologique

L’actualité de ce jour met en lumière la procédure devant la Cour de Cassation permettant à cette juridiction d’être saisie pour avis en dehors de tout pourvoi.

Sa mission relève alors de l’interprétation d’un texte afin d’apporter un éclairage aux juges du fond avant même qu’ils n’aient à statuer sur un dossier.

Face à une question juridique inédite, la Cour de Cassation peut ainsi unifier le droit en donnant une orientation à un contentieux qui fera, par la suite, autorité dans ce domaine.

C’est ainsi que les Tribunaux de Grand Instance de POITIERS et d’AVIGNON ont concomitamment eu recours à la procédure d’avis sur une question portant sur l’adoption plénière et ses conditions.

Cette question était épineuse car elle se rapportait au débat sur l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels mariés.

Si la Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 a alimenté les controverses sur le mariage, elle a nourris certaines législations existantes et en a malnutris d’autres.

Un an plus tard, ses carences sont à l’origine de situations dans lesquelles les faits ont rattrapé le droit jusqu’à le pousser dans ses retranchements.

Ainsi les lois relatives à la bioéthique se sont retrouvé dos à dos à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à la vie privée et familiale.

Les juridictions du fond ont donc été contraintes de s’interroger sur le rapport entre les conditions de conception d’un enfant et la qualité du parent adoptant.

C’est à la charge de la Cour de Cassation qu’est revenue le soin de régler la conciliation difficile entre :

– Le recours illégal à l’insémination artificielle avec donneur inconnu entre conjoints du même sexe posé par l’article L 2141-2 du Code de la Santé Publique,

– La légitimité de l’adoption plénière de l’enfant du conjoint du demandeur à l’adoption relevant de l’article 345-1 du Code Civil.

La question posée était la suivante :

L’accès à la procréation médicalement assistée, sous forme d’un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l’étranger par un couple de femmes est-il de nature, dans la mesure où cette assistance ne leur est pas ouverte en France, en application de l’article L.2141 2 du code de la santé publique, à constituer une fraude à la loi sur l’adoption, et notamment aux articles 343 et 345 1 du code civil, et au code de la santé publique, empêchant que soit prononcée une adoption de l’enfant né de cette procréation par l’épouse de la mère biologique ?

On l’aura compris, derrière l’appréciation de la fraude à la loi, c’est la reconnaissance de la famille homosexuelle qui se jouait en toile de fond…

Au terme de ses deux avis attendus du 22 septembre 2014, la Cour de Cassation retient que :

« Le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Avis n° 15011 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470006)
Avis n° 15010 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470007)

Dans ses conclusions, Monsieur l ‘Avocat général, Jean-Dominique SARCELETE a soutenu le sens de cette interprétation en adressant un message clair aux juges de la Haute juridiction :

« En éclairant l’interprétation de la loi, sans remettre en cause les dispositions du code de la santé publique tributaires d’un débat éthique non encore abouti, nous vous invitons à vous associer à la fonction législative au sens de la loi du 15 mai 1991, sans prendre parti sur des enjeux qui ne sauraient relever de la présente procédure.
La dimension factuelle de l’appréciation d’une fraude à la loi ne doit pas constituer un obstacle à l’avis sollicité ».

Forte de cette invitation, la Cour assume pleinement sa position juridique et son appréciation des législations et principes précités.

Elle affirme, d’ailleurs, sans détours, dans son communiqué, tirer « ainsi les conséquences de la loi du 17 mai 2013, qui a eu pour effet de permettre, par l’adoption, l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune restriction relative au mode de conception de cet enfant ».

Il ne fait nul doute que les deux avis du 22 septembre 2014 risquent de faire grincer quelques dents…

Communiqué Avis AMP