Le 20 juillet 2015, ont débuté à l’Assemblée nationale les débats sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Ce texte, déposé le 23 juillet 2014, tend à réformer l’accueil et le séjour des étrangers, à assoir l’organisation d’une immigration contrôlée et à poursuivre un objectif de lutte contre l’immigration irrégulière.
Le Gouvernement a mis en avant une idée simple, celle que « l’immigration peut être une opportunité pour la France, si elle est maîtrisée, si l’accueil des talents est encouragé et si l’intégration est favorisée« .
Bien sûr, les associations (ADDE-ANAFE-FASTI-GISTI-CIMADE-LDH-MOM-SAF-SM) qui interviennent dans le parcours des migrants ont une toute autre approche. Au terme de leur analyse commune du 11 février 2015, elles dressent le constat que le « projet de réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne marque aucune volonté de rupture avec les réformes précédentes« . Elles s’étonnent -non sans regret- du déni des orientations suggérées par le rapport du député Matthias Fekl remis le 14 mai 2013.
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme appréhende quant à elle la réforme sous l’angle de la question suivante : « le projet de loi a-t-il définitivement rompu avec l’image hypertrophiée d’un étranger cherchant toujours à pénétrer et à se maintenir illégalement en France, à faire venir sa famille illégalement, en s’efforçant d’utiliser frauduleusement toutes les ressources de la législation pour rester en France et profiter de l’État providence ? ». Elle y répond par la négative dans son avis du 21 mai 2015 tout en saluant les avancées dans les garanties apportées dans le cadre de l’exécution des mesures d’éloignements.
Nous aborderons ici trois thèmes vers lesquels s’orientent les dispositions du texte en discussion.
• Le droit au séjour et l’accueil des étrangers :
Des débats sur l’identité nationale aux menaces d’attaques terroristes, l’idée même de division au sein de la société française semble devenue particulièrement épidermique.
Le dossier de presse du projet de loi relatif au droit des étrangers s’en fait l’écho en soulignant que « c’est quand on perd de vue la République, ses exigences, mais aussi son Histoire et ses valeurs, que l’on crée de la confusion, du clivage artificiel sans, en définitive, rien résoudre« .
La France entend donc donner priorité aux mobilités internationales de l’excellence et à l’amélioration de son système d’intégration tout en renforçant son système de lutte contre la fraude. Aussi le projet de loi prévoit-il dans son titre 1er des nombreuses dispositions suivant le sens du vent aux courants variables et parfois antagonistes.
Cela passe, tout d’abord, par une politique de délivrance de visas appliquée par les autorités diplomatiques et consulaires françaises privilégiant les entrées pour longs séjours.
Après l’entrée sur le territoire, les démarches d’installation ne sont pas moins complexes : l’article L. 311-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi réécrit pour actualiser et allonger la liste des documents de séjour dont doit être titulaire l’étranger majeurs souhaitant séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois.
Mais la vraie nouveauté du parcours de demandeur de titre concerne surtout le renforcement des dispositions relatives à l’intégration dans la société française lors de la délivrance de titre de séjour : le contrat d’accueil et d’intégration se voit ainsi remplacé par un contrat personnalisé fixant le parcours d’accueil et d’intégration avec un diagnostic individualisé.
Évaluation du niveau linguistique, prescription de formation adaptée, connaissance des droits et devoirs, il flotte dans l’air un parfum de lois à la Jules Ferry sur l’école républicaine, formatrice de citoyens. C’est qu' »il n’y a pas, en la matière, d’immigration subie« , affirme sans détours -en gras et souligné- le dossier de presse du projet de loi de juillet 2014.
Ensuite, pour répondre à cet objectif d’attractivité et d’excellence, un passeport talents d’une durée de quatre ans a été imaginé, remplaçant notamment le titre de séjour « compétence et talent ». A côté de ce dispositif, la carte de séjour pluriannuelle se généralise après la première année de séjour dans une limite de quatre ans sous condition de détention d’un visa long séjour.
L’article L. 313-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fait donc peau neuve dans un souci de simplification des démarches et de désencombrement des préfectures.
