La présomption d’innocence, garantie pénale et civile

Le 09/10/11

Depuis quelques jours, les bruissements de journaux et les échos des reportages ont porté les regards sur les institutions policières lyonnaises.

Entre information et médiatisation, c’est l’occasion de rappeler que l’exposition des personnes jetées au coeur de l’actualité judiciaire doit toujours être maniée avec prudence.

Même si « l’innocence a parfois l’apparence du crime»*, le respect du à sa présomption s’impose quelque soit les circonstances et les acteurs des événements qui sont sous le feu des médias.

Selon ce principe, seule la preuve de la commission d’une infraction et l’abolition du doute font naître la certitude de la culpabilité.

A défaut, celui dont l’innocence est sauve, bénéficiera d’un acquittement ou d’une relaxe.

Aussi, la rumeur publique et l’encre des journaux ne peuvent faire oublier que le mis en cause ne doit pas être présenté comme coupable par les autorités jusqu’à sa condamnation définitive.

Cette conséquence directe de la présomption d’innocence a été soulignée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme il y a quelques mois.

CEDH 24 mai 2011 Requête 53466/07 Konstas c/ Grèce 

Dans l’air du temps, le sujet du jour revient donc sur ce principe fondamental du Droit Pénal à valeur constitutionnelle qui constitue un droit subjectif garanti et protégé par le Code Civil.

Un principe fondamental du Droit Pénal à valeur constitutionnelle : 

On doit la première référence à la présomption d’innocence dans notre droit actuel à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui proclame :

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi ».

Cependant, ce ne sera qu’en 1981 que le Conseil Constitutionnel reconnaîtra sa valeur constitutionnelle lors du contrôle de constitutionnalité de la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes

Conseil Constitutionnel 20 janvier 1981 n° 80-127 

Malgré ces quelques traces, il faudra attendre la loi no 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale pour que ce principe fondamental apparaisse explicitement dans le Code de Procédure Pénale au travers de ses articles 177-1 et 212-1.

Ces dispositions consacrent la présomption d’innocence au travers de sa mise en application lorsque le juge instruction ou la Chambre de l’accusation rendent une ordonnance de non-lieu à l’issue des investigations.

Il s’en suit la publication intégrale ou partielle de cette décision ou l’insertion d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci, dans un ou plusieurs journaux, écrits périodiques ou services de communication audiovisuelle désignés.

Sept ans plus tard, la Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes intègrera finalement ce principe dans un article préliminaire (III) disposant :

« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi».

Dans le même temps, celui-ci fera son apparition dans le serment prêté par les jurés des Cours d’Assises promettant de se « rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter » au terme de l’article 304 du même code.

Ces quelques mots rappellent que c’est la preuve de la culpabilité qui annihile l’innocence et écarte la présomption dans le même temps que le doute.

Mais il arrive que la charge de la preuve soit renversée.

Ainsi, lorsque les procès-verbaux constatent les infractions à la réglementation sur le stationnement payant des véhicules qui font foi jusqu’à preuve contraire, c’est au prévenu qu’il revient d’apporter la preuve du fonctionnement défectueux de l’appareil horodateur.

Cass. Crim. 15 février 2000 Pourvoi 99-83971 

En même temps qu’elle a entraîné une protection accrue de la présomption d’innocence, la légalisation de 2000 a amené une reconnaissance du droit à indemnisation.

La réparation des frais non payés par l’Etat et exposés par le mis en cause lorsqu’une juridiction a prononcé un non-lieu, une relaxe ou un acquittement à son encontre est donc évoquée à l’article 800-2 du Code de Procédure Pénale.

En 2011, la Loi n°2011-392 relative à la garde à vue viendra encore enrichir le dispositif en appliquant le principe aux mesures privatives de libertés « strictement limitées aux nécessités de la procédure ».

Un droit subjectif garanti et protégé par le Code Civil : 

Avant qu’elle n’apparaisse dans le Code de Procédure Pénale, le Code Civil a fait de la présomption d’innocence un droit subjectif garanti et protégé par son article 9-1.

La Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a ainsi affirmé que :

« Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ».

Par ailleurs, elle a complété et ajouté des dispositions aux Lois du 29 juillet 1881 sur le Droit de la Presse et du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

Ces modifications ont permis d’organiser les moyens de réprimer les atteintes au principe et d’indemniser ses conséquences dommageables.

Le mis en cause peut de ce fait protéger sa réputation au travers de la garantie de son droit à l’image notamment illustrée par l’article 803 du Code de Procédure Pénale précisant que :

« Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite.

Dans ces deux hypothèses, toutes mesures utiles doivent être prises, dans les conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu’une personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l’objet d’un enregistrement audiovisuel ».

Mais la mise en oeuvre de cette protection est limitée à une obligation de moyens, c’est-à-dire une promesse non une réalisation.

Aussi en cas de méconnaissance de la présomption d’innocence, le mis en cause bénéficiera d’un droit à réparation pécuniaire ou en nature.

Il convient de préciser que l’indemnisation fondée sur l’article 9-1 du Code Civil est indépendante de la responsabilité délictuelle.

De ce fait, une diffamation relevant de la Loi du 29 juillet 1881 ne peut être sanctionnée sur le fondement de l’article1382 du Code Civil

Cass. Civ 1ère. 6 mai 2010 Pourvoi 09-67624 

Par ailleurs, le respect du principe doit être concilié avec le droit à l’information et la liberté de la presse.

C’est ainsi que la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que l’atteinte à la présomption d’innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement.

Un article suggérant la culpabilité d’une personne mise en examen pour meurtre et ne contenant pas de conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ne constitue pas une telle atteinte.

Cass. Civ 1ère. 19 octobre 1999 Pourvoi 97-15802 

A ces garanties nationales, il faut bien sûr ajouter les conventions internationales qui proclament et protégent la présomption d’innocence.

Dans son article 11, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 énonce ainsi que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à la défense lui auront été assurées ».

Plus tard, la Cour Européenne des Droits de l’Homme en a déduit que la personne poursuivie n’a pas à collaborer à la recherche de la vérité, qu’elle peut donc se taire et ne pas contribuer à sa propre incrimination.

CEDH 25 février 1933 Requête no10588/83 Funke c/ France 

Il en découlera le droit au silence applicable à la mesure de garde à vue et lors de l’interrogatoire de première comparution devant le Juge d’Instruction.

*Louis VIGEE