La retenue pour vérifications du droit au séjour, entre nécessité et intérêt public

Le 1er janvier 2013, l’article L. 611-1-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est entré en vigueur suite à l’adoption de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

Un régime de privation de libertés applicable aux ressortissants étrangers a ainsi vu le jour sous la désignation de « retenue pour vérification du droit au séjour« .

Cette jeune mesure de police administrative tend à retenir une personne étrangère dans les locaux de police ou de gendarmerie le temps nécessaire à la détermination de son droit au séjour sur le territoire français.

Depuis un an, ce préalable au maintien en rétention administrative s’inscrit dans l’ordre juridique, fait ses premiers pas et grandit dans sa pratique.

La retenue continue son évolution au rythme de ses applications et des jurisprudences principalement civiles.

Mais aussi précise que soit la lettre de l’article L. 611-1-1 précité, ce texte coercitif ne manque pas de soulever de nombreuses interrogations quant à sa mise en œuvre.

La Cour de Cassation en a affiné son interprétation dans un récent arrêt du 2 avril 2014 dont l’évocation dans cet article permet de revenir sur cette nouvelle forme de contrainte.

La filiation d’une union mixte :

La retenue a été conçue pour combler l’absence laissée par la garde à vue pour infraction au séjour irrégulier.

Elle est le fruit de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, qui consacre l’issue d’un débat jurisprudentiel de deux ans entre Luxembourg et Paris.

Au travers des arrêts « El Dridi » (1) et « Achughbabian » (2), les juges de la Cour de justice de l’Union européenne avaient fixé le principe d’interprétation de la Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite Directive « retour », par :

– une opposition à une réglementation d’un Etat membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette Directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention;

– une acceptation à une telle réglementation, pour autant que celle-ci permette l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite Directive a été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non-retour.

Fort de cette appréciation, les chambres civiles et criminelles de la Cour de Cassation ont tiré les conséquences du droit européen.

Chacune à leur tour (3), les marraines de l’article L. 611-1-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ont affirmé que l’infraction de séjour irrégulier ne pouvait donner lieu à une peine d’emprisonnement et fonder un placement en garde à vue.

La mesure de contrainte applicable exclusivement en cas de flagrance lorsqu’un crime ou un délit est puni de prison, a conservé, cependant, ses prérogatives au titre de l’infraction de maintien en séjour irrégulier.

Née d’une législation française, la retenue pour vérification du droit au séjour se reconnaît donc une paternité européenne dans la Directive « retour ».

Une fratrie issue du Code de Procédure Pénale :

Au terme d’une grossesse de deux ans, l’article L. 611-1-1 précité est entré dans la famille des mesures privatives de liberté.

Depuis lors, les services de police ou de gendarmerie peuvent, sur son fondement, retenir une personne étrangère pour une durée de seize heures non renouvelable.

Ce temps de la retenue s’impute directement sur celle de la vérification d’identité et la garde à vue, demi-sœurs de la mesure.

Mais la première s’inscrit dans le cadre de recherches strictement limitées à l’identité de la personne préalablement à l’examen du droit au séjour : elle peut donc précéder la retenue.

Quant à la seconde, elle ressort de l’existence d’indices de tentative ou de commission d’une infraction découverts à l’occasion des investigations portant de la situation administrative de l’étranger : elle peut ainsi succéder à la retenue.

Par comparaison à cette fratrie, l’examen du droit de circulation ou de séjour s’impose comme l’unique cadre et la seule finalité de la retenue.

C’est la raison pour laquelle l’article L. 611-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile tente de conférer à la mesure un caractère coercitif « modéré ».

Il donne à l’étranger les droits dévolus à toute personne privée de liberté même si la retenue se situe en dehors du cadre pénal.

Il complète ces garanties en rappelant les principes dégagés par la jurisprudence dans la mise en œuvre des contrôles d’identité et du recours aux moyens de contrainte.

Il en ajoute de nouvelles en autorisant l’étranger à communiquer lui-même avec les tiers et en lui octroyant le bénéfice d’une pièce distincte dévolue aux gardés à vue.

Mais la retenue pour vérification d’identité demeure issue d’une lignée de mesures privatives de liberté.

L’exercice de l’autorité préfectorale :

La retenue est bercée par les diligences accomplies par les services de police ou de gendarmerie, ainsi que par les décisions du préfet. La circulaire du 18 janvier 2013 (NOR : INTK1300159C) souligne, cependant, que « l’irrégularité qui résulte d’un défaut de titre n’épuise pas à elle seule l’examen du droit au séjour« .