Il est encore difficile de définir avec précision les contours du tableau concernant l’accueil et le droit au séjour, le texte initial s’étant allégé et modifié au fil des amendements en commission des lois et en commission des affaires culturelles. Mais la simplification de la législation n’est pas une évidence quand l’objectif d’encadrement prime.
D’autant que les préfectures vont peut-être se doter du droit de communication « ponctuel » des documents et informations strictement nécessaires par les dépositaires des actes d’état civil, les administrations chargées du travail et de l’emploi, des organismes de Sécurité sociale, des établissements scolaires, des fournisseurs d’énergie et de communication électroniques, des établissements de soins privés et publics, des établissements bancaires et des greffes des tribunaux de commerces.
A côté de l’organisation de cette collecte de données personnelles, des dispositions prévoient l’augmentation des pénalités dues par les transporteurs qui ne respectent pas leurs obligations de contrôle est accru aux fins de luttes contre la fraude.
C’est comme cela que le projet de loi en cours de lecture concilie le « savoir lutter contre les flux migratoires irréguliers, dans le respect des droits des migrants« .
• L’éloignement et ses corollaires :
Le texte de loi relatif au droit des étrangers en France s’attaque donc au séjour irrégulier en renforcement l’efficacité des mesures de départ forcé.
En premier lieu, il ouvre deux nouvelles possibilités de notifier à l’encontre des migrants hors Union européenne une obligation de quitter le territoire français aux cas déjà visés à l’article L. 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : l’une est liée au comportement de l’étranger, qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois, constituant une menace pour l’ordre public appréciée au regard de la commission de faits passibles de poursuites pénales sur certains fondements ; l’autre tient à la méconnaissance de l’article L. 5221-5 du Code du travail pour l’étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois.
Le projet initial prévoyait une catégorie à l’adresse spécifique des demandeurs d’asiles déboutés. Mais l’amendement CL 204 du 30 juin 2015 a renvoyé cette question aux débats sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile.
Pour satisfaire à la mesure d’éloignement, l’étranger ne pourra plus se contenter de quitter le territoire national : il devra rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l’Union européenne où il est légalement admissible.
La tempérance admise suite à la disparition de l’article 23 de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 et à son remplacement par les dispositions de la Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dite Directive « retour », risque donc de disparaître.
En deuxième lieu, le projet de loi entend aussi modifier le cadre des obligations de quitter le territoire applicables aux ressortissants de l’Union européenne. Le comportement personnel constituant, du point de vue de l’ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société pourra conduire à une mesure d’éloignement en dehors de toute poursuite et/ou condamnation pénale.
Un mauvais esprit pourrait associer cette évolution aux migrants de certains États membres à la suite de la levée des restrictions au marché de l’emploi depuis le 1er janvier 2015. Il ne s’agit sans doute que d’une coïncidence.
La France tente, en effet, de se positionner en bon élève de l’Union puisqu’elle revoit sa copie sur les délais de départ volontaire. Et c’est qu’ainsi qu’en troisième lieu, elle apporte une réponse au droit commun européen par une volonté d’assouplir sa législation en vigueur au profit d’une durée appropriée des délais accordés.
Cette avancée est bien vite oubliée car, en quatrième lieu, se discutent des interdictions de toute nature.
Un article L. 511-3-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, tout d’abord, la mise en place d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans assortissant l’obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l’article L. 511-3-1. Cette mesure ne s’applique qu’aux ressortissants communautaire et peut être abrogée sur demande de l’étranger à condition qu’il justifie résider hors de France depuis un an au moins. La défiance à l’égard de l’Union européenne se grime à peine.
A côté de cette nouveauté, l’interdiction de retour existant pour les ressortissants des États tiers se généralise pour aller de trois ans en cas d’absence de décision de délai de départ volontaire assortissant une obligation de quitter le territoire ou lorsque l’étranger n’a pas satisfait au délai préalablement octroyé, à deux ans en dehors de ces cas. Peuvent, toutefois, s’opposer à cette interdiction de retour les circonstances humanitaires qui relèvent de l’appréciation toute subjective des préfectures.
C’est cependant dans les dispositions concernant l’éloignement des étrangers que l’on retrouve les traces les plus évidentes d’un protectionnisme conjoncturel.
• La mise en œuvre de l’éloignement :
La mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire français ne fait que poursuivre sur cette lancée.
L’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile offre ainsi à la rétention administrative un nouvel écrin textuel qui conditionne cette mesure au cas où « l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3° du II de l’article L. 511-1« .
Mais ces dispositions étouffent l’écho de la jurisprudence de la Cour de cassation jusqu’à le muer en simple murmure.
Cass. Civ 1ère 24 octobre 2012 Pourvoi n° 11-27956
On notera que le placement en rétention ne peut s’appliquer aux mineurs de treize ans… à moins bien sûr qu’ils n’entrent dans les cas d’exception prévus par l’amendement N°CL51 du 26 juin 2015 qui réaffirme sa vision singulière l’intérêt de l’enfant.
La rédaction revisitée de l’article L. 554-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne fait pas plus de place à la jurisprudence de la Cour de cassation : l’assignation à résidence, sans être exceptionnelle, est une possibilité largement applicable « dans tous les cas, les dispositions de l’article L. 561-2 peuvent être appliquées ». Elle peut prévenir la rétention, lui être substituée ou lui succéder. Et les représentants de l’État pourront y avoir recours si l’éloignement demeure une perspective raisonnable selon certains cas définis.
Cependant, cette mesure doit toujours être motivée et peut désormais couvrir une durée de six mois renouvelable. Son caractère d’alternative à la rétention et d’outil de contrôle le temps nécessaire à l’organisation du départ est renforcé par le projet de loi relatif au droit des étrangers. En effet, si le spectre de l’obstruction volontaire se dessine, le préfet peut solliciter le juge des libertés et de la détention pour l’autoriser à recourir aux services de police et de gendarmerie aux fins d’intervenir au domicile aux étrangers qui se cacheraient derrière l’inviolabilité du domicile pour faire obstacle à l’exécution de la mesure d’éloignement dont ils font l’objet. L’ordonnance du juge des libertés et de la détention n’aurait malgré tout qu’un effet exécutoire de 96 heures.
Au surplus, l’article L. 513-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile crée la possibilité de déplacement forcé, par l’intervention des services de police ou les unités de gendarmerie, de l’étranger, assigné à résidence, qui n’aurait pas déféré à une demande de présentation aux autorités consulaires de son pays en vue de la délivrance d’un document de voyage.
Entre la privation de libertés au centre de rétention administrative et la coercition à domicile, la contrainte est présente dans chacune des mesures de mise en œuvre de l’éloignement.
Mais le projet de loi distille tout de même, de ça et là, quelques orientations pour encadrer l’action des préfectures.
Il en est ainsi de la prohibition de l’exécution d’office de l’obligation de quitter le territoire si l’étranger a saisi le juge administratif d’un référé liberté. Le recours au juge et à son contrôle de légalité doit demeurer entier et effectif.
Il en va de même de l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux centres de rétentions administratives qui permet à un regard extérieur de se poser sur les conditions de vie dans les lieux privatifs de libertés ne relevant pas de l’administration pénitentiaires.
Il est pourtant difficile de convenir de l’adéquation entre ces dispositifs de contrôle et l’esprit de la Directive « retour » qui invite à « privilégier le retour volontaire par rapport au retour forcé et d’accorder un délai de départ volontaire« .
A l’heure des débats parlementaires, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France ne peut être regardé comme une véritable réforme de réglementation en place au regard des solutions législatives proposées.
Les associations regrettent d’ailleurs l’absence de « passerelle entre le titre de séjour pluriannuel et le droit au séjour pérenne » au terme de leur analyse commune du 11 février 2015.
Force est de constater que la lutte contre le séjour irrégulier des étrangers et l’éloignement de ces derniers sont au centre du texte. Il est difficile d’appréhender ce projet de loi sans le regarder comme le complément de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité portant transposition de la Directive « retour ».
Le droit de l’Union européenne engageait alors les États membres à « veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente« .
Les dispositions forgées dans le contrôle interrogent sur l’équilibre entre les garanties des migrants, candidats au séjour, et la maîtrise d’une immigration « sélectionnée ».