Aussi, la durée de seize heures doit permettre de déterminer non seulement si l’étranger bénéficie d’un titre, mais encore s’il peut y prétendre au regard de sa situation.

Cette recherche s’organise en trois temps précisément définis par la circulaire précitée : celui de l’investigation coordonnée entre préfectures et services de police, celui de l’instruction et de la décision sur une mesure d’éloignement ou la délivrance d’un titre de séjour et celui de la notification des décisions.

Tout commence donc par la consultation du fichier « FNE » (Fichier national des étrangers) regroupant les informations sur la situation du retenu, les mesures d’éloignement, les délivrances de titre de séjour et les demandes en cours.

L’audition de l’étranger assisté, le cas échéant, par un avocat suit cette première vérification afin de préciser les éléments concernant le parcours et la situation actuelle sur le territoire français.

Durant toute la mesure, l’étranger doit être mis en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis qu’il soit remis par lui-même, ou communiqué par son consulat ou un tiers.

Mais les seize heures légales peuvent parfois avérer insuffisantes pour procéder à la vérification du droit au séjour.

A titre exceptionnel et « lorsque celle-ci constitue l’unique moyen d’établir la situation de cette personne« , la prise d’empreintes digitales ou de photographies peut intervenir après information préalable du Procureur de la République.

Ce même magistrat qui est avisé de retenue dès l’origine, reçoit, par ailleurs, communication du procès-verbal établi au cours de la mesure.

Pour autant, son rôle semble limité par la concurrence des services préfectoraux dont dépend l’issue de la mesure.

Les juges de la Cour de Cassation ont, d’ailleurs, eu l’occasion de préciser que le défaut de communication du procès-verbal ne porte pas, en soi, atteinte aux droits de l’étranger (4).

Au contraire, le rôle actif du Préfet au cours de la retenue rappelle que cette mesure peut être un préalable au maintien en rétention administrative.

Les valeurs familiales coercitives :

Le contentieux du droit des étrangers ne peut ignorer les enjeux dont il peut être l’objet et les regards qui se tournent vers lui.

Aussi, les circonstances de la naissance de l’article L. 611-1-1 ont suscité des inquiétudes sur le détournement de la retenue pour vérification du droit au séjour.

Cette mesure de police administrative s’est donc très vite revendiquée des principes de nécessité et de proportionnalité propres à toutes contraintes et privations de liberté.

Ils se retrouvent dans les dispositions de l’article 63 du Code de procédure pénale, qui soulignent que les nécessités de l’enquête tiennent la garde à vue (5).

Ils sont également présents à l’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, puisque la rétention administrative est, quant à elle, encadrée par le temps strictement nécessaire à l’organisation du départ de l’étranger (6).

Pour affirmer ses objectifs, la retenue n’a pu échapper à l’appréciation du juge, sa finalité risquant d’être malmenée par d’autres intérêts publics.

Les considérations tenant à la gestion des services préfectoraux étaient une évidente menace au respect des garanties de l’article L. 611-1-1 précité.

Par l’arrêt du 2 avril 2014, la Cour de Cassation a donc affirmé que l’étranger ne peut être retenu que pour le temps strictement exigé par l’examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables.

Pour autant, les juges de la Haute Cour ont mis un cran d’arrêt à l’interprétation trop large du texte en retenant qu’il n’imposait pas de diligences continues dans le délai légal de seize heures.

En l’espèce, le contrôle d’identité, l’examen de la situation du retenu ainsi que son audition s’étaient déroulés de 16 h 50 à 20 h 30.

La décision préfectorale en attente est intervenue le lendemain matin, sans que la durée de la mesure excède le délai de seize heures.

Difficile, dans ces conditions, pour la Cour de Cassation, d’en déduire un caractère excessif de la durée de la retenue au regard de l’article L. 611-1-1 et d’ignorer le déroulement de cette mesure.

En effet, aucune diligence n’avait été accomplie à la tombée de la nuit… sauf de vaines tentatives des fonctionnaires de police pour contacter l’avocat de permanence.
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(1) CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 PPU
(2) CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11
(3) Cass. crim., 5 juin 2012, n° 11-19.250 ; Cass. civ 1, 5 juillet 2012, FS-P+B+R+I, n° 11-30.371, n° 11-19.250 et n° 11-30.530
(4) Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 13-50.010, FS-P+B+I
(5) Cass. civ.1, 25 novembre 2009, n° 08-20.294, F-D
(6) CE 10° s-s., 21 mars 2003, n° 236966, inédit au recueil Lebon